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celle qui leur avait été transmise, pour la royauté était grande, que le roi ne devait pas mourir.

C'était bien là aussi le principe même de l'institution royale: le roi est mort, vive le roi! Si le roi mourait, la royauté vivait toujours; faut-il s'étonner que des enfants appliquassent à l'homme presque le principe de l'institution?

Nous tenons l'autre fait d'un témoin non suspect, d'un vieux général de la république et de l'empire, le lieutenant général Gency, dont la gloire militaire datait de Fleurus et de Marengo 1. Causant avec nous, dans la petite ville de Meulan où il s'était retiré, ét toujours républicain d'opinion, quoiqu'il ne comprît guère son gouvernement préféré que sous une forte dictature, il me racontait les souvenirs de sa jeunesse et le respect qui de son temps faisait la plus grande force du pouvoir. C'était en 1845, et Louis-Philippe, qui était venu vers cette époque à

Le lieutenant général Gency, mort à Meulan, sa ville natale, le 6 janvier 1845, était né en 1765, et il avait servi comme soldat en 1782. On remarque les paroles suivantes dans le discours prononcé sur sa tombe par M. le comte Daru : « Il fit ses premières armes dans les plaines de Champagne, dans les armées des Ardennes, de Sambreet-Meuse. Il dirigea un de ces fiers bataillons qui, sans pain, sans souliers, leurs vêtements en lambeaux, marchaient à la victoire. A la bataille de Fleurus, il commandait la 26° demi-brigade; il eut l'insigne honneur d'être présenté par les généraux Kléber et Marceau au général en chef Jourdan, comme un de ceux qui par leur bravoure avaient le plus contribué au succès de cette journée............ A Marengo, il charge avec Kellermann et triomphe avec lui. Un ordre du jour du major général signala à la reconnaissance du pays les noms de ceux qui s'étaient le plus distingués au milieu du combat, et, dans cette nomenclature des plus braves entre les plus braves, nous retrouvons encore le nom du général Gency.» (Discours prononcé en 1845 par M. le comte Daru aux obsèques du général Gency.)

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Meulan, y avait été entouré avec une curiosité plus grossière qu'empressée, sur la mème place où le général avait vu Louis XVI recevoir un accueil bien différent. Il se souvenait surtout d'un acte de vénération dont l'ancienne royauté avait été l'objet en sa présence: on venait d'annoncer, à un homme qui tenait une petite boutique sur la place de Meulan, l'arrivée de Louis XVI, « C'est le roi ! » dit-il, et au moment où le prince vint à paraître, il tomba genoux sur le scuil de sa boutique.

Il y a, suivant nous, de ces traits de mœurs qui en disent plus que les plus longs et les meilleurs raisonnements. Ce fait n'est pas moins précieux, comme témoignage historique, pour être resté gravé dans la mémoire d'un vieux général de la république et de l'empire, qui, à l'âge de quatre-vingts ans environ, après avoir vu passer tant de pouvoirs divers, aimait à rappeler, quoique républicain d'opinion, ce souvenir de sa jeunesse et cette impression que lui avait laissée l'ancienne monarchie.

On peut attaquer ces sentiments, qu'on retrouvera dans le peuple, mème après la Révolution de 89; mais qui ne comprend qu'ils appartiennent à l'histoire et qu'ils étaient une des bases de l'ancienne monarchie?

Pouvait-on y substituer d'autres sentiments, meilleurs, plus conformes, suivant certains esprits, à la dignité humaine, et cependant conciliables avec le maintien de l'ordre comme avec la durée des sociétés? C'est une autre question, que l'histoire complète de la Révolution résoudra mieux que toutes les considérations des livres et toutes les polémiques des journaux.

CHAPITRE XVIII

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Louis XVI, dernier roi de l'ancien régime. Jeunesse du roi et de la reine. Comment il faut juger les souverains. Le Dauphin et la Dauphine. Leur popularité. - Anecdotes. Éducation de Louis XVI. Comment elle fut dirigée.

Principes sur lesquels elle fut basée.

Caractère religieux de cette éducation.

Question politique.

Après avoir parlé de la royauté, parlons du roi, du dernier roi de l'ancien régime. Le caractère de ce prince, les dispositions qu'il apportait au pouvoir, font aussi partie de l'histoire de cette époque, de l'état de choses que la Révolution de 89 devait renverser.

