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Histoire du règne de Louis XVI, doit être la véritable, comme on a pu le voir par la citation que nous venons de donner en note; car ici Necker, successeur de Loménie de Brienne, vient le contrôler, et son intérêt est de bien. préciser l'état dans lequel il trouve le trésor, surtout devant une assemblée qui arrive avec une bien plus grande autorité que les notables, pour régler précisément les affaires du royaume et entrer dans tous les détails de sa situation financière.

Or, un déficit de 85,755,377 fr. sous Calonne et Brienne, réduit au moment de la réunion des états généraux à 56 millions, fait attesté et démontré par Necker, était si peu au-dessus des ressources de la France qu'il ne pourrait certes expliquer les événements de 89; une telle cause, en effet, pour peu qu'on l'examine de près, peut être le prétexte d'une opposition plus ou moins vive, mais non le principe d'une révolution.

Le grand danger de la situation était l'opposition qui se montrait partout dans l'assemblée des notables, comme dans le Parlement, et dans l'inexpérience même de cette opposition qui résistait presque toujours, sans comprendre la portée d'une résistance qui, par le fait, devenait systématique.

C'est ainsi que Loménie de Brienne qui était devenu chef du conseil des finances, titre nouveau qui remplaçait celui de contrôleur général, n'eut bientôt qu'à désirer la clôture d'une assemblée qui l'avait aidé à renverser Calonne, lorsqu'il en était membre, mais dont il ne pouvait obtenir aucun appui dès qu'il s'agissait d'impôts, et depuis qu'il était ministre. Il dut s'adresser au Parlement qui suivit l'exemple des notables.

La magistrature, qui trouvait l'occasion d'exercer son

influence, refusa d'enregistrer l'impôt du timbre et celui de la subvention territoriale, car Loménie de Brienne, qui s'était donné la réputation d'un habile administrateur, n'avait point apporté de plans nouveaux au pouvoir, et avait adopté avec de légères modifications les projets de Calonne, comme celui-ci avait suivi ceux de Necker et de Turgot'.

Un lit de justice imposa l'enregistrement à la magistrature, mais elle protesta le lendemain contre la légalité de cet enregistrement; or, ce qu'elle refusait, au milieu des applaudissements populaires qui saluaient les membres du Parlement à leur sortie du Palais de Justice, c'était l'égale répartition de l'impôt, car la subvention territoriale n'était pas autre chose ce qu'il y avait de plus clair dans ces dernières années, c'était là généralité de l'esprit d'opposition.

C'est sur la question d'impôt que se porta toute l'opposition du Parlement : il enregistra les édits sur la liberté du commerce de grains dans l'intérieur du royaume, sur les assemblées provinciales, et sur la corvée, ce qui était mettre à exécution une partie du plan de Turgot.

CHAPITRE XXVII

1

Les jeunes conseillers

Les états généraux demandés par le Parlement. devenus les héros de la multitude. Les clercs de la bazoche. - La reine insultée dans le parc de Saint-Cloud. - Espoir de d'Espréménil. - Assemblée du clergé. Négation générale. Lutte de Loménie de Brienne avec le Parlement. Transaction. La réunion des états généraux fixée au 1er mai 1789. Ce qu'ont été Calonne et Loménie de Brienne. La véritable nature de la lutte. Ce qu'aurait pu faire Necker à la place de Loménie dé Brienne. Retour de Necker. - Nouvelle convocation des notables. Doublement du tiers, vote par tête.

