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vait vu une main plus impitoyable,

nous ne voulons rien justifier, mais aussi plus ferme, s'appuyer sur la féodalité, jamais politique plus persévérante l'écarter, la licencier, pour ainsi dire, quand elle ne pouvait l'écraser1.

Henri IV donna à la France le Béarn et la Navarre; Louis XIV, le Roussillon, l'Alsace, le Nivernais, en lui rendant l'Artois et la Franche-Comté; Louis XV, enfin, la Lorraine, la Corse et le duché de Bar.

Les noms de toutes ces provinces, mises à côté de l'Ilede-France et d'une partie de l'Orléanais, royaume de Louis le Gros, sont à eux seuls une histoire et justifient bien le mot d'Armand Carrel : « La royauté a fait la carte de France. >>

On pourrait, dans l'histoire de cette monarchie, placer en regard de chaque règne cette carte qui va toujours en se développant, à partir de l'époque des grands fiefs, et montrer comment tous les fiefs, tous les morcellements du territoire, ont disparu, de roi en roi, pour faire place à l'unité d'un même territoire, d'un même royaume, d'un pays: c'est là un fait qu'on peut appeler géographique, et que la géographie devrait indiquer.

Un premier problème était résolu : la France ne deviendrait pas anglaise, Louis XI vint offrir la solution de la seconde question qui était posée, et l'empêcha de devenir bourguignonne; il frappa, dispersa les grands vassaux, les effaça en favorisant le pouvoir des villes et le régime municipal. C'est ainsi surtout qu'il travailla à la carte de France. « Les grands s'étaient crus forts, dit M. Michelet dans son Histoire de France, au début du règne de Louis XI; mais le roi, pour leur lier les mains, n'eut qu'à parler aux villes. En Normandie, il remet Rouen à la garde de Rouen; en Guienne, il appelle à lui les notables; en Auvergne, en Touraine, il autorise les gens de Clermont et de Tours à s'assembler « par cri public,» sans consulter personne, etc. » (T. VI, p. 3 et 4.)

LA ROYAUTÉ.

LES COMMUNES.

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Cependant, il y avait un autre moyen encore de faire la carte de France, c'était d'opposer une première force, une force partout répandue, locale, à la féodalité, locale ellemême; car les adjonctions successives de provinces, par les mariages ou les conquêtes, la politique ou par les armes, le développement territorial n'auraient pas suffi; la lutte, dans une société aussi remuante, aussi indépendante, que l'était dès l'origine la société féodale, pouvait recommencer, comme en effet elle se renouvela souvent et longtemps.

Or, le point de départ de cette pacification nécessaire, et de cette première organisation de la société française, fut l'établissement des communes que nous avons déjà signalé sous Louis le Gros, des communes sur lesquelles nous venons de voir Louis XI s'appuyer.

En favorisant, en développant l'esprit communal, la royauté française enlevait des sujets aux princes de la féodalité, elle formait une classe nouvelle, qui, dans les villes, surtout, allait tenir en échec cette féodalité guerrière : cette nouvelle classe, était la bourgeoisie.

C'est là un grand et vieux fait, un des plus importants de l'histoire de France, qui a aujourd'hui plus de sept cents ans de date, puisqu'il remonte au douzième siècle.

On sait quels furent les priviléges des villes affranchies sous le nom de communes, l'élection de leur maire, de leurs échevins, qui étaient ses conseillers, le droit de se réunir, de se défendre, d'avoir des troupes et une bannière en même temps qu'il y avait là une tradition du régime municipal romain, c'était une espèce de féodalité bourgeoise avec le principe de l'élection.

