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EPITRE d'une jeune Religieufe à la Marquise de ***, fa Sœur.

C'EN eft donc fait, ma sœur, & d'une infortu

née

Un mot a, pour jamais, réglé la destinée : Quand fur mes triftes jours l'arrêt eft prononcé, Je dois chérir encor la main qui l'a tracé,

Bénir, dans ma mifere, un joug infupportable,
Et moi-même ajouter au tourment qui m'accable.

Il eft des malheureux par le crime égarés,
Qui, pliés fous les fers qu'ils le font préparés,
Dans les cachots obfcurs infectés par le vice,
Des loix qu'ils ont enfreint fatis font la justice.
Maudiflant à la fois & prifons & bourreaux
Par leurs emportemens ils foulagent leurs maux.
A l'afpect menaçant du trépas qui s'avance,
Les reftes abrégés d'une foible exiftence,
Leur paroiffent plus doux, font plus chers à leurs

yeux,

Et des momens fi courts en font plus précieux. Souvent dans leur erreur embraflant de vains fon

ges,

Ils confervent l'efpoir & fes heureux menfonges;
Ou bien de l'échafaud méprifant les horreurs,
Ils attendent la paix après de longs malheurs,
Et regardent la mort fous la plus douce image,
Ainfi qu'un jour ferein qui brille après l'orage,

Pour moi, j'appelle en vain ce fortuné moment
Qui doit brifer ma chaîne & finir mon tourment:
Je l'apperçois toujours dans un lointain horrible;
A mes vœux, à mes cris il fe montre infenfible;
Dans l'ombre de la nuit un effrayant réveil
Vient me réalifèr les horreurs du fommeil ;
Devant moi tout fe change en images funebres,

Je crains également le jour & les ténebres..
Sans efpoir, fans relâche, en proie à mes dau-
leurs,

Il ne me reste plus que de ftériles pleurs;
Pour combattre ines maux, voilà mes feules ar

mes :

Que dis-je le devoir s'offenfe de mes larmes !
Tyran barbare & vain qui, dans fa cruauté,
Des malheureux qu'il fait veut être respecté !

mon unique appui! Sœur aimable & chérie ; Viens confoler ta Sœur, viens pleurer ton amie, De tes bras careffans entrelacer les fiens,

Sur les

yeux abattus viens appuyer les tiens. Oh! quand tu la verras pâle, défigurée, Plaintive, languiffante & d'ennuis dévorée, Tu te rappeleras ces temps, ces heureux temps. Où la plus tendre joie animoit fon printemps. Sans peines, fans chagrins, au fein de la fagefle, Je coulois en repos ma premiere jeunesse : Je levois vers le ciel mes regards innocens ; Sa grandeur occupoit mes organes naislans; Tout jetoit dans mon cœur un aimable délire, Et quand je regardois tout fembloit me fourite: Mes jours doux & brillans rayonnoient de gaîté,. Et mes yeux fe fermoient avec tranquillité. Ah! d'un bonheur fi pur quelle fut la durée ! Je les fens retentir dans mon âme égarée,

Je les entends encor ces lugubres accens:
Je fuccombe, ma fille, au fardeau de mes ans:
Un fommeil éternel va fermer ma paupiere;
Vos yeux autour de vous ne verront plus de
» pere.

Foible & timide encor, des regrets fuperflus Soutiendront-ils vos jours quand vous ne m'au» rez plus ?

Figurez-vous ici, tremblante, défolée,
Dans de vains tourbillons en naiflant folée,
Près d'un monde attrayant qui, plein d'appas
» trompeurs,

Trahira votre enfance ou rira de vos pleurs. 30 Mais il eft des maifons, refpectables afyles, » Des vertus, de la paix, féjours purs & tran quilles,

Où, dans un doux loifir, fans périls & fane » foins,

Une jufte abondance exauce les befoins.

» L'innocence à l'abri n'y craint point les orages, 30 Sans ceffe à l'Eternel préfente fes hommages, D'un luxe féduifant méprife les attraits, » Et bénit une vie exempte de regrets.

>> C'est dans ce lieu facré que, cher à ma tendresse, " Le bonheur de vos jours charmera ma vieillesle : Trop heureux de defcendre au tombeau qui >> m'attend,

30

Si l'âge me permet d'y lurvivre ua inftant! »

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Que devins je à ces mots ? l'effroi m'avoit glacée
Je fentois fur ma langue expirer ma pensée;
Je n'ofois à mon pere exprimer mes transports:
Je redoutois la voix ; il m'effrayoit alors.
Sans force à fes genoux, dans un affreux filence,
Mes bras, vers lui tendus, imploroient fa clé-

mence,

Et mes regards tremblans interrogeoient les fiens?
En vain de l'attendrir je cherchois les moyens,
Il oppofe à mes pleurs un front toujours févere,
Je vois les yeux s'armer du feu de la colere,

Et fa main, autrefois prompte à me carefler,
Dans ce moment fatal fert à me repousser.

Hélas! c'en étoit trop pour un cœur foible & tendre,

De ce fpectacle affreux je ne pus me défendre:
Ma bouche promit tout & prononça des mots
Que démentoient affez mes pleurs & mes fanglots.
Je me fattai long temps de l'efpérance vaine
Que mon pere attendri mettroit fin à ma peines
Mais le jour eft venu; vain elpoir qui féduit!
On fcelle mon malheur, & le fonge eft détruit

O douleur fans remede! o mortelle journée !
Quand près des faints autels je me vis entraînée,
Quand ma bouche tremblante articula des vœux
Quand le cifeau fatal abattit mes cheveux !
Dans ce terrible inftant de deuil & de trifteffe,

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