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HUGUES CAPET, LOUIS DE GROS.

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çaises, tel qu'il s'est accompli sous la troisième race. D'une puissance supérieure à celle de la plupart des autres seigneurs féodaux, fils de Hugues le Grand, petitfils de Robert le Fort, Hugues Capet, par son avénement seul, commença une réaction contre le régime féodal, quoiqu'il en fût sorti. La royauté était sans force il la relevait désarmée, il lui rendait une épée. A peine roi lui-même, il ne fait pas élire, mais sacrer son fils Robert et l'associe à la royauté, pour assurer d'avance l'hérédité de sa couronne. C'est ainsi que s'établit en France cette loi salique, dont nous avons déjà montré toute l'importance, ce principe de l'invariabilité monarchique, en vertu duquel le fils aîné devant hériter de la couronne, la royauté ne pouvait tomber en quenouille, et le roi ne mourait pas en France. Ce principe a été la royauté ellemême, la royauté française, il a fait, en même temps, l'unité du gouvernement et l'unité du territoire.

Le premier règne qui jette une vive lumière sur la mission de la troisième race est celui de Louis le Gros, le sixième des successeurs de Hugues Capet. Venant à la suite de princes qui ont maintenu l'hérédité royale sans mélange d'élection, il fait plus qu'aucun de ses prédécesseurs, il entreprend une lutte ouverte contre la féodalité, il l'attaque par deux bouts, la guerre contre les seigneurs de son propre domaine, l'émancipation des

communes.

La monarchie, celle qui obéissait au roi, et encore avait-il à lutter, nous venons de le dire, contre les vassaux de son propre domaine, se bornait alors à l'Ile-deFrance et à une partie de l'Orléanais tel était le point de départ de la grande entreprise où Louis le Gros et l'abbé Suger, ce grand ministre, s'engagèrent avec tant

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de courage et de génie, pour marcher avec tant de sévérance.

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Quel était donc le meilleur auxiliaire de Louis le Gros? A cette époque féodale, un homme sans naissance, dont les parents mêmes sont restés obscurs et inconnus, un oblat, Suger; mais Suger était abbé de Saint-Denis, et l'abbaye dont il était le chef pouvait alors venir en aide à la royauté, aux communes, que la royauté prenait sous son patronage.

L'existence de l'abbaye de Saint-Denis remontait bien haut, à l'année 637 et à la première race. Cette abbaye était une puissance par l'étendue de ses biens, le nombre. de ses vassaux, ses richesses, l'enseignement qu'elle donnait, le concours qu'elle apportait traditionnellement, on peut le dire, à l'autorité royale. La citation que nous faisons au bas de cette page, montre bien l'état d'une société,

1 Oblat signifiait un enfant offert (du mot oblatus), à un monastère par ses parents, pour y être élevé et consacré à la vie religieuse. Le père de Suger s'appelait, croit-on, Élinand, mais on ne sait s'il était de Tours, de Saint-Omer ou de Saint-Denis même. M. Pierre Clément, dans ses Portraits historiques (p. 7), donne ainsi la formule de l'acte d'oblation, où suivant la foi et les mœurs de l'époque, le père du jeune enfant qui devait être Suger, le vouait au service de Dieu : « Moi, Élinand, je donne à Dieu, à Notre-Dame, au révérend abbé de Saint-Denis, à ses successeurs et à l'ordre de Saint-Benoist, mon fils Suger, afin qu'il y serve Dieu et tous ses saints jusqu'à la fin de sa vie, selon la règle de l'ordre de saint Benoist; et je le donne de la sorte à Dieu pour la rémission de ses péchés, des miens et de tous ceux de ses parents. » N'est-il pas bien remarquable que, par une destinée providentielle, cet enfant, ainsi consacré à Dieu, l'était à la France et devait être un de ses plus grands ministres?

2 «Cependant la puissance temporelle et politique de l'antique abbaye allait toujours en grandissant, et il semblait que son existence se rattachât plus étroitement chaque année à l'existence même de la monarchie. Dans leurs luttes sans cesse renaissantes avec l'Empire,

LE CLERGE, LA ROYAUTÉ.

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toute nouvelle et toute féodale, où une abbaye, comme celle de Saint-Denis, prend les armes, dans l'occasion, lève des troupes et vient au secours de la royauté. Quelque éloignées que ces mœurs soient des nôtres, si l'on se reporte à l'époque qu'elles caractérisent, on se rend bientôt compte des causes exceptionnelles et transitoires qui avaient pu amener un tel état de choses: sous le régime belliqueux de la féodalité, la société entière, bien souvent dans le cas de légitime défense, avait fini par s'armer, et se montrait toute bardée de fer. Or, un même intérêt d'ordre et de paix rapprochait le clergé et la royauté dans les luttes qui s'engageaient alors sur tant de points du territoire. Ces terres si considérables, ces richesses

