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ticulièrement Munster & le pays d'alentour, Brunfwick, &c. fe diftinguent en ce genre; on y file beaucoup de lin pour chaînes de toileries, qui fe fabriquent en très grand nombre dans le duché de Berg & aux environs ; on y fait & retord beaucoup de fils à coudre ; & tous ces objets de main d'œuvre en font un confidérable commerce. Il n'y a guère de fortes de toileries de Rouen qu'on nimite à Berg & aux environs; elles y font moins parfaites à plufieurs égards, mais elles font à plus bas prix; & le peuple de la Baffe - Allemagne, n'étant pas très-fortuné, s'en accommode fort bien. Cette bouffole, là comme ailleurs, pour occuper les ouvriers & déboucher le produit de leur maind'œuvre, vaut mieux que notre machine réglementaire: machine vraiment machine, toujours vieille avant que d'être achevée; & qu'on use encore à chaque instant, à force de réparations.

La Heffe, fes environs, ceux de l'Hanover, & l'Hanover même, produifent beaucoup de toiles communes & groffières : ce font ces parties de l'Allemagne qui fourniffent aux Anglois l'immense quantité de toiles d'emballage que néceffitent les prodigieufes expéditions de marchandifes de tant d'efpèces qu'ils font dans tous les pays du monde; comme la Ruffie lui fournit la quantité autant & plus immenfe encore, de toiles à voiles, foit pour fa marine royale, foit pour fa marine marchande; comme encore Petersbourg, Riga, Konisberg & Mammel fourniffent à prefque toutes les nations navigantes, ou les cordages, dans les pays où la main-d'œuvre eft fort chère (même en Hollande, quoiqu'il s'y en faffe beaucoup), ou les chanvres pour les fabriquer. On peut juger, d'après cela, que ces diverfes contrées, du moins quant à la fe fuffipartie des toiles ordinaires & communes, fent & au-delà.

On jugera mieux encore, par un article, fous le titre de manufacture de fil, extrait d'un ouvrage nouveau (1), & que je vais tranfcrire, de ce que la Ruffie en particulier, fait & peut faire dans ce genre de fabrication & de commerce. Elle a le plus grand intérêt & la plus grande facilité à étendre & à perfectionner fes fabriques de fil: le lin & le chanvre, qui en font les matières, croiffent abondamment dans fes provinces, & leur bonté eft prouvée par l'ufage prodigieux qui s'en fait dans toute l'Europe. Au lieu de les vendre en nature, la Ruffie gagneroit infiniment à les mettre en œuvre, & à faire de ces ouvrages une branche d'exportation, qui lui affureroit les bénéfices que les étrangers trouvent à manufacturer ces mêmes matières qu'ils vont chercher dans fes ports. Pour

(1) Effai fur le commerce de Ruffie, &c Amfterdam, 1777.

Le poud eft de 40 livres de Ruffie, environ 33 livres de France.

L'archine; Ico aunes de France font 164 archines.

cela, elle a befoin de fileuses, de tifferands & dé blanchifferies. Ce qu'elle possède dans ces trois genres, eft trop médiocre pour pouvoir jamais ajouter un degré de perfection ou d'extention à fes fabriques, & la preuve s'en tire de l'impoffibilité où les Ruffes ont été jufques ici, de faire du linge de corps au-deffus du mauvais.

Les manufactures de fil qui fe trouvent en Ruffie confiftent en nappages, toiles blanches, étroites, toiles à voiles, cordages, &c. &c.

Les fabriques de nappages de la premières qua lité font au nombre de trois, dont deux à Jaroflow, fur le Volga, & une à Moscow. Les deux premières font tenues par le Ruffe Savajacoblow, fucceffeur de Zatrapezow, qui les a établies fous l'impératrice Elifabeth; elles contiennent environ huit cents métiers, & occupent quatre mille ouvriers des deux fexes: celle de Moscou appartient aux Hollandois nés & naturalifés en Ruffie. Les ouvrages qui fortent de ces fabriques, fur-tout ceux en deffin, font d'une grande beauté, & peuvent le difputer à ceux de Siléfie. La cour & les grands n'en employent pas d'autres. On préfume que le bénéfice de ces fabriques eft de dix à douze

pour cent.

