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ront cent fois plus forts, car ils marcheront alors avec l'opinion générale. Quand ils ne voudront plus se tenir dans l'exception, et contrarier l'esprit des choses, ils n'auront rien à craindre de ce que l'humeur pourra leur dire. Enfin, tout n'est pas fait dans un gouvernement pour des ministres : il faut vouloir ce qui est de la nature des institutions sous lesquelles on vit; et, encore une fois, il n'y a pas de liberté constitutionnelle sans liberté de la presse. Une dernière considération importante pour les ministres, c'est que la liberté de la presse les dégagera d'une responsabilité fàcheuse envers les gouvernements étrangers. Ils ne seront plus importunés de toutes ces notes diplomatiques que leur attirent l'ignorance des censeurs et la légèreté des journaux; et, n'étant plus forcés d'y céder, ils ne compromettront plus la dignité de la France.

CHAPITRE XXII.

La Chambre des députés ne doit pas faire le budget.

La Chambre des Députés connaîtra donc ses droits et sa dignité; elle demandera donc, le plus tôt possible, la liberté de la presse: voilà ce qu'elle doit faire. Voici ce qu'elle ne doit pas faire: elle ne doit pas faire un budget. La formation d'un budget appartient essentiellement à la prérogative royale. Si le budget que les ministres présentent à la Chambre des Députés n'est pas bon, elle le rejette. S'il est bon seulement par parties, elle l'accepte par parties; mais il faut qu'elle se garde de jamais

remplacer elle-même les impôts non consentis par des impôts de sa façon, ni de substituer au système de finances ministériel son propre système de finances; voici pourquoi :

Elle se compromet. Le ministre restant est l'exécuteur de ce nouveau budget; il a à venger son amour-propre, à justifier son œuvre. Dès lors, ennemi secret de la Chambre, ce ne seroit que par une vertu extraordinaire qu'il pourroit mettre du zèle à seconder un plan qui a cessé d'être le sien : il est plus naturel de supposer qu'il l'entravera, et le fera manquer dans les points les plus essentiels. Puis, à la prochaine session, il viendra, d'un air modestement triomphant, annoncer à la Chambre qu'elle avoit fait un excellent budget, mais que malheureusement il n'a pas réussi.

Qu'est-ce que les députés répondront? Notre budget, diront-ils, n'étoit peut-être pas excellent, mais il étoit meilleur que le vôtre. Soit, répliquera le ministre; mais il y a un déficit : vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes, et n'avez rien à me reprocher.

Règle générale: le budget doit être fait par le ministère, et non par la Chambre des députés, qui est le juge de ce budget. Or, si elle fait le budget, elle ne peut demander compte de son propre ouvrage, et le ministère cesse d'être responsable dans la partie la plus importante de l'administration: ainsi les éléments de la constitution sont déplacés.

Mais ces déviations de la ligne constitutionnelle, ces agitations, ces efforts, proviennent, comme

tout le reste, dans la dernière session, de la lutte du ministère contre la majorité. Que le ministère consente à retourner aux principes, et le budget, convenu d'avance entre lui et la majorité, passera sans altercation: les choses reprendront leur cours naturel, et l'on sera étonné du silence avec lequel les affaires marcheront en France.

Soit dit ainsi de la prérogative royale, de la Chambre des pairs, de la Chambre des députés: parlons du ministère.

CHAPITRE XXIII.

Du ministère sous la monarchie représentative. Ce qu'il produit d'avantageux. Ses changements forcés.

Un avantage incalculable de la monarchie représentative, c'est d'amener les hommes les plus habiles à la tête des affaires, de créer une hérédité forcée de lumières et de talents 1.

La raison en est sensible. Avec des Chambres, un ministère foible ne peut se soutenir; ses fautes, rappelées à la tribune, répétées dans les journaux, livrées à l'opinion publique, amènent en peu de temps sa chute.

Je ne cherche donc point, dans un gouvernement représentatif, de causes trop privées aux changements des ministres. Quand ces changements sont fréquents, c'est tout simplement que ces ministres ont embrasssé de faux systèmes, méconnu l'esprit

* Réflexions politiques.

public, ou qu'ils ont été incapables de supporter le poids des affaires.

Sous une monarchie absolue, on peut s'effrayer de la succession rapide des ministres, parce que ces révolutions peuvent annoncer un défaut de discernement dans le prince, ou une suite d'intrigues de cour.

Sous une monarchie constitutionnelle, les ministres peuvent et doivent changer jusqu'à ce qu'on ait trouvé les hommes de la chose, jusqu'à ce que les Chambres et l'opinion aient fait sortir l'habileté des rangs où elle se tenoit cachée. Ce sont des eaux qui cherchent à prendre leur niveau; c'est un équilibre qui veut s'établir.

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y aura donc changement tant que l'harmonie ne sera pas exactement établie entre les Chambres et le ministère.

CHAPITRE XXIV.

Le ministère doit sortir de l'opinion publique et de la majorité des Chambres.

Il suit de là que, sous la monarchie constitutionnelle, c'est l'opinion publique qui est la source et le principe du ministère, principium et fons; et, par une conséquence qui dérive de celle-ci, le ministère doit sortir de la majorité de la Chambre des députés, puisque les députés sont les principaux organes de l'opinion populaire.

C'est assez dire aussi que les ministres doivent être membres des Chambres, parce que, représen

tant alors une partie de l'opinion publique, ils entrent mieux dans le sens de cette opinion, et sont portés par elle à leur tour. Ensuite le ministredéputé se pénètre de l'esprit de la Chambre, laquelle s'attache à lui par une réciprocité de bienveillance et de patronage.

CHAPITRE XXV.

Formation du ministère : qu'il doit être un. Ce que signifie l'unité ministérielle.

Le ministère une fois formé doit être un 1. Cela

ne veut pas dire que la différence d'opinions politiques dans des hommes de mérite, lorsqu'ils sont encore isolés, soit un obstacle à leur réunion dans un ministère. Ils peuvent y entrer, parce qu'on appelle en Angleterre une coalition 2, convenant d'abord entre eux d'un système général, faisant chacun les sacrifices commandés par l'opinion et la position des affaires. Mais une fois assis au timon de l'état, ils ne doivent plus gouverner que dans un même esprit.

L'unité du ministère ne veut pas dire encore que la couronne ne puisse changer quelques membres du conseil, sans changer les autres; il suffit que les membres entrants forment un système homogène d'administration avec les membres restants. En Angleterre, il y a assez fréquemment des

I

1 Réflexions politiques. Rapport au Roi.

2 M. Canning, avant d'entrer au ministère britannique, s'étoit battu avec lord Castlereagh pour cause d'opinions politiques.

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