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Comme nos murailles n'étoient pas encore conftruites du côté de la terre, lorfque Jean, fils de Philippe, parvint à la couronne, ce nouveau Roi, par Lettres-Patentes du 17 Juillet 1354, ordonna aux Receveurs du droit de fix deniers pour livre, impofé fur les denrées vendues dans les Vicomtés d'Arques & Neufchâtel, d'en remettre les produits aux habitants de Dieppe, afin de leur aider à en conftruire les murailles. Ce fut du montant de ces fonds que ces citoyens acquirent pour s'aggrandir, le terrein du côté de la prairie, fur lequel ils bâtirent leurs murailles & creusèrent de vaftes foffés: mais le tout ne put être achevé, qu'au moyen d'une impofition volontaire, qu'ils firent fur eux-mêmes, de quarante fols fur chaque muid de fel de leur confommation.

Par ces travaux, cette Ville prit la forme qu'elle a encore aujourd'hui, à l'exception de l'entrée du port, qui alors paffoit aux pieds de la tour aux crabes, & débouchoit le long du moulin à vent que la mer baignoit de fes flots.

Le détour qu'on a fait prendre à fes jetées contre la falaife, dans le dixfeptième fiècle, fur le terrein alors occupé par l'ancien Fort de Châtillon,

a été des plus nuifibles à fa navigation. En effet, dans les quinze & feizième fiècles, il entroit dans ce port des navires de fept-cents tonneaux, bien chargés, tandis qu'un navire de trois-cents tonneaux, chargé, n'y peut entrer aujourd'hui, que dans les grandes marées.

La raison de ce changement de l'état des chofes, eft aifée à donner. A force d'écarter le canal d'entrée de ce port, du milieu de la vallée, pour le porter contre la falaife, ce canal s'eft trouvé placé fur la portion de cette falaife, qui a été jadis peu-à-peu mangée par les flots: par conféquent ce fonds n'eft compofé que d'un tuf qui ne peut être creusé ni approfondi; au contraire, l'endroit où ce canal exiftoit dans les treize, quatorze, quinze & feizième fiècles, avoit un fonds friable, que le paffage de l'eau des rivières de Varenne, d'Yaulne & de Béthune, ainfi que le flux & reflux des marées approfondiffoient aifément.

Il y a lieu de penfer que ce fut après. la perfection de ces fortifications, que nos citoyens, fe voyant en état de défenfe, donnèrent des armoiries à leur Ville. Son écuffon en champ mi-partie

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d'azur & de gueule, porte un vaiffeau à trois mâts, les voiles pliées, & à l'ancre, pour marquer leur bonne rade, & ce vaiffeau eft foutenu par deux Syrènes, pour indiquer qu'ils avoient furmonté tous les obftacles & les périls de la mer.

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ETAT de Dieppe & de fa Marine fous le règne de Charles V & de fes fucceffeurs, jufqu'à Charles VII,

DIEPP

IEPPE fe trouvant fortifié, le commerce s'y fit avec une fécurité qui en hâta les progrès. Cette Ville devint l'entrepôt des derrées & des marchandifes des autres nations; & les profits refpectifs des armateurs & des mariniers, les engagèrent à étendre leur navigation.

Jufqu'alors, foit par timidité où inexpérience de la mer, défaut de curiofité ou d'idées, les vaiffeaux ne s'écartoient guère de la vue des côtes, & ils limitoient leurs voyages à la hauteur de l'Etat de Maroc. Les Dieppois furent les premiers qui élongèrent les côtes de l'Afrique, & qui ouvrirent les

barrières qui féparoient les deux mon 1354. des. Il eft malheureux pour la gloin de nos pères, qu'il ne fe foit trouvé aucun d'entr'eux qui ait tranfmis à la postérité, leurs expéditions & leurs voyages maritimes. Ce défaut d'Hiftorien de Dieppe a donné lieu aux erreurs de nos Ecrivains, qui,. faute d'inftruction, ont attribué aux Génois, aux Caftillans & aux Bretons, des exploits maritimes & des découvertes dont l'honneur appartient à nos ci

toyens.

Sous Charles V, ils parvinrent à la côte de Guinée, & y ayant trouvé des Nègres qui avoient reçu avec plaifir quelques petits préfents pour lesquels ils leur avoient donné en échange quelques dents d'éléphant: ces mariniers revinrent à Dieppe, faire part de leur découverte à leurs armateurs. Ceux-ci profitèrent de cet avis pour y envoyer deux navires chargés de marchandifes qu'on jugea de convenance pour ce peuple nouveau.

Le voyage fut heureux : les échanges en poudre d'or, en dents d'éléphant en bois étranger, furent d'un profit immenfe. Nos armateurs, pour favorifer un commerce fi avantageux, &

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ur procurer à leurs navires des ra fraîchiffements & des agréts, en cas de befoin, ce qui les mettroit en étať d'élonger de plus en plus les côtes d'Afrique, prirent le parti d'y fonder une petite colonie. Pour exécuter ce deffein, ils firent un plus fort armement, & chargèrent leurs navires de munitions & d'uftenfiles néceffaires à une nouvelle habitation, qu'ils peuplèrent de gens de bonne volonté, Ces derniers, avec le fecours des équipages, conftruifirent un petit Fort auquel ils donnèrent le nom de petit Dieppe. Par la fuite, le commerce de nos Négociants s'étant aggrandi fur ces côtes, leurs facteurs donnèrent celui de grand & de petit Paris à deux peuplades de Nègres, où ils réfidoient, pour faire plus facilement l'échange des marchandifes qu'on leur envoyoit de Dieppe.

Nous devons observer, pour l'honneur de cette Ville, qu'elle a été la première de l'Europe qui ait établi une colonie dans un pays jusqu'alors inconnu aux Européens.

Les Dieppois jouiffoient des produits de leurs découvertes, fans en

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