Il feroit difficile de déterminer le nombre des fabriques de nappages ordinaires: on peut feulement affurer qu'il y en a une grande quantité, & qu'elles font tenues pour la plupart, par la nobleffe du pays. Comme on n'emploie, pour toutes fortes de nappages, que des ouvriers nationaux qu'on paie, en grande partie, à trois fols par jour, ainfi que dans les manufactures de draps groffiers, il eft aifé de fe perfuader que cette branche d'induftrie Ruffe, eft une fource de richeffes pour les propriétaires de ces fabriques. Au refte, il ne fe fait prefque point d'exportation de nappages de Ruffie.

Les toiles blanches & étroites font d'un rapport très-important. Outre celles qui fe débitent dans le pays, il s'en exporte des parties confidérables pour l'Angleterre & la Hollande, & de moindres pour le Portugal & l'Espagne. Le prix de ces toiles eft de quarante à cent dix copeks les mille archines.

On fait que les toiles à voiles & les cordages, font deux objets principaux dans le commerce de Ruffie. A l'exception de la France, l'Europe ma

ritime s'en fournit.

On fait encore, dans l'empire, beaucoup de toiles pour l'habillement des matelots, que l'on nomme calamine ravindok & wlams. L'exportation s'en fait par les Hollandois, & fur-tout par les Anglois qui les font paffer dans leurs colonies d'Amérique.

A ces détails, & pour ces feuls objets, je joindrai la notice de ce qui s'exporte de Ruffie année commune, prise des années 1767, 1768 & 1769.

Graine

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Plus d'une fois encore, foit en comparant certaines de ces toiles, avec certaines des nôtres, foit en parlant du commerce qui s'en fait en concurrence à Cadix, nous aurons occafion de parler des toiles de Siléfie, l'un des pays du monde où il s'en fabrique le plus; en attendant, nous obferverons que la Siléfie a imité toutes les espèces de toiles que les différentes nations envoyent à Cadix pour être transportées aux Indes Orientales; que ces toiles, très-blanches & bien apprêtées, font plus légères qu'aucunes autres, mais à plus bas prix; & qu'avec cela, indépendamment de ce qu'elle envoie plus en Espagne que toutes les autres contrées ensemble, outre que, de fon immenfe dépôt de Hambourg, elle en reverse dans les quatre parties du monde, principalement en Amérique; elle en fournit prefque tous les pays qui l'entoutent, une grande partie de l'Allemagne, prefque toute l'Italie, la Sicile, &c. &c.

La partie de la Bohême qui avoifine la Siléfie, fabrique auffi beaucoup de toiles, qui fe vendent auffi au-dehors, fous le nom de toiles de Siléfie, lorfqu'elles font faites dans le genre de celles-ci; mais ordinairement elles font plus communes ; Manufactures & Arts. Tome II, Prem, Partię.

alors leur grande confommation eft dans la Bohême même, dans les contrées voisines, & rarement au loin.

Nommer ici la Luface, c'eft rappeller la célébrité que lui a acquife la beauté du linge de table qui s'y fabrique.

A Brinn en Moravie, il s'eft élevé des fabriques de toiles de coton, de cotonades, toileries, toiles peintes ou imprimées. Depuis quelques tems on a tenté la filature du coton, & la fabrication de quelque toilerie que ce foit, celle même du velours de coton; & il s'eft beaucoup établi de manufactures d'impreffion de toiles en nombre d'endroits de l'Allemagne. Le roi de Pruffe, l'empereur, plufieurs autres princes ont preffé, encouragé, récompenfe; & par-tout où la main-d'œuvre n'eft pas trop chère, où il n'eft pas queftion de forcer nature, mais feulement d'aider l'industrie, ces établiffements commencent à fe former, & donnent un espoir d'autant mieux fondé, que prefque partout ce font des François, exercés dans l'art, qui dirigent les opérations de ces divers établiffements. Mais il n'eft aucun canton dans l'Allemagne où, ce qu'on nomme particulièrement la petite toilerie, les petites étoffes foie & coton, foie & fil, fil & coton, tout coton, les petites toiles de fil, teintes blanchies, ou écrues & radoucies pour doublures; les garas & autres toiles de coton pour être imprimées ou confommées en blanc, fe fabriquent en auffi grande quantité qu'aux envitons du lac de Conftance, particulièrement dans la ville & la principauté de Saint-Gal, dans le canton de Zurich, & autres petits états d'alentour: comme il n'en eft pas où il s'imprime autant de toiles qu'à Neufchâtel en Suiffe. La feule manufacture de M. Portalès en imprime plus que toute la Suiffe, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, tout le Nord & la plus grande partie de la France.

