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» grandeur varient suivant la coutume des pays où » l'on s'en fert ».

Oui, mais cette roue du tour de Piémont fans corde, fans poulies, a un mouvement fimple, doux & uniforme; elle eft d'une exécution moins difpendieufe, moins fufceptible de dérangement, plus facile à raccommoder, que ce qu'on a cherché à lui fubftituer; elle n'a enfin prefque aucun inconvénient des autres, qui n'ont remédié à aucun de ceux qui peuvent réfulter de l'ufage du tour de Piémont; ainfi, tenons-nous en à celui-ci.

En général, on tire de trois fortes de foie, c'està-dire, qu'on a, dans le choix de fes cocons, trois distinctions en vue; diftinctions majeures, mais vagues, qui font, l'organfin, la trame & le poil. On choifit la plus belle foie pour l'organfin, qui fert à la chaîne des étoffes, & on la forme de fix, fept, à huit brins qu'on tord le plus, pour qu'elle fe bourre moins & qu'elle réfifte mieux à l'impreffion du travail. La foie de moindre qualité fe tire pour trame, à dix ou douze brins, ainsi que le poil, où l'on en réunit de treize à quatorze, & jufqu'à vingt: enfin, l'on fait de la foie de quatre à cinq brins, & l'on en fait de vingt-cinq à trente. Une eau légère & douce eft fans doute préférable à de l'eau féléniteufe &

crue.

Qu'on fe repréfente actuellement une fille affife devant une baffine de cuivre de forme elliptique, de quinze à vingt pouces de diamètre, fur cinq ou fix de profondeur, remplie d'eau, foutenue & cimentée, à hauteur d'appui, fur un fourneau allumé; lorfque l'eau eft prefque bouillante, la tireufe y jette une ou deux poignées de cocons bien débourrés; elle les agite fortement avec les pointes coupées en broffe d'un balai de bouleau; l'eau, la chaleur & cette agitation démêlent le bout des brins

de foie des cocons; l'ouvrière les recueille, les divife en deux portions égales qu'elle paffe entre les guides, puis, qu'elle croife l'une fur l'autre quinze ou dix-huit fois pour les foies les plus fines, & à plus grand nombre de fois à proportion de leurs groffeurs ; & qu'elle redivife pour les paffer dans le va-&-vient, & les porter fur le devidoir. (Voyez les planches de la foierie, première fection, la vignette pl.I & pl. II, fig. 2 & 2, 3, 4, 5 & 6 ).

La machine ou tour de Piémont, que l'on appelle chevalet, eft un chaffis compofé de quatre piliers de bois, qui, joints enfemble par des traverses, forment un quarré long de trois pieds quatre pouces ou environ, fur environ deux pieds & demi de largeur. Dans le haut de ce chaffis, & entre les deux piliers, eft placé l'afple ou devidoir, compofé de quatre ailes, dont le diamètre eft de deux pieds ou environ, y compris le diamètre de fon arbre ou axe; dans le bas & au côté oppofé, auffi entre les deux piliers, eft la lame du bois ou le va&-vient.

A l'un des bouts de l'arbre qui paffe dans le pilier du côté droit, eft attachée la manivelle de la

tourneufe, & à l'autre bout un pignon horisontal de vingt-deux dents.

Celui des deux piliers entre lefquels eft le va-& vient, eft attaché d'un bout par un excentrique; l'autre bout du va-&-vient eft paffé dans une couliffe; l'intervalle qui eft entre les deux roues cideffus, eft rempli par une pièce de bois arrondie, à chacune des extrémités de laquelle eft une rouede-champ, dont l'une, qui a vingt-cinq dents, s'applique & s'engraine fur le pignon de l'afple; & l'autre, qui n'en a que vingt-deux, fur la roue du va-&-vient.

La tourneuse met le rouage en mouvement, en tournant avec la main la manivelle du devidoir à l'arbre duquel eft attaché le pignon, qui eft le principe des deux mouvemens corelatifs de l'afple & du va-&-vient.

Ces deux mouvemens font mefurés, de façon qu'auparavant qu'ils puiffent recommencer au méme point d'où ils font partis, l'afple doit faire huit cent foixante-quinze tours.

Le fameux réglement de Piémont, donné ad hoc au mois d'Avril 1724, exige indifpenfablement dans la ftructure des tours à filer ou devider la foie, ce nombre de rones & de dents.

