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HISTOIRE

DE LA

RÉVOLUTION DE 89

CHAPITRE PREMIER

89: la Papauté. — Logique des idées.

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La grande cause de la Révolu

tion. D'où vient-elle ? où va-t-elle ? Division et incertitude des idées : quelle en est la raison et la cause principale? Comment déterminer l'origine première de la Révolution de 89?

Pourquoi ce

livre est-il encore à faire? - Histoires diverses de la Révolution. Philosophie du dix-huitième siècle. Son origine. - Paroles de BosCe que dit Condorcet dans la Vie de Voltaire; fin du règne de

suet. Louis XIV.

Il y a une date qui parle toujours aux intelligences, qui, après tant d'années écoulées, reparaît toujours nouvelle, et semble écrite sur l'avenir comme sur le passé et sur le présent: cette date est celle de 89.

La Révolution, dont elle est comme la formule, estelle une lumière qui doit planer désormais au-dessus de l'humanité en dissipant tous les nuages? A-t-elle créé à jamais des horizons nouveaux, en même temps qu'elle resplendit sur des voies nouvelles, sur une Amérique tou

jours ouverte, sans océan et sans tempêtes, dont l'esprit de 89 est le Christophe Colomb toujours heureux; ou bien cette Révolution est-elle l'incendie qui peut tout consumer? Son drapeau est-il celui de la civilisation européenne, du progrès européen, ou le symbole même de l'esprit de destruction? Enfin est-elle un mélange mystérieux d'éléments contraires, une lutte entre le bien et le mal, où nous avons à choisir, et, si l'on peut dire, à ramasser le dé de nos destinées, jeté sur la poussière de ce terrible champ de bataille? Tout cela, pour les opinions diverses qui nous séparent, est dans la date même de 89.

Ce qu'il y a de certain, c'est que les idées, dont cette date est comme la formule, ne cessent de remuer partout les esprits, qu'elles ébranlent tout un grand pays voisin, et qu'aujourd'hui même, au moment où nous parlons, elles attaquent la Papauté, la plus antique tradition, le pouvoir le plus vénéré du monde chrétien, en même temps que la base de l'Église, rapprochant ainsi les siècles et les lieux, 1789 et 1861, la monarchie trèschrétienne et la souveraineté pontificale, Versailles et le Vatican.

Nous croyons donc entreprendre une œuvre plus nécessaire que jamais, une œuvre pacifique, nous tenons à le dire, en écrivant, au point de vue de la logique des idées et des faits, l'histoire d'une Révolution qui, de l'aveu de tout le monde, a jeté dans la politique tant de théories, excité tant de passions, amené des résultats si contraires, au nom d'un même principe, la liberté, qu'au lieu d'avoir fondé une société nouvelle, comme on l'a dit, elle paraît toujours en travail d'une transformation générale du monde et des sociétés humaines.

QUELLES SONT LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION.

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Or, en présence de cet effort souvent trompé, effort violent et terrible, quand il s'est agi plus d'une fois déjà de toucher au but et de triompher de toutes les résistances, morales et matérielles, de l'ancien ordre européen, le moment est venu, après tant de péripéties où se manifeste, avec une persistance extraordinaire, le vieil esprit de 89, d'en rechercher l'origine dans l'histoire elle-même, celle d'une Révolution qui a exercé et qui exerce encore une si grande influence, qu'amis et ennemis, tous sont intéressés à lui demander sa raison d'être et à consulter sérieusement son passé sur son présent et sur son avenir, sur le présent et sur l'avenir de l'Europe.

Est-il même personne de si humble, de si petit, de si étranger, en apparence, aux affaires générales, qui n'ait besoin, si l'on y réfléchit, d'avoir des idées justes et complètes sur une Révolution qui est le principe des événements contemporains, qui touche, par conséquent, à tous les intérêts, au premier de tous, à celui des consciences, à la religion qui a changé la civilisation du monde?

