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tumes n'avaient consacré que peu de chose du droit romain, il devint droit écrit pour celles où la loi romaine, mélangée et non déracinée par le contact des lois barbares, avait passé dans les mœurs et subsistait encore à l'état de droit coutumier... Toute une classe de jurisconsultes et d'hommes politiques, la tête et l'âme de la bourgeoisie, s'éleva et commença, dans les hautes juridictions, la lutte du droit commun et de la raison contre la coutume, l'exception, le fait inique ou irrationnel. « La cour du roi ou le parlement, tribunal suprême et conseil d'État, devint, par l'admission de ces hommes nouveaux, le foyer le plus actif de l'esprit de renouvellement. C'est là que reparut, proclamée et appliquée chaque jour, la théorie du pouvoir impérial, de l'autorité publique, une et absolue, égale envers tous, source unique de la justice et de la loi. Remontant par les textes, sinon par la tradition, jusqu'aux temps romains, les légistes s'y établirent en idée, et de cette hauteur ils considérèrent dans le présent l'ordre politique et civil. A voir l'action qu'ils exercèrent au treizième siècle et au siècle suivant, on dirait qu'ils eussent rapporté de leurs études juridiques cette conviction, que dans la société d'alors rien n'était légitime, hors deux choses, la royauté et l'état de bourgeoisie. >>

Quoique ces formules absolues ne renferment pas toute l'histoire de France, elles caractérisent bien l'esprit parlementaire, qui se manifeste sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Bel et de Charles V; elles montrent l'origine et la nature essentiellement bourgeoises du parlement.

Sous Louis XI, les progrès de la bourgeoisie se manifestent par la création de nouveaux parlements de pro

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vince, ceux de Grenoble, de Bordeaux, de Dijon, par l'importance donnée au parlement de Paris, et l'inamovibilité assurée à la magistrature.

Nous n'avons pas besoin d'insister ici sur la politique toute bourgeoise de Louis XI, que nous avons déjà signalée, ainsi que sur sa lutte contre la féodalité.

Mais le grand résultat de la puissance judiciaire des parlements se produit dès le règne de Louis XII : nous voulons dire leur influence politique. Cette magistrature bourgeoise, qui avait été l'alliée dévouée du pouvoir royal dans sa guerre avec la féodalité, commence alors à faire intervenir son contrôle entre le gouvernement et les gouvernés'.

Ce rôle du parlement durera jusqu'à la révolution de 89, après avoir traversé la Ligue et la Fronde; la Ligue, si voisine de ce règne de Charles IX, sous lequel les ambassadeurs de Venise appréciaient, comme on vient de le voir, le caractère politique de la grande corporation judiciaire et bourgeoise.

Pourquoi les parlements ont-ils fait partie de notre an

1 I. « Il parlamento di Parigi ha amplissima autorità, e de com un senato ove son cento trenta consilieri del re... ha autorità ancora nella giustizia e nelle leggi; e modera, interpreta o reproba del tutto qual che volta le deliberazioni del consiglio privato di sua maesta. » (Relation de l'état de la France, par Marc-Antoine Barbaro, ambassadeur de Venise en 1563 (sous Charles IX). Relations des ambassadeurs Vénitiens, publiées par M. Tommaseo, t. II, p. 26, citation de M. Aug. Thierry, dans son Essai sur l'histoire du tiers état, p. 75.)

II. Le second frein est la justice, laquelle, sans point de difficulté, est plus auctorisée en France qu'en nul autre païs du monde que l'on sache, mesmement à cause des parlements qui ont été instituez principalement pour ceste cause, et à cette fin de refréner la puissance absolue dont voudroient user les rois. (La Monarchie de France, par Claude de Seyssel, Ire partie, chap. x. Item, ilem.)

cien gouvernement, où ils formaient une institution régulière et traditionnelle, et ont-ils exercé une influence dont les états généraux n'ont pu jouir? L'ancien régime et le règne de Louis XVI surtout soulevèrent cette question, que nous aurons à résoudre. Ce qu'il y a de certain, c'est que malgré les services rendus par les états généraux dans certaines grandes circonstances, ces assemblées extraordinaires ont bien été quelquefois l'expression de la société française, mais non pas son organisation politique.

Pour suivre ce mouvement ascensionnel de la bourgeoisie, qui est parallèle au développement de l'autorité royale et à la formation du territoire, nous avons à parler maintenant de l'administration, troisième cadre, de la bourgeoisie, après les communes et le parlement.

Les faits, dès qu'on veut les consulter, ne sont à cet égard, ni moins clairs ni moins complets que pour la grande magistrature des parlements : l'administration ne fut pas moins bourgeoise, sous l'ancienne monarchie, que les parlements, eux-mêmes.