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Le mot d'états généraux avait été prononcé dans le Parlement comme dans l'assemblée des notables. Le Parlement avait même pris, sous l'influence des jeunes conseillers qui formaient la majorité de la cour, un arrêté ainsi conçu : « La nation, représentée par les états généraux, est seule en droit d'octroyer au roi les subsides, dont le besoin sera évidement démontré. »

Ainsi le Parlement qui, sous le ministère de Turgot, s'était montré contraire aux innovations, semblait se dépouiller lui-même d'une prérogative qui lui avait toujours été si précieuse, celle d'enregistrer l'impôt, celle par conséquent de faire des remontrances au roi; il paraissait abdiquer son rôle politique, mais il se flattait sans doute de le conserver dans l'intervalle des sessions. et de voir un grand nombre de ses membres siéger aux états généranx; quoi qu'il en fût, de jeunes conseillers,

comme d'Espréménil et Duport, étaient devenus les héros de la multitude; Duport, dont les vues allaient bien plus loin que celles de d'Espréménil' faisait aux chambres réunies une dénonciation solennelle contre Calonne; cette dénonciation avait un grand retentissement dans l'opinion déjà vivement émue et contribuait à exciter les passions contre la reine, à qui on reprochait d'avoir été favorable à Calonne2. La plupart des parlementaires, d'ailleurs, agissaient comme dans une Fronde nouvelle; d'Espréménil surtout espérait que les états généraux augmenteraient la puissance du Parlement.

:

Nous arrivons à un moment où parlements, états de provinces3, noblesse, assemblée du clergé, firent l'opposition la plus vive au ministre qui se trouvait à la tête des affaires la cour plénière, dont la résistance du Parlement, et, l'on peut dire, son refus de concours, avait motivé la création, excitait une indignation générale, accompagnée de troubles dans plusieurs provinces; la noblesse épousait hautement la cause parlementaire, et l'on eût dit que la division entre la robe et l'épée n'avait

1

« Duport et Fréteau, autres conseillers du Parlement, enthousiastes de la révolution américaine, voulaient faire adopter par les états généraux, des réformes fondamentales et des institutions nouvelles. » (Droz, Histoire du règne de Louis XVI, II° vol., p. 5). M. Louis Blanc, citant ici les Mémoires de l'abbé Morellet, dit que << Duport avait alors transformé sa maison en un club où se réunissaient Mirabeau, Turgot, Ræderer, Condorcet, l'évêque d'Autun. » (Histoire de la Révolution, t. II, p. 190.)

2

<«< Les pamphlets se multiplièrent. Marie-Antoinette fut l'objet d'attaques virulentes les clercs de la bazoche l'appelaient madame Déficit, et des écoliers l'insultèrent dans le palais de Saint-Cloud.» (Droz, Histoire du règne de Louis XVI, t. II, p. 9.)

5 Nous aurons bientôt à parler des états de provinces.

ESPRIT D'OPPOSITION.

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jamais existé, que le même vent soufflait sur tous les esprits, et qu'une même formule les ralliait, la négation. Certes, bien peu en sentaient la portée et auraient pu en expliquer l'origine; mais, comme on verra de plus en plus, chacun alors semblait se soumettre à l'influence régnante; chacun ne voyait qu'une initiative à prendre, celle de l'opposition.

C'est ainsi qu'on vît l'assemblée du clergé elle-même convoquée par Brienne dans le vain espoir d'y trouver de l'appui et un concours pécuniaire, prendre hautement la défense de ce Parlement, auquel elle aurait pu faire tant de reproches, et condamner la cour plénière, où, suivant l'assemblée du clergé dans ses remontrances au roi, la « nation ne voyait qu'un tribunal de cour, dont elle craindrait la complaisance, et dont elle redouterait les mouvements et les intrigues dans les temps de minorité et de régence. » On voit que rien ne manquait à ces remontrances, même le style de l'époque, en particulier l'opposition de la nation à la cour qui est caractéristique; toute la résistance politique semblait alors juste et naturelle, tant le courant qui s'était formé contre le pouvoir entraînait à leur insu les meilleurs esprits. Il paraît que la péroraison de ces remontrances de l'assemblée du clergé eut le plus grand succès dans le public', on y lisait ces mots : « Le clergé de France vous tend des mains suppliantes, et il est si beau de voir la force et la puissance céder à la prière!... La gloire de Votre Majesté n'est pas d'être roi de France, mais d'être roi des Français; et le cœur de vos sujets est le plus beau de vos domaines. » C'était ce qu'on appelait alors de la sensibilité;

1 Voyez Histoire du règne de Louis XVI, par Droz, IIo vol., p. 59.

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