Je ne dirai rien, quant à la fabrique des toiles & des toileries de quelques contrées du nord, ni du midi de l'Allemagne, ni de l'Italie, parce que, loin d'y faire un objet de commerce, il s'en faut que ces toiles & toileries fuffifent à leur confommation; il en eft de même des manufactures d'impreffions de toiles, dont aujourd'hui il fe trouve prefque par-tout, jufqu'à Rome. Je fuis bien fondé à ne pas comprendre dans cette énumération, les vaftes poffeffions du Grand-Seigneur dans les trois parties de l'ancien monde: prefque toutes produifent du coton, la plupart en abondance; & il faut bien que les manufactures de cotonades y foient immenfes, puifque, fuivant l'auteur, des Recherches fur plufieurs branches de Commerce & de Navigation, qui évalue la récolte du coton, les états du Grand-Seigneur, à cent mille balles, il n'en fort que douze mille, & les quatre-vingthuit mille balles de furplus font confommés par manufactures de Turquie mêmes. Si ce n'eft quelques bonneteries, des bas de coton, bons & beaux, de Gallipoli & d'ailleurs, je ne connois guère la Hh

dans

les

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Il ne fe récolte prefque ni lin, ni chanvre dans toute l'étendue de ces deux royaumes on n'y fait prefque point de toiles, que quelques-unes en Galice, des toiles de ménage, le lin defquelles eft tiré du Nord, d'où fe tire également tout le chanvre employé dans les corderies de Bilbao & du Férol. A l'égard des cotonades & autres toileries, il ne s'en fabrique guère qu'en Catalogne, & ce font pour la plupart des fiamoifes unies & des flambées, généralement plus communes que celles de Rouen. On y imprime auffi beaucoup de garas de l'Inde ou de la Suiffe, mais peu en comparaifon des toiles peintes qui fe tirent en contrebande. Les Efpagnols deffinent & colorient fort mal; mais ils ufent ou abufent de la permiffion pour faire venir des indiennens étrangères fur lefquelles ils mettent leur nom. Ils fabriquent auffi quelques velours de coton, & autres étoffes de ce genre, qui leur fervent de prétexte ou de moyens pour en introduire en contrebande; car toutes les étoffes de coton, celles mêmes où il entre du coton, & qui ne font pas de fabrique nationale, font prohibées en Espagne, même la bonneterie; comme auffi la bonneterie en laine; il n'y a que celle en foie qui foit libre, & encore n'eft-ce qu'au moyen de droits confidérables.

Les expéditions de toiles, par la voie de Cadix, pour les Indes Efpagnoles, font confidérables. On en compte les pièces par centaines de mille, lors de l'expedition de la grande flotte ; & encore eft-il prodigieux combien il s'y en introduit d'autres parts en contrebande, ainfi que d'une infinité d'autres marchandifes. D'un coup d'oeil, on apperçoit les nations qui fourniffent au commerce qui fe fait par interlope, & celles mêmes qui le font: à l'égard de celles qui font leurs envois de toiles à Cadix, foit pour la confommation intérieure de l'Espagne, foit pour les expéditions en Amérique, la Siléfie femble occuper le premier rang: elle a cet avantage fur les fabriques des au tres pays, qu'elle les imite en plus grande partie, qu'elle fournit à Cadix de toutes les fortes de toiles

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les autres y envoyent; &, comme nous l'avons déjà dit, en plus grande quantité qu'aucune, & peutêtre que toutes enfemble. La Flandre Gand principalement, comme auffi nous l'avons obfervé, débouche beaucoup de toiles à Cadix, fur-tout de celles du genre de nos Blancards, lefquelles, ainfi que celles de la Siléfie de méme efpèce, & les nôtres, font toutes pour l'Amérique.

Quant à la France, on voit déjà que Rouen y

expédie to as fes blancards, ce qui fait un objet de quinze, dix-huit à vingt mille pièces par an. La Normandie n'envoie guère en Espagne d'autres espèces de toiles; elles font trop chères, foit pour la confommation intérieure, foit pour celle de l'Amérique; mais elle y envoie beaucoup de gingas, toiles à carreaux bleu & blanc, toutes auffi deftinées pour l'embarquement.