« Les chevalets feront pourvus de leurs jeux » néceffaires pour opérer les croifemens fufdits; » chaque jeu aura, favoir, le pignon vingt-cinq » dents, la groffe roue vingt-cinq, l'étoile de l'afple & la petite roue vingt-deux chacune: & » il faudra maintenir toujours cet ordre ; il fera » d'un bon fervice ».

"

Cette loi eft le fruit des recherches & des découvertes des plus habiles manufacturiers & artistes de Piémont. I en réfulte deux chofes; la première, Il qui n'eft point conteftée, que la foie qui fe porte fur l'afple doit continuellement fe croiser ; & la seconde, que ces croisemens continuels ne peuvent être opérés par un mouvement fimple, mais bien par un mouvement double & compofé de deux jeux tels qu'ils font prefcrits par cette ordonnance.

L'on fent déjà au premier coup d'œil que ce rouage établit, d'un côté, l'identité continue de chaque mouvement de l'afple & de va-&-vient en foi-même, une dent ne pouvant paffer devant l'au tre, & d'un autre côté, la correfpondance & la réciprocité entre ces deux mouvemens. On va les particularifer & en expliquer les propriétés.

(Pl. I.) Vignette. Attelier du tirage de la foie: action de la tirer des cocons. Fig. 2. Plan géométral du tour de Piémont, & de la baffine pofée fur un fourneau. A, fille qui tire la foie, & qui conduit les opérations du tirage. Elle fournit de nouveaux brins de cocons à mesure qu'il y en a d'épuisés par le dévidage. Comme les brins de foie de chaque cocon font conftamment plus fins vers la fin que vers le commencement, fi un fil de foie doit être composé de deux brins, & que la tireufe voie qu'il y ait quatre ou cinq cocons qui tendent à leur fin, elle augmente fon fil de deux autres brins, fans attendre

que les précédens foient entièrement achevés. La groffeur de deux brins de cocons, auxquels il ne refte que la douzième partie à dévider, eft à-peuprès égale à celle d'un brin pris vers le commencement du devidage; auprès d'elle, en a, eft un vase rempli d'eau froide, dans lequel elle plonge les doigts pour les rafraîchir. B, celle qui tourne l'afple ou le dévidoir fur lequel fe forment les écheveaux. CCC, pieds qui foutiennent le chaffis ou quarré long de quatre pieds environ, fur environ deux pieds & demi; de deux pieds & demi de haut fur le derrière, & de deux pieds feulement du côté de la tireufe de foie. EEEE, piliers que les Piémontois nomment fantine, dont deux foutiennent l'afple ou dévidoir, & les deux autres l'épée ou va-&-vient, fur lequel font plantés en a les deux guides de filde fer qui conduifent la foie fur l'afple: toutes les pièces de ce tour font affemblées les unes aux autres par des traverfes & des clés. Les piliers qui foutiennent l'afple doivent être éloignés de ceux qui foutiennent le va-&-vient de deux pieds liprandi, ou vingt-huit pouces de notre mefure, afio que la diftance de l'afple à la baffine puiffe conduire le fil plus fec & mieux conditionné fur l'afple. (Art. 6 du réglement de Piémont, du 8 avril 1724). F', l'afple ou devidoir fur lequel la foie eft formée en écheveau; G, manivelle du devidoir. H, arbre du devidoir, au bout duquel & en-dedans du pilier eft un pignon de bois I, compofé de vingt-deux dents, qui engrène une roue taillée comme une roue de champ, appelée campana en langage Piémontois, marquée K, attachée à une pièce de bois arrondie, marquée L, au bout de laquelle eft une autre roue-de-champ marquée M, de vingt-deux dents, qui engrène à un autre pignon, marqué N, composé de trente-cinq dents, fur lequel eft un excentrique, marqué O, qui entre par une pointe recoudée en équerre dans un trou qui eft à l'extrémité du va-&-vient marqué P, qui, de l'autre côte, entre dans une couliffe, où il a la liberté d'aller & venir fur une même ligne; enforte que les guides (a dans la vignette) qui font indiqués par des points ronds au milieu de la tringle OP, changent de place à chaque révolution de la roue N, d'une quantité égale au diamètre du cercle que la cheville O décrit au-deffous du va-&-vient: Q, filsde-fer recourbés en anneaux ouverts, que l'on appelle griffes, dans lefquels la foie eft paffée d'une part & de l'autre à une lame de fer percée marquée R, & adhérente à la baffine où chaudière marquée S, dans l'eau de laquelle font les cocons, qui eft pofée fur un fourneau marqué T.

