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douces des François, avec lefquels ils commerçoient.

Rollon avoit diftingué fa domination, par l'énergie avec laquelle il avoit plié fon peuple barbare fous l'heureux joug des loix. La bonne foi avoit fuccédé chez les Dieppois, à leur ancien penchant pour la piraterie: ils avoient cependant confervé leur goût pour courir les mers; mais, en changeant fon objet, ils le rendirent utile à leur propre intérêt & à celui de leur patrie.

Notre communauté étoit devenue nombreuse; les courfes avoient enrichi nos habitants, & par conféquent augmenté leurs befoins; la pêche feule n'y pouvoit plus fuffire: leur vue fe tourna donc du côté du commerce maritime. Notre fituation à cet égard, étoit des plus avantageufes; la forêt nous donnoit des bois pour la conftruction de nos navires, & les portions qu'on en défrichoit journellement, nous fourniffoient des chanvres pour leurs cordages & leurs voiles: enfin, l'induftrie de quelques-uns de nos citoyens nous avoit procuré le moyen d'avoir du fel en abondance, denrée utile pour la confervation de nos poiffons, & avantageufe par ellemême pour l'approvifionnement d'au- ·

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956. tres pays qui n'en avoient point. C'étoit dans le marais, dont nous avons parlé, que nos habitants avoient établi leurs falines. Les Seigneurs des environs ne virent pas fans jaloufie, les richeffes que nous tirions de ce terrein, qui avoit été de tout temps abandonné à la mer: ils prétendirens qu'il faifoit une partie de leurs fiefs; chacun réclama celle qui avoifinoit le fien, & foutint qu'il leur en étoit dû l'hommage & des redevances. Nos citoyens s'y foumirent pour les portions limitrophes defdits fiefs, & non pour celles qui en étoient plus éloignées, qu'ils relevèrent du Roi en franc - aleu. Delà font venues les rentes feigneuriales en fel, que plufieurs de ces prairies paient encore. Mais nos citoyens ftipulèrent dans leur accord, que ces marais, qu'ils avoient mis en valeur, ne fuivroient point, en cas d'hérédité, le partage exercé entre héritiers par les autres vaffaux des fiefs de ces Seigneurs, qu'ils feroient partables également, ainfi l'étoient leurs propriétés roturières dans Dieppe.

que

Comme cette Ville n'avoit eu pour premiers colons, que des pêcheurs & des pirates, cette fociété conferva long

temps toute l'âcreté de l'écume de la
mer: auffi y trouvons-nous peu de
nobles & nuls lettrés avant le règne de
Charles VII. Cependant quelques jeu-
nes-gens de la nobleffe des environs
voulurent prendre part à la navigation;
mais nos mariniers ne connoiffoient
point les égards qui leur étoient dûs
& nos armateurs ne leur étoient pas
plus favorables, parce qu'ils n'étoient
guidés que par leur intérêt : il falloit
que ces jeunes gentilshommes euffent
le courage de commencer leur novi-
ciat par les plus bas poftes, puifqu'on
ne vouloit les admettre à celui d'Offi-
cier, qu'à raifon de leur favoir. Très-
peu donc fe foumirent à cette épreuvė.
Dieppe prit néceffairement la forme
du gouvernement démocratique, fous
la protection de fon Souverain. La rai--
fon & l'expérience firent fentir à la
communauté, qu'elle ne pouvoit fubfif-
ter fans fubordination, & elle choisit
parmi fes membres, ceux qu'elle jugea
les plus capables de la conduire.

Ce gouvernement municipal avoit un chef chargé du commandement civil & militaire, mais fubordonné au confeil de la ville. Ce chef dût prendre la qualité de maire, puifqu'on lui donne

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cette qualification dans un acte de 1212, exifte dans les archives de l'Abbaye de Foucarmont.

qui e

Cet état des choses a duré jufqu'au quinzième fiècle. Abandonnés, pour ainfi dire, à eux-mêmes, les Dieppois fous la fauve-garde de leurs Princes, ne pensèrent qu'à étendre leur navigation & qu'à repouffer les ennemis de leur commerce. Ils ne prirent part, ni aux guerres particulières que les Seigneurs fe faifoient, ni à celles des croisades. Quant à la Religion, nos citoyens avoient des mœurs auffi fimples que leur foi; ils étoient bons chrétiens, fans être favants. On ne voit de leur part, ni fondation de monaftère, ni pélerinage. en Paleftine, ni épreuve par le feu, par l'eau, ou par la croix. Leurs travaux journaliers exigeoient tout leur temps; la conftruction de leurs navires, leurs armements, leur navigation, leur commerce les tenoient dans une activité continuelle, heureufement exclufive de toute autre inquiétude. La feule fondation qu'ils ont faite, prouve leur amour pour leurs femblables, & leurs égards pour le peuple qui compofoit la claffe effentiellement la plus nombreuse de leur ville; c'eft une hof

pice pour les pauvres malades. Cette maifon exiftoit dans Dieppe, dès le douzième fiècle: nous en ferons un article particulier.

Il paroît que quelques Bénédictins, qui, dans les dix & onzième siècles, avoient une réfidence pour le fervice de la chapelle de S. Jean & de S. Nicolas de Caude-côte, fituée près de Dieppe, furent les premiers qui remplirent dans cette Ville naiffante, les fonctions curiales. Ces Religieux ont continué à rendre ce fervice, jufques vers la fin du douzième fiècle, qu'ils furent rappellés dans la maifon de Sainte-Catherinelès-Rouen, dont ils étoient profes en exécution du Concile de Latran de.

1122.

Peu d'années après que Rollon eut embraffé la religion chrétienne, ces Religieux engagèrent nos habitants à bâtir une chapelle dans leur Ville, fous l'invocation de fainte Catherine: mais la population s'étant accrue en peu de temps, cette chapelle devint infuffifante. La communauté fut donc obligée de conftruire une grande églife; elle travailla à cet édifice, qui ne fut achevé qu'en 980. Bâtie fur le terrein qui forme aujourd'hui le jardin da

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