Laval, dont les toiles moins remplies de fils, plus plates, mais plus unies & à plus bas prix, & qui toutes fe diftinguent particulièrement par le blanchiment qui s'en fait à Laval même, à Beauvais, à Troyes & à Lyon, fait des envois affez confidérables pour la consommation intérieure de l'Espagne..

La Bretagne, principalement Morlaix, Pontivi, &c. expédie à Cadix la plupart de fes toiles crets, dont nous parlerons plus particulièrement, ainfi que des autres efpèces, chacune à fon article: ces toiles crets, ainfi que les blancards, font toutes deftinées pour l'Amérique.

Valenciennes, Cambrai, Saint-Quentin, débouchert beaucoup en Efpagne, en partie pour la confommation du pays, mais principalement pour celle de l'Amérique, des batiftes & des linons de toutes les fortes.

Enfin, Lyon envoie en Efpagne, & auffi prin cipalement pour être expédiées en Amérique, des toiles légères du Beaujolois, connues fous le nom de toiles de Saint-Jean, ou feulement de Saint-Jean.

Qu'il me foit permis, après avoir jeté un coupd'œil fur cette partie du monde, & avant de rentrer en France, de dire un mot de ces valles régions dont nous parlons tant, dont nous confommons tant de productions, & qu'à l'égard de ces productions, nous connoiffons fi peu.

nous

Quelques favans ont été dans l'Inde: avant & depuis Chardin, il n'a guère été en Perfe que des aventuriers: peu d'autres que des miffionnaires ont pénétré à la Chine & au Japon. Bien ou mal on a étudié la religion, quelque chofe des connoiffances, du langage & des mœurs de ces peuples: quelquefois on a obfervé les aftres de deffus leur horizon, & cherché à connoître les plantes de leur climat: jamais on n'y a fait de recherches utiles aux arts, à ceux du moins dont nous nous occupons.

J'ai fous les yeux des toiles de deux aunes de largeur, dont la filature & le tiffu font unis comme une glace; & toutes les couleurs, dont elles font peintes ou imprimées, d'une vivacité, d'un éclat dont rien n'approche. Nous n'avons pas la moindre idée de la manière dont on file le coton dans toutes ces contrées; nous ne pouvons pas concevoir comment on lui fait perdre ce duvet, qui fait draper & gonfler nos toiles & nos mouchoirs de coton, à remplir la poche, & être défagréables à l'ufage, tandis que les leurs, avec la douceur propre à cette matière, ont le liffe & le raz du fin lin: nous ne favons ni fi ils retordent les fils, ni comment à tant de fineffe ils réuniffent tant de force, pour suppor

ter la tenfion & les fecouffes qu'exige un travail fi perfectionné ; nous ne favons ni comment ils ourdiffent, ni comment ils collent leurs chaînes, ni, s'ils les parent, avec quelle matière: nous n'avons rien de clair, rien même qui puiffe nous donner la moindre facilité d'imiter leurs métiers, leurs liffes, leurs peignes, la manière dont ils les difpofent & dont ils s'en fervent. On ne dit point fi plufieurs ouvriers travaillent enfemble fur le même métier; & l'on ne conçoit pas comment un feul pourroit donner tant de perfection à des tiffus fi fins & fi larges. Si nous examinons les couleurs de leurs toiles peintes, nous les admirons fans doute; mais en même tems nous fommes attriftés de la conviction de notre ignorance fur la nature des matières qu'ils emploient & des procédés dont ils font ufage: nous n'avons fur tout cela que des conjectures hafardées, qui n'apprennent rien, qui ne mettent fur la voie de rien; ou des contes d'aventuriers qui, avec le ton de ne douter de rien, prouvent mieux encore qu'ils ne favent rien.

On n'eft pas mieux inftruit du travail des métaux qu'ils font entrer dans leurs tiffus, ni de leur manière de brocher les étoffes, ni d'aucun des apprêts qu'ils leur donnent. On n'eft même pas d'accord fur la nature du cotonnier qui produit le coton qu'ils emploient, ni fur la manière dont on éduque les vers à foie dans ces différens pays, ni fur celle dont on fait le tirage de ces foies; & l'on ne fait absolument rien de celle qu'on y emploie pour les organfiner & tordre, décrufer, blanchir ou teindre.