avec les grands vassaux toujours frémissants, lorsqu'ils n'étaient pas en état de révolte ouverte, les rois de France n'avaient pas d'auxiliaires plus dévoués que les abbés et les religieux de Saint-Denis. Plusieurs d'entre eux, Sigobert, Fulrad, Valdo, furent employés par les rois Théoderic, Pépin et Charlemagne, dans des ambassades importantes, et s'y distinguèrent. Au premier bruit de guerre, les religieux chargés d'instruire les générations nouvelles, ceux auxquels était confiée la reproduction des immortels chefs-d'œuvre de la littérature latine, descendaient de leurs chaires ou quittaient la plume. Les plus éloquents parcouraient les paroisses, appelant aux armes, sous l'invocation de Dieu et au nom du seigneur roi de France, tous ceux qui étaient en état de les porter. Bientôt des masses compactes venaient camper, bannière en tête, sous les murs de l'abbaye, aux cris mille fois répétés de: Montjoie et Saint-Denis. Enfin, au jour fixé, en présence du roi, des barons et de toute la noblesse du royaume, ceint de l'épée, revêtu de la cuirasse, du heaume et de la lourde armure des chevaliers, l'abbé de Saint-Denis sortait de l'antique église, précédé de l'oriflamme sainte, aux acclamations d'une foule immense. Puis, suivant la grandeur de la cause à défendre ou l'imminence du danger, il menait en personne une armée de dix à vingt mille hommes sur les champs de bataille dont le roi lui-même lui montrait le chemin.» (Portraits historiques, p. 3., par M. Pierre Clément.

que la première race avait données à l'abbaye de SaintDenis, le pouvoir même de l'antique abbaye, qui remontait à cette race, son influence religieuse, offraient à un roi de la troisième, celui précisément qui allait prendre les premières initiatives dans la formation de la monarchie française, qui allait commencer la carte de France, une des grandes ressources de la royauté, et, parmi ces ressources, la plus extraordinaire peut-être, un moine, pauvre enfant élevé par charité, futur premier ministre et régent du royaume.

Nous avons vu le clergé des Gaules traiter avec la barbarie, la faire agenouiller devant le christianisme et la civilisation, qu'il maintenait en la purifiant; le clergé continue son œuvre, même au milieu du monde féodal, et l'alliance qui doit amener l'affranchissement des communes, Louis le Gros la forme avec une abbaye. On disait alors les terres, les vassaux d'une abbaye. Si ces grands établissements, cette puissante organisation d'une propriété pacifique, intelligente, naturellement disposée à se rallier autour d'un pouvoir protecteur, n'avaient pas existé, même sous la forme féodale, que serait-il arrivé? Si l'abbaye de Saint-Denis et Suger avaient manqué à Louis le Gros, à son successeur, Louis VII, et saint Remi à Clovis, si l'élément religieux n'avait pas dominé dans la société française l'élément barbare, et ensuite l'élément féodal, assez pour qu'un abbé de Saint-Denis, l'allié de nos rois, allât jusqu'à prendre l'épée pour l'arracher à la féodalité dans ses violences et dans ses excès, que seraient devenues la civilisation, la monarchie, la société françaises, privées d'un tel point de départ et d'un tel point d'appui?

Nous ne voulons rien exagérer à l'égard de cette féo

LA CIVILISATION CHRÉTIENNE.

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dalité; nous l'avons vu : elle a fait son œuvre contre les nouvelles invasions qui menaçaient l'Europe d'une guerre perpétuelle, qui l'empêchaient de sortir des ruines de l'empire romain; elle-même, dans ce qu'elle a eu de civilisateur, n'a-t-elle pas dû beaucoup au christianisme et au clergé chrétien ? Il y aura, certes, une alliance plus intime qui se montrera plus tard entre la race féodale et la pensée chrétienne, le dévouement chrétien; la religion continuera, à l'égard de la féodalité, l'œuvre qu'elle a commencée à l'égard de la barbarie, nous le verrons dans de grandes et mémorables circonstances. Maintenant, nous sommes en présence des faits qui sont les origines mêmes de la monarchie.

Nous croyons que, dans l'histoire, il faut éviter toute partialité, tout esprit d'exclusion; mais, sans vouloir nier aucunement la part de la féodalité dans la défense du territoire, qui refusera de reconnaître à quel point se manifestent ici les deux éléments constitutifs de cette monarchie, le christianisme, la royauté de la troisième race, et, sans le christianisme, qu'aurait été la royauté? Qu'eût été le monarque, le glorieux émancipateur de nos conmunes, sans le pauvre moine, le grand roi sans le grand ministre?

L'émancipation des communes, dont l'origine remonte à Louis le Gros et à Suger, a été un véritable progrès, mais il y avait eu d'abord une émancipation d'un ordre bien supérieur, celle des hommes de toute race, de toute classe, serfs et pauvres, qui entraient dans le clergé régulier et séculier, auxquels l'Église ouvrait les portes de ses sanctuaires, quand ils n'étaient rien devant le pouvoir temporel.

Il y avait, dans le clergé, un mouvement perpétuel qui, élevant les humbles, triomphait de la force maté

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