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VRAIE FORMULE DE LA PHILOSOPHIE DU XVIII SIÈCLE. 31 des athées, un dieu du dix-huitième siècle, tel que Voltaire aurait pu l'inventer? Non, ce n'est pas ainsi que l'entendent les grands philosophes de la Grèce et de l'Italie. Le Dieu de ces hommes est le créateur du monde, mundi architectus1. Nous revenons avec eux presque aux paroles de la Genèse? Qui pourrait oublier ce grand ouvrage de Cicéron: de Naturâ Deorum?

Ainsi, la religion et les mœurs, voilà dans l'antiquité les fondements des empires.

Or, au dix-huitième siècle, dix-sept cents ans après la prédication de l'Évangile, qui avait proclamé l'unité de Dieu, réformé, relevé l'humanité, et protégé le monde romain, contre l'invasion des barbares, en leur ouvrant un monde nouveau, une civilisation nouvelle, en présence de quelle situation unique, dans l'histoire des sociétés humaines, la France et l'Europe vont-elles se trouver?

Le fait qui domine cette situation est la philosophie du dix-huitième siècle; philosophie différente de toutes les grandes philosophies que le monde avait jamais vues, réforme qui n'avait aucun rapport ni avec les principes des sociétés de l'antiquité, ni avec leurs mœurs, ni avec les mœurs et les principes que le christianisme avait apportés au monde.

Qu'est-ce donc que la philosophie du dix-huitième siècle, pour peu qu'on la juge d'après les faits? Une lutte systématique contre le christianisme, contre la religion qui a le plus soumis l'homme à Dieu, contre la religion qui s'est le plus emparée de l'humanité ! La philosophie du dix-huitième siècle est la revendication la plus com

1 Paroles de Cicéron.

plète, corps et âme, de l'homme sur Dieu, de l'œuvre sur l'ouvrier, de la créature sur le créateur, par les mœurs et par les idées intempérance des sens, intempérance de l'esprit, a dit Bossuet; emportement sceptique et épicurien, a dit M. Villemain, voilà les vrais formules de la philosophie du dix-huitième siècle à son origine et dans sa source!

Toutes les civilisations jusqu'alors étaient parties de la Divinité; de quelque manière que cette divinité fût comprise et adorée; à dater de la philosophie du dix-huitième siècle, la civilisation devait évidemment partir de l'homme, de sa raison et de ses penchants.

Le protestantisme avait émis ce principe que, si Dieu, sans doute est le souverain maître, c'est la raison humaine qui, en vertu du droit du libre examen, est la règle, et cependant il voulait, par une contradiction étrange, maintenir un culte, une morale, des devoirs, une société religieuse, mais variable suivant les différentes interprétations des livres saints: avec le protestantisme l'homme était presque tout, avec la philosophie du dixhuitième siècle, il devait être tout là est la force, la puissance de cette philosophie, de cette révolution. Là est l'origine de ce serment d'Annibal qu'elle a fait de détruire le christianisme, c'est que, sous le nom de l'homme, enlevé tout entier à Dieu et au christianisme, c'est elle qui veut régner.

L'Évangile, inspiré de Dieu, avait dit : Omnis potestas a Deo, toute puissance vient de Dieu, c'est-à-dire ce grand fait, le pouvoir ne se maintiendrait pas, même dans sa forme temporelle, s'il ne s'appuyait que sur la faiblesse humaine; il faut que, pour durer, toute puissance ait sa base dans la providence, dans l'esprit, dans la volonté et la puissance de Dieu même; c'est-à-dire, le pouvoir doit

D'OU VIENT LE POUVOIR?

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venir du pouvoir, la tradition humaine s'appuyer sur la tradition divine, ce qui ne contredit aucunement ce juste affranchissement de l'humanité apportée par le Christ et ces grandes paroles : « Vous êtes des amis et non pas des esclaves, » qui ont eu aussi leur sens dans ce monde.