Dans le cas où toute la question de 89 porterait, comme beaucoup le pensent, sur un ensemble de théories dont le but ne serait pas encore atteint, comment fixer les idées, au milieu même d'une lutte qui dure toujours, sur la nature réelle de ces théories, sur la cause principale des événements qu'elles auraient amenés? Comment, au milieu de tant de faits, parmi tant de causes secondaires, si nombreuses, qu'elles se confondent sans cesse dans le récit des historiens, démêler cette grande cause, s'il n'y en a qu'une, si au moins elle domine toutes les autres? Comment arriver au point de vue sérieux et pratique, qui est celui de l'histoire? Nous

croyons l'avoir dit, en prenant pour règle unique la logique des idées et des faits. Seule elle peut résoudre la grande question de la Révolution de 89: d'où vient-elle, où va-t-elle?

Mais, d'abord, une autre question se présente ici naturellement pourquoi ce livre est-il encore à faire? Comment, après une expérience de tant d'années, de faits, d'idées et de gouvernements, dans cette France qui a vu éclater la Révolution de 89, nous semble-t-il plus que jamais de circonstance?

C'est qu'au bout de bien des solutions qui nous ont été offertes sous le nom de pouvoirs tombés tour à tour, il reste, parmi nous, sur les faits et sur leurs causes, comme sur leurs résultats, une grande différence d'appréciation, non-seulement entre les opinions contraires, mais souvent dans le sein d'un même parti; c'est que la même divergence existe en Europe.

Cette division et cette incertitude des idées sont l'état propre de la société qui nous entoure. Les vieillards, bien peu nombreux maintenant, qui furent les contemporains de la Révolution, ont un souvenir plus ou moins confus des faits auxquels ils ont assisté, mais dont la perspective s'efface devant eux, dans un lointain qu'ils aperçoivent à peine; près de mourir sans avoir vu la solution qu'ils ont désirée, à laquelle souvent ils ont travaillé, ils vivent, la plupart, sur un fonds commun d'impressions et d'idées, qui, dans les divers partis, a pu se former à l'égard de cette époque et de ses conséquences.

S'il en est ainsi de ceux que la date de leur naissance rapproche au moins de 89, comment l'opinion des générations nouvelles aurait-elle pu se dégager de tant de divisions et d'incertitudes, souvent de tant de luttes et

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de haines, à mesure qu'elles ont passé devant cette Révolution et les gouvernements qui en sont sortis?

Ces pouvoirs de circonstance, qui tous devaient la terminer, et auxquels on l'a vue survivre, n'ont pu contribuer à éclaircir les idées sur cette question toujours pendante de la Révolution de 89, qu'ils aient emprunté plus ou moins à ses principes ou à ses résultats.

Les partisans de ces pouvoirs, ceux qui ont trouvé des satisfactions d'ambition, d'intérêts ou d'idées, dans les divers régimes qui ont suivi 89, ont jugé cette Révolution d'après l'influence qu'elle a exercée sur leur temps, sur les gouvernements qu'ils ont aimés ou servis : ce sont les opinions de ces hommes qui ont inspiré ces discussions de la tribune, où, sous tant de formes, la question même de la Révolution a été agitée, et cette polémique, si longue, si ardente de la presse, qui n'a pu réussir à fixer, sur cette grande et capitale question, les idées du plus grand nombre.

Il y a enfin les histoires diverses de la Révolution, écrites presque toutes, à de rares exceptions, dans des intérêts de partis, guerre après la guerre, où chacun s'est efforcé de faire triompher son opinion et sa cause.

Au milieu de tous ces plaidoyers de partis, comme de toutes ces ruines de gouvernement, de la division et de la contradiction des opinions, des doutes, des découragements, il doit y avoir cependant une vérité. N'est-il pas même permis de penser que la cause principale de la scission profonde des idées et des sentiments, que nous venons de signaler, est dans l'ignorance et l'oubli d'une vérité supérieure aux motifs qui séparent et agitent les partis? Si l'on ne sait bien ce que ceux-ci acceptent, ce que ceux-là repoussent de la Révolution de 89, si l'on

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