(Pl. II), fig, 2. Profil du tour de Piémont, vu du côté de la tourneufe ou du côté de la manivelle. ZZZZ, profil d'un des écheveaux qui entourent l'afple: 1, étoile fur l'axe de l'afple; K, roue qui eft conduite par l'étoile; L, tige de communication à la roue M qui conduit l'étoile N de l'excentrique. Plus bas on voit le profil de la chaudière & celui du fourneau fur lequel elle est montée.

3. Elévation du côté de l'afple ou devidoir. EE, les montans qui foutiennent les tourillons de l'axe; G, la manivelle: I, roue ou étoile qui communique le mouvement au va-&-vient; FFFF, les lames de l'afple: ZZZZ, les deux écheveaux.

4. Elévation du même tour par le devant ou du côté du va-&-vient; T, le fourneau: S, la chaudière: RR, tringle de fer percée de plufieurs trous, nommée filière. V, fils de plufieurs brins de cocons croifés, (art. 4 du réglement de Piémont), dans la partie marquée Y, entre la lame & les griffes, pour former l'écheveau marqué Z. Y, les croix des fils: Q, les deux guides fixés fur le va-&-vient; OPN, la rope ou étoile qui porte la cheville excentrique O. 5. Roue de trente-cinq dents avec l'excentrique qui conduit le va-&-vient.

6. Manne ou corbeille remplie de cocons. A, petit balai avec lequel on fouette les cocons blorf qu'ils commencent à être chauds, afin de trouver le brin de chaque cocon; ce qu'on appelle en terme de l'art, faire la battue.

Les tours ou chevalets dont on fe fert en France ne font point compofés comme ceux de Piémont quant au mouvement; ceux de France n'ont ni roue, ni pignon pour conduire le va-&-vient, mais feulement une corde fans fin, laquelle paffant dans une cavité de l'arbre de l'afple dans l'endroit où eft le pignon I, vient embraffer une poulie cavée, placée dans la partie où fe trouve placé le pignon N, fur laquelle eft pofé l'excentrique O, & au moyen du mouvement que la tourneufe donne à l'afple, l'extenfion de la corde le donne au va-&

vient.

L'article 15 du réglement de Piémont défend abfolument l'ufage des chevalets à corde, fous peine d'amende; il faut en expliquer la raifon, de même que celle qui veut qu'on croife les fils, comme ils paroiffent croifés par la figure Y.

Cette façon de les croifer fert à les unir tellement enfemble, que tous ces brins réunis ne compofent qu'un fil, qui, par cette opération, acquiert toute la confiftance néceffaire pour l'emploi auquel il est deftiné; elle l'arrondit & le déterge, de façon qu'aucun bouchon ou bavure ne peut paffer à l'écheveau, qualité néceffaire pour former un parfait organfin; on croife les fils les plus fins à dix-huit & vingt fois au moins (art. 4 du réglement de Piémont), & on augmente les croisemens à proportion de leurs groffeurs.

Outre ces croifemens de fils fur eux-mêmes, il eft encore une façon de les faire croiser féparément, lorsqu'ils viennent fur l'afple pour former des écheveaux; & c'eft ici le point fondamental de la perfection que les Piémontois fe font acquife, & qui eft tellement connue de toute l'Europe, qu'il n'eft point de fabricant dans cette partie du monde, qui ne foit obligé de convenir que les organfins, compofés avec la foie du tirage de Piémont, font les plus beaux & les meilleurs de ceux qui fe font dans cette partie du monde. Ces croifemens doi

vent former une espèce de zig-zag fur le devidoir, tellement irrégulier, qu'un brin ne puiffe pas fe trouver fur un autre brin, attendu que la foie qui vient de la baffine ou chaudière, qui n'eft qu'une gomme ductile, n'étant pas sèche, fe colleroit fur un autre fil fi elle le joignoit dans fa longueur, ce qu'on appelle en terme de l'art bout-baife; il est donc d'une conféquence extraordinaire d'éviter ces baisemens de fil, afin de faciliter le devidage de la foie, & empêcher les caflemens de fils, qui ne peuvent être racommodés que par des nœuds, qui dans les étoffes fines, comme dans les taffetas unis, ne peuvent paffer dans les peignes fins, où la foie eft paffee; de façon que s'il étoit poffible de trouver une chaîne ou toile qui n'en eût aucun, on seroit fûr de faire une étoffe parfaite.