Comment concevoir que, dans un fiècle fi avide de connoiffances, où toutes les nations de l'Europe font voyager pour en acquérir, où les arts femblent avoir un effor, & être arrivés, fuivant tant de prôneurs de notre teins, à un point de perfection qui, difent ils, paffe de beaucoup tout ce que les an ciens ont pu imaginer; comment concevoir que ces mêmes arts n'aient frappé l'imagination d'aucun prince, d'aucune académie, d'aucun favant homme riche ou entreprenant; ni qu'ils n'aient remué, agité, tourmenté l'efprit d'aucun

243 homme curieux ou avide, qui ait cherché à tirer de la gloire ou du profit de quelques découvertes de ce genre?

:

Quoique mefquins dans les récompenfes, copendant nous gratifions beaucoup d'intrigans, & nous fouffrons encore qu'un plus grand nombre de fripons s'enrichiffent les Anglois au contraire, grands appréciateurs des chofes utiles & bons juges des hommes, ne font pas la dupe de ceux-ci, mais ils gratifient largement pour celles-là: cependant ni l'une ni l'autre de ces deux nations, ni les Hol landois, ni aucune autre, que je fache, n'a envoyé perfonne d'inftruit dans les arts, en Perse, dans l'Inde, ni à la Chine, pour étudier les procédés des artistes; pour rechercher & diftinguer ce qui dépend effentiellement, dans les productions du pays, de la nature du fol & de la température du climat; de ce qui, dans les produits de l'industrie, n'appartient qu'à cette dernière. On va engouffrer les trésors de l'Europe dans cet orient du monde ; il eft le tombeau de la moitié des hommes que l'ambition, l'avarice, l'oifiveté ou la mifère y pouffent; on n'en rapporte prefque rien d'effectif qui ne foit de nature à empoisonner le physique ou le moral des Occidentaux; rien de nécessaire, rien d'utile à leur conftitution, à leur manière d'être: les arts, qui pourroient nous éviter tous ces voyages, ménager les hommes, épargner l'argent, fatisfaire notre curiofité, fuffire à notre luxe, les feuls arts font négligés. Il ne fe paffe pas de jour que cette idée ne me préoccupe, & que je ne fois tenté, fi l'âge ne me rappeloit déjà qu'à tout il eft un terme, de renouveller le projet que l'amour des arts me fit enfanter, que l'administration avoit adopté, qu'une malheureufe circonftance retarda, & que je n'ai pu exécuter qu'à l'égard de l'Europe fabricante, dans laquelle du moins, par des voyages fréquens & pénibles, j'ai cru ne rien laiffer à voir, pour la partie à laquelle je me fuis dévoué, de ce que j'eftimois utile de dévoiler aux hommes, & dont il importoit d'inftruire mon pays.

A

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SSEZ de fois, en affez de circonftances, notamment dans les Traités de la DRAPERIE & de la SOIERIE, il a été queftion de la fabrication: celle de la toile, loin d'offrir rien de particulier, n'eft, fi l'on peut s'exprimer ainfi, que l'application la plus fimplifiée des mémes procédés. Les chaines s'ourdiffent, fans la méme difficulté, ni la néceffité d'autant de foins, & fe montent fur le métier de la même manière que pour les autres étoffes. Pour reconnoître en quoi different les métiers fur lefquels on fabrique les unes & les autres, les liffes ou lames, les peignes ou ros, les temples & les navettes, Canons & les canettes, &c., qui fervent à fabriquer ces étoffés, après la lecture des

les

Traités généraux des deux grands objets que je viens d'indiquer, on pourra passer à celle des Traités particuliers des outils & uftenfiles.

Quant aux nœuds divers des cordes ou des fils, du paffage de ceux-ci en liffes & en peignes, du nouage des chaînes, de la difpofition & correfpondance des marches aux liffes, du jeu qu'on donne aux premières, & du mouvement réciproque qu'en reçoivent les unes & les autres: quant au degré nécessaire & à l'égalité de tenfion de toutes les parties de la chaine, à l'ouverture & feparation fuffifante de celle-ci, à la conftante fermeté du pied, à la régularité de la direction & de la force du jet de la navette, à l'égalité d'étendue & de rapprochement des duites ou fils de la trame, à leur continuite fans folution ni doublement, à l'uniformité des coups de la chaffe ou battant, &c., tout cela eft fuffifamment expliqué, & nous ne pensons pas avoir rien à y ajouter.

