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1556. cette héréfie, c'eût été Dieppe. En effet, placés à l'extrémité du royaume, & ne tenant à aucuns des grands Seigneurs, les bourgeois ne connoiffoient ni leurs intrigues de Cour ni leurs prétentions.

Dans ces temps heureux, les habitants étoient pleins de foi & de fimplicité, parce que leurs mœurs étoient pures. Dix à douze Prêtres dans chacune des deux paroiffes, y rempliffoient les fonctions eccléfiaftiques, avec zèle & édification. Quoique peu nombreux, ce Clergé fuffifoit à fon miniftère, parce qu'il ne s'occupoit que de fes devoirs, & qu'il s'y livroit tout entier.

D'un autre côté, entièrement occupés à leur commerce, les citoyens s'inquiétoient peu des nouveautés & des difcuffions théologiques; ils fe bornoient aux inftructions de leurs Curés &, par une circonftance particulière ils devoient avoir moins d'éloignement que les autres François, pour la tolérance civile: ils s'étoient accoutumés à traiter avec les Luthériens d'Hambourg & du Danemarck, avec les Mahometans de l'Afrique & de l'Afie, & les Sauvages de l'Amérique : auffi le poifon de l'héréfie ne put-il s'intro

duire dans leur ville, que par la voie d'un petit nombre d'habitants dont l'occupation uniforme & fédentaire, pouvoit favorifer une révolution d'idées mifes en fermentation à l'aide de la nouveauté; c'étoient les maîtres & les ouvriers d'une manufacture en laine qui y exiftoit alors.

En 1557, un Colporteur des Livres de Calvin, nommé Vénable, arriva dans Dieppe, y préconifa cet Auteur avec un enthousiasme véhément, qui féduit toujours les fimples & les ignorants, & excite la curiofité de ceux qui font plus inftruits. Enfin Vénable quelque peu éloquent & favant qu'il fût, fe fit écouter avec avidité, & fut le corrupteur de la foi des habitants de cette ville.

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Partout ce font les femmes qui',' en fait de religion, font les premières à être féduites leur imagination plus ardente s'échauffe plus promptement, & leur fenfibilité plus grande, les porte à vouloir faire partager aux autres, le prétendu bonheur de leur mieux apperçu. La veuve Bouchard, une des plus riches de la manufacture en laine, fut la première profélite de Vénable: cette femme engagea fes pa❤

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rents, & plufieurs de fes ouvriers, a écouter cet homme ; & ces particuHers entraînèrent à leur tour, dans la même erreur, d'autres de leurs amis & de leurs camarades.

Enflé de fon fuccès, ce Colporteur fe regarda comme un des premiers Miniftres de l'Eglife naiffante; il en écrivit avec emphase, à la Jonchée, Miniftre de celle de Ronen: Celui-ci jugea des conquêtes qu'il feroit dans Dieppe, par celles qu'y avoit fait Vés nable, tout groffier & ignorant qu'it fût en conféquence, la Jonchée vint dans cette ville; il y prêcha dans les maifons, & pendant trois femaines qu'il y féjourna, il gagna au Calvinifme, une affez grande quantité de bourgeois.

De retour à Rouen, le premier foin de ce Miniftre fut d'informer Calvin, alors à Genève, de l'abondante moiffon qu'il y auroit à faire à Dieppe, fi on y envoyoit des ouvriers pour y femer la parole de l'Evangile; mais t avertit ce Chef de l'héréfie, qu'il falloit en expulfer Vénable, qui, par la dépravation de fes mœurs & fon peu de favoir, ne pourroit que détruire une fi belle efpérance.

L'Eglife de Genève dépofa ce fondateur de l'Eglife Calvinifte dans Dieppe, qui, fans autorité, s'étoit érigé en apôtre: reproche qu'on peut faire à Calvin lui-même; & elle envoya pour remplacer Vénable, un autre Miniftre.

Ce nouveau Prédicant, après avoir fait de nouveaux profélites & avoir confirmé les anciens dans leur erreur, confentit de demeurer avec eux; mais il leur dit qu'il ne pouvoit s'y fixer pour toujours, qu'après avoir fini & arrangé les affaires dans la Provence, dont il étoit originaire. Ce Miniftre mourut dans ce voyage. Calvin répara cette perte, en donnant cette miffion au Miniftre Delaporte. Eloquent & auffi favant que prudent dans des démarches, celui-ci pervertit un grand nombre des citoyens de cette ville. Pour ne point mettre le Clergé fur fes gardes, & ne point lui donner lieu de penfer qu'il vouloit lui débaucher fes ouailles, il commanda la plus grande difcrétion à fes nouveaux Sectaires, & ne, tint fes affemblées, que de nuit, & à des heures où les bourgeois étoient retirés chez eux..

La lecture de la Bible, traduite dans

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un fens captieux; des difcours pathé1557 tiques fur la néceffité de réformer les mœurs; le chant des pleaumes mis en vers François, par Marot; le récit emphatique des tourments fupportés avec joie par les prétendus martyrs de fa fecte; enfin la vanité des premiers Proteftants, de fe dire mieux inftruits de la religion que les Catholiques; tous ces moyens fervirent à pervertir & à engager dans l'erreur, une partie des habitants, avant qu'on y eût apporté aucun obftacle.

Le Clergé s'apperçut du progrès de la féduction. Il étoit compofé de pieux Eccléfiaftiques dont la foi & les mœurs étoient pures. Ils avoient jufqu'à ce temps rempli dignement leur miniftère, & fuffi à la direction des ames ; mais ils n'avoient pas eu à conduire un troupeau incrédule; ce qui ne les avoit pas mis dans la néceffité de s'exercer à la controverfe. Aucun d'eux ne voulut compromettre la religion, en faifant tête au Miniftre Delaporte. Ce Clergé refpectable fit part de la trifte pofition où il fe trouvoit, & demanda à M. le Cardinal de Bourbon, Archevêque de Rouen, un favant Eccléfiaf tique, pour l'opposer aux prédications

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