elle

La méthode des Piémontois pare aux inconvéniens qu'on vient de démontrer, qui confiftent dans la difficulté du devidage de la foie, lorsqu'on vent la préparer pour organfin ou pour trame; empêche encore la caufe du vitrage, défaut le plus commun & le plus rebelle de tous ceux qu'on éprouve dans la filature: on en diftingue douze plus ou moins nuifibles. Le vitrage eft un arrangement vicieux des fils fur le devidoir, caufé par le mouvement du va-&-vient, dont la variation répétée trop fouvent les fait trouver dans la même place, & les attache ou fait baifer, de façon que le dévidage en est toujours difficultueux, ou le déchet ou diminution de la foie très-confidérable.

Le mouvement des tours ou chevalets dont on fe fert en France étant compofé du feul jeu, il n'eft pas poffible qu'une feule corde qui donne le mouvement au va-&- vient, puiffe produire le même effet que produiront des roues femblables à celles dont eft compofé le chevalet ou tour de Piémont ; un mouvement qui fe fait par des roues à dents fera toujours plus jufte & plus égal que celui à cordes & à poulies: le premier peut fe mefurer, diviser & diftribuer à telle proportion que l'on veut; on peut en déterminer & fixer les gradations par le nombre des dents dont il est compofé, & l'on eft en état à chaque inftant de compter ces gradations jufqu'à la plus petite réduction; ce que l'on ne fauroit faire dans le fecond mouvement, la corde ni les poulies n'étant pas fufceptibles de cette ponuation géométrique qui feroit requife pour en mefurer & diftinguer les progreffions: d'ailleurs, un mouvement compofe eft bien plus multiplié & varié qu'un mouvement fimple, cela eft clair,

Enfin, il n'eft pas de doute que pour former fur l'afple ou devidoir les croifemens en zig-zag qui empêchent qu'aucun fil de la foie ne fe couche fur l'autre, il faut un mouvement extrêmement multiplié & varié, & qui renferme en lui-même une irrégularité repréfentative auffi bien que productive de ces zig-zags, ce qui ne fe rencontre ni ne peut fe rencontrer que dans le rouage de la machine de

Piémont.

Le pignon de l'afple de cette machine a vingt-deux

dents qui s'engrènent à une roue, non pas de vingt-deux dents auffi, ce ne feroit là qu'un mouvement fimple, mais de vingt-cinq dents; cette irrégularité dans le nombre des dents en engendre néceffairement une dans le mouvement qui n'eft appelé un jeu (art. 15 du réglement de Piémont, 8 avril 1724) chez les Piémontois, qu'à cause de cette irrégularité même. La roue du va-&-vient de trente-cinq dents, reçoit le mouvement d'une roue de vingt-deux dents, feconde irrégularité qui forme un fecond jeu; cette double irrégularité de mouvement s'entretenant exactement par la correfpondance d'entre le va-&-vient, & l'afple qui lui donne le branle, forme un mouvement intégral dont l'effet eft d'imiter & de fuivre, dans la décompofition du cocon, la même méthode que le ver-àfoie a employée à le compofer; car c'eft un point de fait conftant entre les naturaliftes & les artistes, que la foie du cocon y eft filée en zig-zags pareils ceux que le tour du Piémont fait former fur son

afple, & que par conféquent l'opération de ce tour eft une imitation de la nature dont l'industrie du ver inftruit par elle eft le prototype.

Ces deux mouvemens difpofés comme il vient d'être démontré, font mefurés de façon qu'auparavant qu'ils puiffent recommencer au même point d'où ils font partis, l'afple doit faire huit cent foixante-quinze tours. Or, il n'eft pas poffible que, pendant l'intervalle de cette quantité de tours que le vent de l'afple fait fécher, il puiffe arriver que le fil qui prend la même place qu'il a occupée en commençant les huit cent foixante-quinze tours, fe colle avec celui qui l'a précédé, parce qu'il doit être extrêmement fec.

