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leure preuve de sincérité et le gage même des réformes que provoquent les assemblées provinciales?

Il est vrai, comme le fait observer M. de Tocqueville, que la transition du régime administratif unique des intendants au partage de l'administration avec les assemblées locales, était difficile; qu'il y eut des conflits d'attributions, et que, dans bien des provinces, l'administration parut d'abord comme paralysée par l'espèce de lutte qui s'établit entre les intendants et les assemblées locales, en raison des anciennes habitudes administratives, d'exigences mutuelles et de la nouveauté d'institutions qu'on empruntait, pour tant de provinces, aux pays d'état; il n'en est pas moins vrai que, si on isole du mouvement extraordinaire qui précipite alors les intelligences, une grande question de réforme administrative, on trouve tous les éléments de cette réforme et même d'un développement politique du pays, pour peu qu'il fût alors opportun, dans la constitution des états provinciaux appliquée à toute la France.

Cette porte régulière était si bien ouverte à la convocation des états généraux, et même à ce genre de réforme qu'on appelait alors une constitution, que Turgot, nous venons de le voir, faisait sortir une constitution des assemblées provinciales, d'après le modèle même des états du Languedoc.

Il aurait fallu sans doute fixer les rapports et les attributions des intendants et des assemblées, de manière à éviter les conflits, mais surtout attendre des temps plus calmes, où il semble qu'on aurait pu certainement, en dehors des systèmes absolus, obtenir facilement un tel résultat.

La brochure de Sieyès suffisait pour montrer qu'on

SYSTEMES PRÉCONCUS.

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n'en était pas à l'une de ces époques où l'on se contente des solutions que les faits paraissent offrir, mais qu'on se trouvait en présence, au contraire, de systèmes préconçus qui tendaient à refaire toute une société au nom d'une théorie une fois posée.

CHAPITRE XXX

La veille des états généraux, le roi, les réformes.

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accomplis avant la réunion des états généraux.

A côté de l'état d'une société où se trouvait la base même, la base traditionnelle d'une grande réforme administrative et politique, si, en effet, une réforme générale était applicable à la situation de cette société, il y avait alors dans les premiers corps du pays une tendance prononcée pour les changements qui pouvaient paraître le plus utiles, à commencer par la convocation des étals généraux.

Nous avons vu que le premier résultat des assemblées provinciales avait été, suivant M. de Tocqueville, l'exagération même de l'esprit de réforme1.

Si le mouvement qui entraînait alors tant d'intelligences était aussi éclairé que souvent il fut sincère, c'était, il faut le reconnaître, une bonne fortune, qu'on nous permelte ce mot, pour les partisans des améliorations les

1 On a reproché à l'assemblée du clergé et aux notables d'avoir refusé le concours pécuniaire qui leur était demandé; mais il faut observer que cette assemblée et les notables voulurent surtout faire de l'opposition à Calonne et à Loménie de Brienne, et qu'ils renvoyaient la question financière aux états généraux. L'opposition des notables ct de l'assemblée du clergé fut, comme on l'a vu, populaire, malgré eur résistance à des projets présentés dans l'intérêt populaire.

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plus générales et les plus complètes, de rencontrer sur le trône de cette grande monarchie, un roi aussi chrétien et aussi ami de son peuple que Louis XVI1.

Il semble que, pour régénérer la France, comme on disait à cette époque, il n'y avait qu'à se grouper autour de lui, si les améliorations qu'on réclamait alors devaient produire un tel résultat.

Pour résumer les changements que l'esprit nouveau ne pouvait repousser, changements déjà émanés de l'initiative royale à la veille des états généraux, rappelons d'abord, après le ministère Turgot qui avait réalisé de véritables réformes dans les finances, la suppression définitive de la corvée; sous le ministère de Loménie de Brienne, la libre circulation des grains entre les différentes provinces, l'état civil rendu aux protestants et l'institution des assemblées provinciales 2; toutes ces mesures venant après cette réunion des notables qui n'avait pas eu lieu depuis plus d'un siècle, et qui était un acheminement aux états généraux, enfin la convocation même de cette assemblée, la discussion ouverte sur les bases qu'il importe de lui

1 « De tous les princes, Louis XVI était celui qui, par ses intentions et ses vertus, convenait le mieux à son époque. On était lassé de l'arbitraire, et il était disposé à en abandonner l'emploi; on était irrité des onéreuses dissolutions de la cour de Louis XV, et il avait des mœurs pures et des besoins peu dispendieux; on réclamait des améliorations devenues indispensables, et il sentait les nécessités publiques et mettait sa gloire à les satisfaire. » (Histoire de la Révolution par M. Mignet, Ier volume, p. 19.)

2 Loménie de Brienne avait aussi proposé au Parlement, au nom du roi, la subvention territoriale, qui était l'égalité de l'impôt. Le Parlement l'avait repoussée, surtout par esprit d'opposition, en demandant les états généraux. On verra, un peu avant la réunion de cette assemblée, le Parlement demander l'égalité de l'impôt.

donner par l'appel que Loménie de Brienne fit aux écrivains, c'est-à-dire la liberté de la presse la plus complète comme on en peut juger par les publications du temps, proclamée par le pouvoir avant les élections; le doublement du tiers, accordé par ce même pouvoir sous le ministère de Necker; ce dernier, le favori de l'opinion, à la tête des affaires, chargé de travailler avec l'assemblée qui va se réunir, à ce plan d'améliorations générales qui semblait alors se dérouler devant un si grand nombre d'intelligences; en présence de tout cet ensemble de résultats, que nous n'apprécions pas ici, que nous envisageons uniquement comme des faits, et qui tous ont pour complément une mesure plus grande encore, celle de la réunion des états généraux, il est impossible de ne pas reconnaître combien les issues étaient ouvertes avant 1789, par le pouvoir lui-même, à l'esprit de réforme,

en

1 A côté des mesures qui, à cette époque, sont comprises sous le nom général de réformes, il y a des faits importants à signaler, sous le règne de Louis XVI, qui montrent ce prince agissant avec fermeté et sans aucune hésitation : notre marine rétablie de manière à lutter avec gloire contre la marine anglaise, une politique extérieure énergique et habile; quand l'empereur Joseph II, frère de la reine, vint, 1784, opprimer la Hollande notre alliée, l'ordre donné par Louis XVI, de former deux armées, l'une en Flandre et l'autre sur le Rhin, ce qui était imposer la médiation de la France qui fut acceptée; le principe de la neutralité armée, appliqué dans les traités conclus entre la France et les États-Unis, moyen puissant de résistance à la domination anglaise sur les mers, qui permettait aux neutres de naviguer de port en port et sur les côtes des pays belligérants, et que la Russie, la Suède et le Danemark adoptèrent; le magnifique port de Cherbourg créé contre l'Angleterre; une descente même préparée et la guerre près d'être portée dans ce pays, pour couronner la lutte soutenue résolument en Amérique : voilà des faits qui offrent sous un jour tout particulier la figure de Louis XVI. Nous aurons à y revenir quand il s'agira d'apprécier ce prince d'une manière plus complète.

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