A l'égard des préparations fur le fil comme_fur le coton, elles font fuffisamment expliquées aux mots PEIGNAGE, CARDAGE, Filature, RETORDAGE, OURDISSAGE, COLLAGE, CHAINE, MÉTIER, &c., & dans l'extrait de l'Art du fabricant de velours de coton, que nous donnerons ci-après, en y ajoutant quelques notes, lorfqu'elles nous paroitront néceffaires.

On touvera également fous les mots BLANCHIMENT, BLANCHISSAGE, Blanchir, &c., tout ce qui a rapport à ces opérations pour les fils de lin ou de chanvre, les toiles de l'une & de l'autre matières, les cotons, cotonades, & toutes les fortes de toileries qui en font fufceptibles: on y trouvera les apprêts d'ufage & qui conviennent à chacune d'elles, à l'exception néanmoins de ceux de la calandre, pour lefquels il faudra voir au Traité de la SOIERIE, les defcriptions que nous avons données de diverfes mécaniques de ce genre, & les obfervations jointes à ces defcriptions, fur leur ufage en telles ou telles circonflances pour les toiles & toileries, & en même tems que pour telles ou telles fortes d'étoffes de foie ou de laine.

LE tiffu des toiles unies eft le plus fimple des entrelas qui s'exécutent fur le métier avec la navette: deux marches, & deux lames ou liffes fuffifent pour le former. Les fils de chaîne font paffés alternativement dans l'une & l'autre lame; de forte que le mouvement des marches partage toujours la chaîne en deux moitiés, l'une fupérieure, l'autre inférieure, qui fe croifent tour-à-tour fur chaque fil tranfverfal, ou de la trame nommée duite, que le tiflerand lance dans leur ouverture.

De la toile groffière qui fert pour emballages, à la toile fuperfine nommée batifle, de la toile à voiles au linon, l'intervalle eft immenfe. Il eft rempli par beaucoup d'autres espèces moyennes, qui fe rapprochent plus ou moins de l'un ou l'autre de ces extrêmes. Ce font pourtrant les mêmes matières: c'eft le chanvre ou le lin qui produifent cette férie nombreuse de toiles unies. Mais le choix de la matière, fa préparation, la qualité de la filature, le nombre des fils de chaîne, les dimenfions; toutes ces chofes diversement combinées, opèrent une variété furprenante dans des tiffus dont la matière eft la même, & la contexture femblable.

L'art a fu varier encore ces tiffus fi fimples, par une difpofition des fils de chaîne fur le métier, coordonnés de manière à produire des deffins diverfifics & agréable. De-là les toiles croifées à pas de ferges, les toiles ouvrées & façonnées, qui s'exécu

tent, foit par les marches, foit à la tire, avec des armures telles qu'on les trouve expliquées, pour le premier cas, à l'article des étoffes de taine rafes & fèches, croifées & figurée, au Traité de la DRAPERIE; & pour le fecond cas, à l'article des étoffes brochées par la chaine, & fans efpoulins, au Traité de la SOIERIE.

Enfin, on a imaginé d'allier, avec le lin & le chanvre, d'autres matières, telles que le coton, la laine, la foie, & d'en varier les couleurs. Il est ré fulté, de ces mélanges, des tiffus différens, qu'on a défignés fous le nom générique de Toileries, qui comprend les toiles rayées, quadrillées, brochées, les fiamoifes, &c.

Toutes les provinces du royaume fabriquent des toiles en plus ou moins grande quantité, mais il en eft de renommées par leurs fabriques de ce genre: Telles font la Normandie, la Picardie, Haynault & Cambrefis, la Bretagne, le Maine, le Dau phiné, l'Auvergne, la Gafcogne, la Champagne, le Beaujolois, &c.

Nous allons parcourir les fabriques de toiles & toileries répandues dans ces différentes provinces; nous parlerons d'abord des toiles unies & commu & nous fuivrons conflamment la gradation des qualités, autant que leur variété le permettra. Du nombre des provinces ou des généralités du royaume qui fe diftinguent par la fabrication & le

nes,

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