Les croifemens qui fe font entre une lame de fer fixe & adhérente à la baffine, d'une part; & deux fils de fer recourbés & attachés à une lame de bois, dont on parlera dans un moment, d'autre part, font d'une néceffité abfolue pour unir inféparablement les fils de chacun de ces deux brins croisés, en les dévidant fur le tour dont on parlera auffi ciaprès, afin de leur donner la confistance & la force néceffaires pour être mis en œuvre.

Ces croisemens contribuent encore à rendre les foies nettes, parce qu'ils les détachent & qu'ils les arrondiffent également, de la même façon que pourroit faire une filière, enforte qu'il ne peut paffer aucun bouchon entre les croifemens de cette efpèce; on appelle bouchons les inégalités & groffeurs qui fe rencontrent dans les fils.

On attache chacun de ces brins à un tour ou dévidoir que l'on nomme afple, fur lequel une autre ouvrière en devide jufqu'à une certainè quan. tité dont on forme des écheveaux ; mais comme les écheveaux doivent être encore devidés pour préparer la foie fur le moulin, il s'agit, lors du premier dévidage, de parer aux inconvéniens qui peuvent fe rencontrer dans le fecond. Ces inconvéniens font, la difficulté, dans ce fecond dévidage, d'éviter le caffement des fils, & le déchet par conféquent

que ce caffement occafionne; ces foies demeurent plus long-tems à être dévidées; étant caffées, elles ne peuvent être nouées fi proprement que ce noud ne les rende inégales dans leur groffeur; & cette défectuofité originelle non-feulement fe continue dans la préparation de la foie & dans la formation de l'organfin, mais encore elle fe perpétue jufque dans la fabrication de l'étoffe, fans pouvoir être corrigée par aucune induftrie; parce que ces nœuds ne pouvaut paffer par les dents des peignes, la foie fe caffe une feconde fois : il faut donc la renouer une feconde fois au-delà des dents du peigne, ce qui fait néceffairement une imperfection qui s'apperçoit, moins à la vérité dans une étoffe brochée, que dans une étoffe unie, mais qui n'en eft pas moins un défaut.

Tous ces inconvéniens partent d'une même caufe, qui eft que la foie, lors du premier devidage, n'a pas été croifée fur le tour ou afple; car outre les premiers croifemens dont on vient de parler, il en faut encore d'autres qui fe forment fur cet afple, à mesure que la foie s'y devide; ce font ces nouveaux croifemens qui rendent aifé le fecond devidage, & empêchent le caffement des fils, & par conféquent leur déchet; c'est ici où le réduit toute la difficulté du tirage, & le point effentiel & délicat de cette main d'œuvre.

La foie que produit le cocon, n'eft dans fon principe qu'une espèce de gomme ductile à l'infini; & comme en la tirant de deffus le cocon, elle est encore en bave, pour ainfi dire, il eft néceffaire qu'en fortant de deffus la chaudière pour aller fur le dévidoir, elle faffe des mouvemens fi exactement irréguliers, que les brins ne puiffent jamais fe joindre; parce que dès qu'ils fe font une fois touchés & baifés, ils fe collent enfemble & ne peuvent plus fe féparer; ce qui fait qu'il eft impoffible de dévider enfuite cette foie mife en écheveaux fans qu'elle ne fe caffe; défaut, on ne fauroit trop le répéter, d'autant plus effentiel, qu'il influe fur les opérations pour la préparer, mouliner, mettre en organfin, & enfuite en étoffes.

Ces mouvemens font produits par celui d'une lame de bois qui eft placée horisontalement audeffus de la baffine, à environ deux pieds & demi de l'afple à cette lame font attachés deux fils de fer recourbés en anneaux ouverts, que l'on appelle griffes, dans lesquels on paffe les deux brins déjà croifés, ainfi qu'on l'a expliqué ci-devant.

C'eft-là cette lame que les artiftes appellent va&-vient, nom qui en renferme une idée auffi claire que fuccinte, puifqu'effectivement elle ne fait qu'al ler & venir, & cela fur la longueur, & toujours fur une même ligne; & ce font ces allées & venues continuelles qui font que la foie fe croife fur l'atple en forme de zig-zag, fans qu'un brin fe couche, ni par conféquent fe colle fur l'autre elles doivent donc être, ces allées & venues, extrêmement justes & irrégulières pour former, par proportion aux tems que fait l'afple, un mouvement

égal de correfpondance d'où naiffent fucceffivement ces zig-zags.