Quand Louis XVI monta sur le trône, on peut dire qu'un jeune règne commençait. Né le 23 août 1754, ce prince n'avait pas vingt ans. On raconte qu'au moment où Louis XV venait de mourir, au milieu des hommages qu'on rendait au nouveau prince et à la reine MarieAntoinette, tous les deux se jetèrent à genoux en pleurant, et que ces paroles s'échappèrent de leurs lèvres: << Guidez-nous, protégez-nous, mon Dieu! nous régnons trop jeunes 2! »

Pour juger les souverains, il n'y a dans l'histoire qu'un procédé loyal: se rendre compte par leurs actes de leur

La reine, née le 2 novembre 1755, n'avait que dix-huit ans et demi.

2 Mémoires de madame Campan, chap. iv, p. 78.

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véritable nature, de celle qui doit se trouver en contact avec les événements. Ce que le Dauphin et la Dauphine avaient été avant la mort de Louis XV, ce qu'ils furent après, voilà ce qu'il importe de bien savoir, voilà ce qu'il faut dégager de la lutte des partis, des exagérations de la haine, et même de la sincérité d'une sympathie qui s'attache à de grandes infortunes.

Ce qui frappe d'abord dans le jeune Dauphin, qui devait prendre le nom de Louis XVI, c'est le contraste qui existe entre lui et Louis XV, son aïeul. Si ce dernier, en mourant, demande pardon à Dieu de toutes les fautes de sa vie1, son petit-fils, dont le père était si pieux et si pur2, est pur et pieux comme son père. Comme lui on l'avait vu se tenir à l'écart de la cour et de l'entourage de Louis XV.

Les premiers sentiments inspirés par le dauphin et la Dauphine après leur mariage, qui eut lieu en 1770, s'étaient résumés dans le mot, si séduisant pour les princes, de popularité3. Il suffit, à cet égard, de consulter

1 M. de Falloux raconte ainsi la mort de Louis XV: « Le cardinal de la Roche-Aymond, grand aumônier de France, parut avec le viatique. Le roi se souleva avec respect sur son lit; il voulait s'humilier à haute voix devant son Dieu; mais ses forces le trahirent, et il retomba en priant le cardinal de lui servir d'interprète. Le cardinal, tenant le viatique à la main, dit d'une voix émue : « Quoique le roi ne doive compte de sa conduite qu'à Dieu seul, il déclare qu'il se repent d'avoir causé du scandale à ses sujets et qu'il ne désire vivre désormais que pour le soutien de la religion et le bonheur de ses peuples. (Louis XVI, par M. de Falloux, p. 44.)

2 Le Dauphin, père de Louis XVI, mourut à trente-six ans, après une vie vouée tout entière à l'exercice des plus hautes vertus et à l'éducation de ses enfants.

3

«< La première entrée des jeunes époux dans la capitale avait été marquée par ces transports que les Français savent si bien manifes

les divers historiens de l'époque, même les plus opposés à l'ancienne royauté.

Au moment de son arrivée en France, la Dauphine, à peine âgée de quinze ans, avait montré bientôt une sensibilité qui lui était naturelle, qui devait la rendre et qui la rendit populaire. Rapporterons-nous des anecdotes bien connues qui font connaître la jeune princesse et qui la montrent telle qu'elle parut d'abord à la France? Nous croyons qu'elles appartiennent à l'histoire. Un jour, dans une chasse où un pauvre paysan avait été blessé, elle voulut qu'on le transportât dans sa voiture. On la vit panser de ses propres mains un de ses domestiques. Elle s'était faite auprès de Louis XV l'intermédiaire des infortunes isolées et délaissées. Avant d'être mère, elle en avait tous les sentiments: comme on racontait devant elle qu'une femme, au lieu d'implorer sa protection pour obtenir la grâce de son fils, avait cru devoir solliciter celle de madame Dubarry, elle n'en exprima aucun mécontentement : « Ah! dit-elle, si j'étais mère, pour sauver mon fils, je me jetterais aux genoux de Zamore 1! »

ter. Plusieurs fois ils retournèrent à Paris, pour jouir du bonheur qu'ils avaient goûté. Un soir qu'ils assistaient à la représentation du Siége de Calais, de vifs applaudissements accueillirent ce vers:

<< Le Français, dans son prince, aime à trouver un frère,
Qui, né fils de l'État, en devienne le père.

Lorsqu'ensuite ce vers fut prononcé :

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<< Rendre heureux qui nous aime est un devoir si doux! »

Le Dauphin et la Dauphine applaudirent les premiers, et cette réponse excita de nouveaux transports. (Histoire du règne de Louis XVI, par Droz, premier vol., p. 95.)

1 Zamore était, comme on sait, le petit Indien qui portait la queue de la robe de madame Dubarry. (M. de Falloux', Louis XVI, page 36.)

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