De Suger, ministre de Louis VI, à Colbert, ministre de Louis XIV, la liste des hommes d'Etat plébéiens serait nombreuse et facile à faire.

La raison, la première raison en est simple, nous l'avons déjà donnée; elle appartient à la nature même du clergé chrétien, qui, ouvert à tout le monde, sous l'empire d'une sainte et puissante hiérarchie, offrit bientôt aux rois leurs meilleurs conseillers, souvent leurs seuls conseillers possibles, à l'origine de la monarchie, et l'exemple de gouvernants tirés quelquefois des rangs les plus inférieurs, comme Suger, en présence de cette féodalité, si fière et si belliqueuse, qu'il était alors si difficile de gouverner.

LA ROYAUTÉ, LA BOURGEOISIE.

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La royauté a fait, nous l'avons déjà dit, à l'égard de la société laïque, ce que le clergé avait fait lui-même, dans son propre sein; elle a été le centre du mouvement, qui, parti des communes, a présidé à la formation d'abord de la bourgeoisie, par les franchises municipales, à l'organisation de cette bourgeoisie dans les parlements et enfin dans l'administration, ce qui était l'établissement même du pouvoir civil. Les états généraux auraient-ils obtenu un tel résultat en présence de la féodalité encore puissante et formant une chambre dans les états généraux convoqués régulièrement? Ce qu'il y a de certain, c'est que, pour arriver à cette double conséquence, la formation de la bourgeoisie et l'établissement du pouvoir civil, les parlements ont fait la guerre à la féodalité, et que l'administration a marché dans la même voie, surtout avec Richelieu.

A mesure, en effet, qne la bourgeoisie s'est formée, on peut suivre son influence toujours croissante dans l'administration générale du royaume, de Charles V, de Charles VII et de Louis XI jusqu'à Henri IV, Louis XIII et l'ancien régime.

Quelques faits, sous Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, montrèrent d'abord à quel point la bourgeoisie était devenue maîtresse de l'administration.

Le conseil d'Etat, qui, au quatorzième siècle, se composait mi-partie de membres du clergé et de la noblesse, au seizième se formait en majorité d'hommes de robe, de bourgeois 1.

Or, le conseil d'État était le grand centre administratif du royaume, où se réglaient toutes les affaires.

1 Augustin Thierry, Essai sur la formation du tiers état, p. 84.

Une lettre de Sully à Henri IV donne des détails curieux sur l'effacement de la noblesse dans le conseil d'État, et la prépondérance de la bourgeoisie. D'après cette lettre, les membres bourgeois du conseil y auraient vu avec jalousie, les hommes d'épée, les gentilshommes, si ces derniers et les chefs mêmes de la noblesse, les princes, avaient suivi le conseil de Sully en cherchant à prendre aussi la direction des affaires 1..

Non-seulement, dès le règne de Henri IV, la bourgeoisie était en majorité dans le conseil d'État, dans le pre

1 Voici la lettre de Sully: « Sire, je ne sais pas au vray qui vous peut avoir fait des plaintes qu'il entre plusieurs personnes dans vostre conseil d'Estat et des finances, lesquelles n'y devroient nullement estre admises... Afin de parler selon ma franchise accoustumée, je ne nieray point que je n'aye souvent exhorté les princes, ducs, pairs, officiers de la couronne et autres seigneurs d'illustre extraction, et que j'ay reconnus avoir bon esprit, de quitter les cajoleries, fainéantises, baguenauderies de court, de s'appliquer aux choses vertueuses, et, par des occupations sérieuses et intelligence des affaires, se rendre dignes de leurs naissances et capables d'estre par vous honorablement employéz; et que, pour faciliter ce dessein, je n'aye convié ceux de ces qualités qui ont des brevets, de sè rendre plus assidus ès conseils que nous tenons pour l'Estat et les finances, les asseurant qu'ils y seroient les mieux venus, moyennant qu'ils en usassent avec discrétion et ne s'y trouvassent point plus de quatre ou cinq à la fois, afin de tenir place de pareil nombre de soutanes qui ne fesaient que nous importuner sans cesse; chose qui m'a semblé bien plus selon la dignité de Vostre Majesté et de son Estat, que de voir en ce lieu-là un tas de ministres des requêtes et autres bonnets cornus, qui font une cohue de vostre conseil et voudroient volontiers réduire toutes les affaires d'Estat et de finances en chiquanerie. » (Mémoires de Sully, année 1607, collection Michaud et Poujoulat, t. II, p. 185.)

Par le mot de soutanes, il est évident que Sully entend les hommes de robe, comme au reste cette dernière expression, chiquanerie, le prouve assez. (Note de l'Auteur.)

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