"M. de Vaucanfon a propofé un autre tour à » foie, dont on peut voir les deffins & les di» menfions dans les planches de l'Encyclopédie. » Il paroît qu'il a voulu imiter la machine piémon» toife; mais il n'y a que celle-ci qui foit propre » à exécuter parfaitement l'opération du tirage ». (Note (30), extrait de l'Ari du fabricant d'étoffe de foie, édit. in-4°.)

D'autres ont mieux ou moins bien copié le tour de Piémont. La ftructure de leur machine eft la même les premiers croifemens y ont également lieu. L'afple ou devidoir & le va-&-vient font auffi, à quelque chofe près, les mêmes que ceux de la machine de Piémont; mais au lieu d'un mouvement de rouage, elles n'ont qu'un mouvement å cordes & poulies; & au lieu d'un mouvement compofé, elles n'en ont qu'un fimple; & c'eft précifément cette différence de mouvement, l'un com pofé & à roues, & l'autre fimple à cordes & poulies, qui fait que le premier eft conftamment uniforme en foi-même, & dans la correfpondance & réciprocité de l'afple au va-&-vient, & que le second eft auffi inégal en foi que dans cette correfpondance de l'afple au va-&-vient; & de-là naît la perfection du tirage qui fe fait par le mouvement à roues, & l'imperfection de celui qui ne s'opère qu'avec un mouvement à cordes & poulies. (Voyez le tour de M. de Vaucanfon, pl. III & IV, dont voici les explications).

Perspective de ce tour, vue du côté où doit être placée la chaudière. Comme le précedent, il eft compofé de quatre pieds qui portent les jumelles; les pieds & les jumelles font entretenus enfemble par plufieurs traverfes, affujetties avec des clés; G, manivelle de l'afple; h H, axe de l'afple; ffF F, les lames fur lefquelles fe forment les écheveaux; I, étoile ou roue dentée, fixée fur l'axe ou arbre du devidoir. Cette roue engrène dans la roue K, derrière laquelle du côté de M eft un pignon ou lanterne qui conduit la roue N. Cette dernière roue a une cheville excentrique, qui, par le moyen d'une tringle, communique fon mouvement à l'extrémité d du bras aD où va- &-vient; cDE, axe vertical du va-&- vient; DC, bras que porte le va-&-vient C fur les extrémités duquel font plantés les deux guides de fil de fer.

Sur le devant, on voit la lunette BB, placée au milieu d'un chaffis quarré, dans lequel elle peut tourner circulairement entre trois roulettes ccc. Ce mouvement lui eft communiqué par la poulie b, qu'une manivelled fait tourner, & cela au moyen d'une corde fans fin qui embraffe la poulie & la lunette; A A. les deux filières.

2. Plan géométral du même tour; G, la manivelle; hй, axe de l'afple ; ff, les lames; OL, tringle qui tranfmet le mouvement au va-&-vient; dD, bras inférieur; DC, bras fupérieur qui porte le va-&-vient, aux extrémités duquel font fixés

les deux guides; BB, montans du chaffis ou porte lunettes; A A, les filières; b, poulie; a, manivelle.

(Pl. IV.). Fig. 3. Coupe longitudinale ou profil du tour de M. de Vaucanfon; "G, manivelle; H, axe du devidoir. On voit les quatre roues qui font mouvoir le va-&-vient; la plus elevée eft la roue I de la figure premiere de la planche précédente. Cette roue engrène avec celle de deffous qui eft la plus grande; elle eft défigné par la lettre K dans la figure première; celle qui lui eft concentrique, & qu'il faut fuppofer derrière, conduit la roue inférieure. C'eft fur cette dernière qu'eft fixée la cheville excentrique, qui, au milieu d'une tringle, communique le mouvement au va- &-vient; FfFf, les lames de l'afple fur lefquelles fe forment les écheveaux; DE, arbre vertical du va-&vient; DC, bras qui porte le va-&- vient. On voit par cette figure comment les brins de foie font paffés dans le guide après être fortis des filières A, & avoir traversé la lunette; BT, fourneau fous la chaudière.

4. Elévation du même tour du côté de l'afple ou devidoir; G, manivelle; hH, axe de l'afple; IR, roues; M, autre roue qui conduit la roue de l'excentrique; DE, poupée qui fixe le pivot fupérieur de l'arbre vertical du va-&-vient.

