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néraux, le firent pour les bourgeois des villes. » (L'Ancien régime et la Révolution, par M. de Tocqueville, pages 131 et 132.) Cette organisation intérieure de la féodalité dont les premiers états généraux furent l'image, si elle s'était transformée en un gouvernement représentatif régulier comme en Angleterre, aurait eu sa raison d'existence; mais, c'est précisément parce que la féodalité proprement dite a été en France si indépendante, si indisciplinée, et qu'elle a tendu à former des principautés séparées au lieu d'un royaume, qu'une politique persévérante a fini par lui enlever toute existence princière, tout gouvernement particulier et même toute administration spéciale, en lui offrant, comme noblesse, une haute position dans l'État; mais une noblesse ne peut-elle exister que sous le régime représentatif anglais, comme aristocratie politique, ainsi que l'entend M. de Tocqueville, ayant une part directe au pouvoir? Telle est, au fond, la question qu'il pose et qu'il résout par l'affirmative dans son livre, écrit tout entier au point de vue de cette forme de gouvernement, point de vue auquel cependant il est impossible de subordonner, pour ainsi dire, toute l'histoire de France; car cela reviendrait à regretter que la France n'ait pas été l'Angleterre. Sans doute le gouvernement représentatif, tel que ce pays l'a obtenu par sa féodalité transformée en aristocratie politique, a plus duré et s'est montré autrement fort que les tentatives de gouvernement représentatif qui ont eu lieu en France depuis 89; mais l'ancienne monarchie française, qui s'est développée, nous l'avons vu, suivant sa nature, qui a formé et élevé les classes inférieures d'après les tendances qui lui étaient propres, n'est pas responsable assurément des échecs que les idées de 89 ont pu subir dans l'établissement du gouvernement représentatif qu'elles ont entrepris de fonder.

CHAPITRE XIV

La noblesse était-elle étrangère à la politique proprement dite?
familles nobles vouées à la magistrature et à l'administration.
Diplomatie. Marine.
grande fonction de la noblesse.
du règne de Louis XIV. Une dernière victoire.

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Guerres

Dans l'étude à laquelle nous nous livrons, nous ne devons négliger aucun des faits qui peuvent expliquer l'état social et politique de la France au dix-septième siècle. Faut-il croire que la noblesse fut alors complétement étrangère aux grandes affaires, et que la bourgeoisie, qui a donné tant de ministres à Louis XIV, en eut seule la direction? Il n'en était pas ainsi; non-seulement cette bourgeoisie s'élevait à la noblesse par les grandes fonctions et lui apportait une considération nouvelle, mais il y avait, dans l'administration comme dans la magistrature, de très-nobles familles vouées à ces deux carrières 1. Ce n'était pas en vain que, depuis Louis XII, la

1 Le garde des sceaux d'Argenson en fut un illustre exemple sous Louis XIV. On lit, dans sa Vie, par M. Pierre Clément : « La famille d'Argenson a rempli pendant plusieurs siècles, soit aux armées, soit dans les carrières civiles, des postes considérables; ses titres nobiliaires sont en outre, des plus anciens, et tellement illustres, que très-peu d'autres familles seraient en droit d'en revendiquer de semblables. Sous Louis XIII un d'Argenson fut tour à tour soldat, conseiller au parlement de Paris, intendant d'armée et administrateur de la Catalogne un moment française. »>

(PORTRAITS HISTORIQUES, par M. Pierre Clément, p. 175.)

magistrature avait joué un rôle si important, et que l'administration avait fait tant de progrès de Henri IV à Louis XIV.

Sans doute la grande fonction de la noblesse était la fonction militaire, celle qu'elle exerçait le plus généralement; mais elle n'en a pas moins produit deux de nos plus grands ministres, Sully et Richelieu, et il Ꭹ eut dans son sein des familles administratives, si l'on peut dire, comme celle des d'Argenson.

Nous ne pouvons entrer, à cet égard, dans de trop longs détails; mais on vit sous Louis XIV une partie surtout du gouvernement civil offrir à la noblesse une grande et belle carrière, nous voulons parler de la diplomatie.

Certes, la bourgeoisie n'en était pas exclue, car on sait qu'un des frères de Colbert avait été ministre des affaires étrangères '; mais il suffit de consulter notre histoire diplomatique pour reconnaître le grand rôle qu'y a joué la noblesse.