La philosophie du dix-huitième siècle, avec les idées absolues qu'elle tient du protestantisme, semble être venue dire le contraire, séparer en deux camps rivaux l'autorité et la liberté en proclamant que tout pouvoir venait de l'homme. Suivant elle, « il n'y a au fond que deux écoles en philosophie et en politique, l'une qui part de l'autorité seule, et avec elle et sur elle éclaire et façonne l'humanité ; l'autre qui part de l'humanité et y apprécie toute autorité humaine. Le temps présent est la lutte de ces deux écoles dans l'intelligence et dans le monde. L'avenir verra le triomphe de la philosophie et de la politique inaugurées par Descartes et la Révolution française... Les nations sont libres; elles s'appartiennent à elles-mêmes; elles n'appartiennent naturellement à aucun maître, à aucune famille, à aucune dynastie. Nul n'a droit sur elles. La vraie légitimité des gouvernements est dans le consentement des peuples1. >>

Ces paroles de M. Cousin résument le passé, le présent et l'avenir de la philosophie du dix-huitième siècle ; elles montrent pourquoi elle devait se mêler à la politi

Paroles de M. Cousin.

Personne n'ignore cependant qu'aujourd'hui M. Cousin désire vive`ment le maintien du pouvoir temporel du pape, dont l'autorité est pour lui le centre du spiritualisme dans le monde; mais sous l'influence d'une philosophie qui n'est pas même celle de Descartes, quoi qu'il dise, il avait donné la véritable formule de la théorie qui est la base de la révolution en Europe.

que, intervenir dans les destinées du monde, dès qu'elle croirait avoir détruit l'autorité dans la religion, l'autorité qui parle et commande à l'esprit humain, et comment, maîtresse, suivant elle, dans le monde des idées, elle a voulu, sous le nom de liberté, tout soumettre à la raison humaine; comment elle est venue, après avoir nié le christianisme, attaquer toute tradition, la suite providentielle des événements, l'existence séculaire des peuples, et faire éclater cette lutte qui dure toujours dans l'intelligence et dans le monde, c'est-à-dire dans la religion et la politique, entre les principes qui viennent de Dieu et ceux qui viennent des hommes, cette lutte qui n'a pas d'autre origine que la rupture avec la vérité du christianisme, que la substitution, pour ainsi dire, d'une providence humaine à la providence divine, entreprise extraordinaire assurément, à quelque point de vue qu'on se place, bien faite pour agiter profondément le monde entier, qui est logique toutefois, lorsqu'elle revient au point de départ même de la philosophie du dix-huitième siècle, en cherchant à ébranler et à détruire la pierre angulaire de l'univers catholique, et suivant les belles paroles adressées par M. Cousin à Mgr l'évêque d'Orléans, « le centre même du spiritualisme dans le monde. >>

CHAPITRE III

Origine de la lutte livrée par la philosophie du dix-huitième siècle au christianisme. - Comment on peut suivre cet esprit dans la correspondance de Voltaire, au moment surtout de la publication de l'Encyclopédie. Article de d'Alembert sur le calvinisme. Les faquins de Genève. Opinion de M. de Tocqueville sur la philosophie du dix-huitième siècle, et son influence. Véritable nature de cette philosophie, son développement, son résultat : une double négation religieuse et politique. Logique de la philosophie du dix-huitième siècle.

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Si l'on veut bien comprendre le point de départ de cette ligue d'idées, qu'on a appelée la philosophie du dix-huitième siècle, nous croyons qu'il faut entrer, pour ainsi dire, dans l'intimité de la lutte générale qu'elle ouvrit contre la religion chrétienne, au moment même où elle créa toute une machine de guerre pour la renverser cette intimité, où la philosophie du dix-huitième siècle dit toute sa pensée, c'est la correspondance de Voltaire, cette machine de guerre dont elle se servit pour entrer dans les intelligences, ce nouveau cheval de Troie, où elle se cache jusqu'à un certain point, pour pénétrer dans le monde de la science et des idées, ce fut l'Encyclopédie. Il faut voir Voltaire, plein d'ardeur pour cet ouvrage, lui le chef naturel des encyclopédistes, ne cessant d'écrire à d'Alembert pour le pousser à l'assaut du christianisme au milieu de cette étude universelle des con

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