5. Elevation du devant du même tour; 1 2 3 les trois roulettes entre lefquelles tourne la lunette BB, garnie en BB d'un fil de fer, dont une des extrémités est tournée en anneau comme celles des guides; A A, la filière.

6. Manière dont les fils font croifés pour former deux écheveaux fur l'afple; AA, les trous des filières par lefquels paffent les deux brins de foic; BB, les deux anneaux en-dedans de la lunette; entre ces quatre lettres, on voit la première croifure; CC, les guides du va-&-vient; entre ces quatre dernières lettres, on voit la feconde croifure faite en fens contraire de la première ; ZZ, les deux écheveaux fuppofés fur l'afple.

Quelquefois, pour le poil fur-tout, on ne fait qu'un écheveau des brins de la foie devidée: alors il ne faut qu'un guide; mais pour procurer au fil de foie le frottement qu'éprouvent, dans le méthode précédente, les deux fils en fe tordant l'un fur l'autre, on le fait paffer fur deux petites bobines à rainure arrondie, d'environ une ligne de large, placée entre le guide & le va-&-vient.

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L'auteur de ce très-long article, dans la première Encyplopédie, confeille de donner le règlement » de Piémont en entier concernant le tirage des "foies, traduit de l'italien, avec les notes fur » la néceffité d'obferver tous les articles qu'il con»tient ». Il en donne enfuite un extrait que nous abrégérons beaucoup, fur-tout par la fuppreffion des notes ou des obfervations qui n'ajoutent rien au texte. Ce même auteur, après la difcuffion à laquelle nous avons déjà renvoyé, infifte de nouveau, & propofe, attendu l'importance de la chofe

pour fa plus grande publicité & l'inftruction générale, de faire conftater & avouer les faits par des perfonnes capables d'en juger, dont le favoir & le caractère foient propres à démontrer, convaincre ou perfuader.

Tant que cet auteur & tous autres s'en tiendront à inftruire le genre humain, ils mériteront fes hommages; mais dès qu'ils prétendront que leurs confeils foient érigés en loix, leurs bonnes intentions ne les garantiront pas de l'indignation qu'entraîne néceffairement la violence, principale. ment en matière d'induftrie & de goût. Laitons l'ignorance fe renfermer dans de petits efpaces, s'y croire fuperbe, & prétendre commander aux hommes; mais empêchons-lui d'y circonfcrire les arts, qui n'ont de bornes que celles de l'esprit humain; empêchons - lui de les heurter, de les tourmenter: eft- elle entreprenante, audacieufe? Repouffons-là, s'il le faut, avec les armes de fang dont elle les attaque,

§. II,

Dénominations diverfes de la foie.

La foie prend un nom particulier des différentes opérations qu'elle reçoit, ou de l'état où elle fe trouve après les avoir reçues. On la diftingue en foie grèze ou grège, crue ou écrue, cuite & décruée ou décrufée. La foie grèze eft celle, quelle que foit fa qualité & fa deftination, qui n'a encore été foumife qu'à l'opération du tirage, la feule que nous ayions décrite. Ainfi, toute foie immédiatement devidée de deffus le cocon, eft de la foie grèze, La foie crue eft celle qui, fuivant fa diftinction, fans avoir été débouillie, a été tordue ou retordue par l'opération du moulinage, que nous décrirons inceffament: la foie cuite eft celle qui a été bouillie pour en faciliter le devidage; la foie décreusée eft celle qui a été débouillie au favon, comme préparation néceffaire au blanchiment & à la teinture.

Nous parlerons ailleurs des foies des différens pays, des noms qu'on leur donne, & des qualités qu'on leur attribue, fuivant les opérations dont elles font fufceptibles, & auxquelles on les affujétit, fuivant leur manière d'être actuelle, & leur deftination future.

§. III.

Du moulinage des foies (1).

L'on comprend, fous cette dénomination, toutes

(1) Les Italiens furent & font encore, en Europe, les premiers fabricans d'orgarfins. Les moulins d'organtinage de Bologne, dans les états du pape, & les foies organfinees qui en provenoient, jouirent en France, dans le dernier fiècle, d'une réputation diftinguée. Les Piémontois s'approprièrent & perfectionnèrent ce genre d'induftrie; bientôt elle leur valut la réputation dont ils jouiffent encore, & le commerce confidérable qu'ils continuent de faire de leurs foies organfinées avec les les

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