Page images
PDF
EPUB

LA ROYAUTÉ, LE TIERS ÉTAT.

383

et le jetterait dans le creuset même de la théorie, d'où il sortirait tout nouveau pour suivre ses grandes destinées. La vraie force du moment, c'était la presse dont la hardiesse ne connaissait plus de limites.

Cependant, au milieu d'une telle situation, la royauté, sans écouter les représentations du Parlement et des princes, se fiait à ce nom même du tiers état, qui avait occupé une grande place dans notre histoire elle croyait que son vœu serait un vou national, et en décidant le doublement du tiers, malgré les princes, le Parlement et les notables', elle lui donnait un gage éclatant de confiance et d'affection.

C'était là un grand fait. Ce gage donné par la royauté, dans la pensée de Louis XVI, s'adressait sans doute au passé, il rappelait la vieille alliance de la royauté et de la bourgeoisie.

La royauté se plaçait à part avec le tiers état dans le conflit dont le doublement du tiers avait été la cause. Avait-elle tort, avait-elle raison? Cette question implique toute l'histoire de la révolution de 89.

Ce qu'il y avait de positif, dans les intérêts même de la bourgeoisie, dans son attachement traditionnel à la monarchie, ne triomphera-t-il pas des théories et des abstractions, si ces abstractions et ces théories étaient dangereuses?

Quoi que l'on puisse penser de la nature des idées qui reconnaissaient au tiers état, comme on disait alors,

1 M. Louis Blanc cite ce mot de Louis XVI, quand on vint lui apprendre que, parmi les notables, une seule voix se prononçait pour le doublement du tiers : « Qu'on ajoute la mienne! » (Histoire de la Révolution par M. L. Blanc, t. II, p. 229). Nous verrons bientôt la protestation des princes.

le nom et les droits de la nation entière, cette multitude, sans distinction de bourgeoisie ni de peuple, flattée par Necker comme par Sieyès, n'allait-elle pas même donner une grande force à la royauté qui se prononçait en sa faveur?

Ce qu'il y a de certain, c'est que la royauté, avec toute l'autorité que lui donne la plus vieille tradition monarchique de l'Europe, ouvre aux idées de rénovation la voie où elles veulent entrer, et abaisse devant elles la barrière, par la main même d'un petit-fils de Louis XIV. Or, ces idées n'auront-elles pour résultat, malgré ce que nous avons pu dire de leur origine, que d'élever l'immense majorité de la nation à un rôle politique et social qui lui appartenait, que de lui préparer des destinées, dont jamais autrement elle n'aurait même entrevu la grandeur? Il y a là un problème dont nous aurons à chercher la solution. Ce qui est incontestable, c'est que les idées qui sont basées sur l'indépendance entière de la pensée humaine, sur le libre arbitre absolu de l'homme, vont, sous le nom historique et traditionnel du tiers état, tenter en France une expérience inouïe dans l'histoire du monde.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Avant de terminer ce premier volume, nous croyons devoir en même temps, rappeler l'ordre d'idées dans lequel il a été écrit, et résumer les faits qui, par leur suite et leur développement mêmes, sont la confirmation de ces idées.

Nous l'avons déjà dit; nous ne prétendons pas qu'il n'y cût point d'abus sous l'ancien régime, et que des réformes n'y fussent point applicables, quoique nous ne cherchions pas ici à en déterminer la mesure ou l'étendue; mais le but principal de ce livre a été et sera avant tout, d'exposer la véritable et première cause de la révolution de 89, d'en faire apprécier la nature, la puissance, la portée et de demander aux faits si cette cause a précisément agi,comme elle devait agir; si, pour obtenir les réformes et accomplir les changements, qu'il s'agissait alors de réaliser, elle était le meilleur instrument, l'instrument exclusif qu'il fallût alors employer; si, en un mot, le droit rationnel, la raison pure, pour parler comme M. Augustin Thierry', c'est-à-dire la philosophie du dix-'

Essai sur l'histoire du tiers état, p. 215.

huitième siècle, devait remplacer l'histoire, le passé, toutes les traditions dans la fondation du nouvel état de choses, devait, en un mot, suffire à tout, tout refaire ou plutôt tout créer, quelque grande et quelque vaste que fût la réforme qu'on dût accomplir.

Nous arriverons ainsi, en suivant le cours même des événements, à pouvoir apprécier le résultat net du principe même de la révolution de 89. Cette cause luttant contre les faits qui ne paraissaient aux novateurs que des obstacles, il faut évidemment dégager ces faits du débat, pour qu'il soit possible de la bien juger et d'apprécier, à côté de son point de départ, son point d'arrivée.

Voilà pourquoi nous avions un dernier mot à dire sur l'ancien régime, avant les élections des états généraux. Ce livre, avons-nous besoin de le faire observer, n'est pas un livre de détail et une étude circonstanciée, pour ainsi dire, de toutes les faces sous lesquelles on peut envisager l'ancien régime, mais l'indication des traits généraux qui le caractérisent.

Déjà nous avons cherché à montrer, sous son vrai jour, la figure de la royauté, ce pouvoir héréditaire, toujours triomphant à travers tant d'obstacles et de luttes, qui avait mis huit siècles derrière lui, quand Louis XVI en devint le représentant.

Malgré les résistances belliqueuses de la féodalité, le contrôle judiciaire du Parlement, les progrès de la bourgeoisie qui, à côté d'une certaine indépendance restée dans le cœur et les habitudes d'une noblesse militaire, s'étaient opposés parmi nous au pouvoir absolu des rois; la royauté, c'était le sentiment général, c'était l'autorité souveraine dans l'État, et c'était à elle qu'appartenait incontestablement la première place; jusque là, il n'y avait

[blocks in formation]

point eu de doute à cet égard. En face d'un clergé, d'une noblesse, d'une bourgeoisie, d'un peuple, qui avaient leur passé, leur dignité, la dignité et le passé de la royauté, sa suprématie politique n'étaient point mis en question.

C'est à ce point de vue que nous avons cru pouvoir dire de la royauté qu'elle était une force collective, recueillie, pour ainsi dire, dans toute cette société qu'elle attirait à ̧ elle et qu'elle représentait au pouvoir, royauté très-chrẻtienne, religieuse; par conséquent aristocratique, bourgeoise et populaire.

Ne venons-nous pas d'en avoir la preuve? Nous aimons à chercher dans les faits la formule d'un état de choses. Or, quand le Parlement et les notables s'opposent au doublement du tiers, qui tranche la question? Le roi. Personne ne conteste le pouvoir qu'il a d'agir ainsi.

Louis XVI, avant 89 et quand il va ouvrir les états généraux, jouit donc, de l'aveu général, du pouvoir auquel reste le dernier mot.

On entend ce prince, dont l'éloge se retrouve dans les historiens les plus favorables à la Révolution, dire en parlant des différents corps de la société française; mon clergé, ma noblesse, mon Parlement; certes, il n'y avait point là une idée de despotisme; le roi parlait du clergé, de la noblesse, du Parlement, tête de la bourgeoisie, comme des soutiens naturels de la royauté, il en parlait avec une sorte de paternité royale; il y avait des liens d'affection entre ces grands corps et le roi de France: il disait, et en cela il représentait la vraie tradition monarchique, «< mon clergé, ma noblesse, mon Parlement, mon peuple, » comme le peuple tout entier disait : << mon roi. >>

Rien n'explique mieux la détermination de ce prince,

« PreviousContinue »