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Nous n'avons pas à suivre ici les communes de France les villes et des campagnes dans les variations du régime

nouveau qui venait servir de contre-poids à la féodalité, après lui avoir d'abord résisté par les armes, et soutenir la royauté comme on le vit, sous Philippe-Auguste, à la bataille de Bouvines 1. Nous devons, dans le cadre que nous ne voulons pas dépasser, nous borner à de simples indications quant au régime communal, montrer surtout le point de départ, en attendant que nous ayons à marquer le point d'arrivée. L'origine de la commune, son résultat, qui doit rester et qui restera, la bourgeoisie, voilà ce qui doit d'abord nous occuper.

A côté de ce grand fait communal, qui ouvrait la porte à la formation de la bourgeoisie et à l'émancipation des serfs, suivant ces belles paroles de Louis le Hutin, qui voulait que les seigneurs « prissent exemple de lui, et qu'ils ramenassent leurs serfs à cette franchise qui appartient à chacun de nous par nature; » il y a un autre fait, dont l'origine remonte à Louis le Gros, quand ce prince attribua aux juges établis par le roi le droit de réformer les sentences des juges féodaux.

Là était le principe de cette magistrature, qui donna le plus haut développement à la bourgeoisie et au pouvoir civil, dans la société et dans l'État, en faisant entrer la partie la plus éminente de la bourgeoisie dans la grande

1 Après cette bataille, Philippe-Auguste partagea le butin aux milices des communes, et à chacune de celles-ci une partie des prisonniers et des bannières. Quoique les chevaliers, comme on appelait alors les nobles, eussent vaillamment combattu, cette politique de Philippe-Auguste est facile à comprendre les communes offraient à la royauté une force militaire nouvelle, distincte de l'ancienne féodalité, indépendante. Nous avons déjà vu Louis le Gros préférer combattre avec « la nombreuse armée du bienheureux saint Denis, si dévouée à la couronne; » l'abbaye et la commune, deux grandes alliées des rois de France. (Nole de l'auteur.)

ORGANISATION DE LA FRANCE.

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organisation judiciaire, qui prit le nom de parlements. Les parlements ont eu une bien grande part, une part décisive à la formation du pouvoir civil en France : ils ont traversé toute la monarchie.

La royauté française, on le sait, fut loin de négliger l'épée pour fonder notre nationalité et notre société; mais, en même temps, elle s'est beaucoup servie de la main de justice, et cette main de justice, c'est la bourgeoisie qui l'a tenue; c'est elle qui, après les défaites de la partie la plus remuante, la plus indisciplinée de la féodalité, sur les champs de bataille, lui a fait, sous bien des formes, son procès dans les parlements, à l'influence guerrière, qui dominait tout, est venue après le clergé, mais par d'autres moyens, opposer une influence pacifique, dont nous aurons à apprécier la portée.

Nous verrons plus tard la royauté, par les mêmes motifs qui lui ont fait créer les parlements, offrir un dernier cadre à la bourgeoisie, l'administration.

Les communes, les parlements, l'administration, telles furent les trois issues par lesquelles la bourgeoisie française est sortie de l'organisation féodale et a contribué à la changer si profondément.

Les communes, les parlements, l'administration, étaient-ils le meilleur mode d'organisation qui pût s'offrir en France pour toute cette partie de la société qui, étrangère au clergé et à la classe des seigneurs féodaux, avait cependant à suivre ce mouvement de la civilisation chrétienne, si bien indiqué par les paroles de Louis le Hutin, civilisation qui avait pour but de protéger et d'élever les humbles, mais progressivement, sans irruption violente, ce qui était la conséquence naturelle de l'instruction si généreusement offerte par l'Église, dans ses ca

thédrales et ses monastères? Ce qu'il y a de certain, c'est que, si la royauté a été le centre de l'organisation et du mouvement ascensionnel de la bourgeoisie, les parlements, dont l'origine remonte à Philippe-Auguste et à saint Louis, ont marqué ce mouvement par une influence presque toujours croissante, jusqu'au roi Louis XVI, de 1189 à 1789, c'est-à-dire pendant presque toute la durée de l'ancienne monarchie.

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