Louis XIV a, pour ainsi dire, fondé la diplomatie en France, grande école où l'on apprenait à faire prévaloir l'influence française, où les représentants de nos premières familles, qu'il s'agit d'une question de territoire ou de commerce2, étaient initiés aux grandes affaires et

1 Il fut aussi ambassadeur de France à Londres.

2 Il est curieux de parcourir une introduction rédigée par Colbert, en qualité de ministre de la marine, pour le comte de Vauguyon, ambassadeur de France en Espagne. Colbert y entre dans les détails les plus particuliers sur les intérêts et les droits du commerce français en Espagne, en vertu « du traité des Pyrénées, confirmé par ceux d'Aix-la-Chapelle et de Nimègue. » Colbert fait observer que le commerce de toutes les nations, en Espagne, ne se fait

DIPLOMATIE DE LOUIS XIV.

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avaient à maintenir cet équilibre européen pour lequel leurs ancêtres avaient eu à combattre sur les champs de bataille. C'était le même but, mais qu'il fallait atteindre par d'autres moyens.

Or] il n'y eut pas, suivant M. Guizot, de diplomatie comparable à celle de Louis XIV en Europe, excepté la diplomatie hollandaise1.

Nous croyons que, pour avoir une idée juste du gouvernement de Louis XIV, il importe de le voir à l'œuvre; cet ambassadeur titré, qui, sous la direction de Colbert, doit se concerter avec les marchands, réclamer leurs conseils et se servir des moyens qu'ils pourront lui sug

point par échange de marchandises, mais pour de l'argent comptant qui vient en Espagne du Pérou... « C'est pourquoi il est nécessaire, et Sa Majesté veut que ledit sieur de Vauguyon ait une application toute particulière à maintenir et augmenter ce commerce par tous les moyens que les marchands pourront luy suggérer, et qu'il emploie toujours le nom et les instances de Sa Majesté pour luy donner toute la protection dont ils pourront avoir besoin. »> (Ar= chives de la marine, extrait des dépêches et ordres du roi concernant la marine, sous le ministère de M. Colbert, depuis l'année 1669 jusques y compris l'année 1683. Un vol. in-folio, manuscrit, p. 424 et suiv.)

1

« Les noms de MM. de Torcy, d'Avaux, de Bonrepans, sont connus de tous les hommes instruits. Quand on compare les dépêches, les mémoires, le savoir-faire, la conduite de ces conseillers de Louis XIV, avec celle des négociateurs espagnols, portugais, allemands, on est frappé de la supériorité des ministres français; non-seulement de leur sérieuse activité, de leur application aux affaires; ces courtisans d'un roi absolu jugent les événements extérieurs, les partis, les besoins de la liberté, les révolutions populaires, beaucoup mieux que la plupart des Anglais eux-mêmes de cette époque. Il n'y a de diplomatie en Europe, au dix-septième siècle, qui paraisse égale à la diplomatie française que la diplomatie hollandaise. » (M. Guizot, Cours d'histoire moderne, ou Histoire de la civilisation en Europe, quatorzième leçon, pages 24 et 25.)

gérer, comme nous le voyons dans l'instruction du ministre, fait très-bien comprendre en même temps tout ce que ce gouvernement avait de pratique, et comment les diplomates de la noblesse, ces courtisans, comme les appelle M. Guizot, se trouvaient en contact et avec les intérêts positifs du pays et avec les représentants de ces intérêts.

Enfin, parmi les armes savantes il y er eut une, la marine, dont le cadre d'officiers appartint presque entiè rement à la noblesse, et ce qu'il y a de bien remarquable, ce fut sous l'impulsion même du ministre de la bourgeoisie, de Colbert. « Il faut travailler, écrivait-il à l'intendant de Rochefort, à appeler des gens de qualité dans la marine. » Ce qui prouve qu'avant Colbert ils y étaient peu nombreux 1.

C'était, de la part de Colbert, en même temps un hommage à l'esprit militaire de la noblesse et à son honneur, car, d'après lui, le personnel de la marine laissait álors beaucoup à désirer, et dans la même lettre il se plaint beaucoup des villenies, sans doute des malversations, des capitaines de l'armée navale de Candie.

Or la marine prit un développement extraordinaire sous le règne de Louis XIV. Au moment où Colbert devint ministre, notre flotte n'était que de trente vaisseaux à peine quand il mourut elle en comptait deux cent soixante-seize. On vit, à côté de Duquesne, le comte d'Estrées, Tourville, le maréchal de Brionne, le comte

1 On sait qu'en 89 presque tout le cadre de nos officiers de marine appartenait à la noblesse, la pensée de Colbert avait donc été appliquée.

2 Bibliothèque royale, manuscrits. Colbert et Seignelay, t. IV, cote onzième, pièces, 9 et 10.

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