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» Je n'en fais rien.

Pourquoi donc

» Tant prôner une chimere ?

» Mais attaquer un Lion!

ככ

L'attaquer & le défaire,

» Ce font deux. Mais cependant...
» Cependant rien n'eft moins fage:
» Ces chiens, que tu vantes tant,
» N'ont que l'orgueil en partage ;
C'eft un fait bien attesté,
Bien prouvé témérité,

Comme on dit, n'eft pas courage ».

Par M. Willemain d'Abancourt.

L'HOMME, LE LION & LE TIGRE.

Fable imitée de l'Allemand.

Sur les côtes d'Afrique errant à l'aventure,

UR

Sans guide, fans fecours, luttant contre la mort,

Un voyageur, dans une nuit obfcure,

Attendoit que le ciel décidât de fon fort.
Le bruit des flots, qui baignent ces rivages,
Les hurlemens des animaux fauvages,
Tout dans fon fein porte une jufte horreur.
Le jour renaît; &, loin de le rendre à la vie,
Le jour encore ajoute à fa terreur.

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Un Tigre qu'un Lion pourfuit avec ardeur.
Pour cet infortuné quelle horrible détrefle!
Le Tigre l'apperçoit, redouble de vîteffe,,
L'atteint & fond fur lui. Tout faifi de frayeur,
Le pauvre Voyageur

Chancelle, & le défend avec fi peu d'adreffe,
Qu'il va bientôt du Tigre affouvir la fureur.
Deftin cruel! fort affreux !.. Mais la chance
Tourne auffi-tôt : voyant ce combat inégal,
Le Lion fierement s'avance;

Hériflé, l'œil ardent, fur le Tigre il s'élance,
L'étrangle; & loin de fuivre fa vengeance,
Laiflant aller le Voyageur fans mal,
Apprends, lui cria-t-il, que la reconnoiflance
» Parmi les animaux eft un devoir facré;
» Autrefois à la mort j'allois être livré,
» Lorsqu'un de tes parc ils m'aflura l'existence.
» C'eft à lui feul que j'ai dû le bonheur

» D'échapper à la vigilance

» De mon barbare & perfide oppreffeur. » J'ai faim; mais ne crains rien: va,

≫ poiffance

la recon

» En ce moment l'emporte dans mon cœur. J'apperçois un vaifleau ; retourne en ta patrie, Et lorfqu'à ta famille étonnée, attendric

Turaconteras ton malheur,

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» Souviens-toi bien, pour ton honneur, Que ce fut un Lion qui te fauva la vie ».

Par le même.

LE BONHEUR INTERROMPU.

Il y a quelques jours, Mesdames, qu'en revenant chez moi, je paffai par la plai ne de Frontenen; il faifoit prefque nuit; j'entendis tout-à coup des foupirs & des gémiffemens. Il eft naturel de fecourir les malheureux. J'approchai de l'endroit d'où partoit ce que je venois d'entendre: je vis, autant que l'obfcurité put me le permettre, un homme affis au pied d'un arbre, la tête appuyée dans fes mains & qui donnoit les plus grandes marques de défefpoir; il étoit affez bien mis, à fa figure, je jugeai qu'il n'étoit pas un homme du commun; il ne prenoit pas garde à moi, & il répétoit toujours : Que je fuis malheureux! que mon fort eft affreux! Je lui offris mes fecours, & il ne répondit que par des plaintes amères. Je lui demandai la caufe de fon état ; s'il étoit bleffé; s'il avoit été attaqué par des voleurs; s'il avoit perdu fa fortune, fes

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parens, fes amis; fi l'injuftice des hommes l'avoit couvert de quelque opprobre; à chaque fois il me répondoit: qu'il feroit heureux s'il n'avoit que cela à regretter. Monfieur, lui dis-je, la confiance foulage les maux, quelle peut-être la caufe des vôtres? Tout ce qui dépend de moi... Ah! Monfieur, me dit-il, la vie m'eft infupportable, je fuis le plus infortuné des hommes, j'ai perdu un ruban. Un ruban? Oui, Monfieur, un ruban, un ruban couleur de rofe & vert: il m'étoit plus précieux que la vie; elle y étoit attachée; je l'ai perdu ici, & fi je ne le retrouve pas, j'efpère que la mort... Les pleurs & les fanglots étouffèrent fes paroles; mon premier mouvement fut de juger fort mal de la raifon de cet inconnu: mais il étoit malheureux; quelle qu'en fût la caufe, il méritoit ma pitié, & je m'efforçai de le confoler. Je l'affurai qu'il feroit poffible de trouver à la ville des rubans couleur de rofe & vert; je lui promis d'en chercher chez toutes les marchandes de mode, & je lui propofai de fe laiffer conduire chez moi; il y confentit avec quelques peines, & fans faire aucune trève à fa douleur. Je lui par Lois peu; je vis qu'il ne falloit pas cher

cher à le diftraire. On fervit le fouper; fon affliction ne l'empêcha pas de boire plufieurs coups de vin, & de manger les deux tiers du fouper d'affez bon appetit. Au deffert, il me dit: l'honnêteté eft peinte fur votre phyfionomie; vous infpirez la confiance, voulez-vous écouter mon hiftoire. Je lui dis qu'il m'intéresfoit, & que je ne demandois pas mieux que de favoir en quoi je pourrois lui rendre fervice. Pour n'être pas long, continua-t-il, je ne commencerai que depuis ma naifance. Je m'appelle MiGis;

Miis, dis- je; je ne connois point ce nom là à Genève. Vous êtes un nouvel habitant, ou tout-à-fait étranger - Eh! qu'importe, d'où je fois, reprit-il, les malheureux ne font-ils pas de tous les pays? Je ne l'ai cependant pas toujours été; & fi je le fuis aujourd'hui, ce n'est pas la faute de la fortune. Je fuis né riche, & de parens, qui, toute leur vie, fe font difputés fur la vocation que je de vois em. braffer. Mon père vouloit que j'entraffe au fervice; ma mère, que je priffe le parti de la robe : les bonnes gens moururent fans avoir rien décidé, me laifsèrent leur indécifion & affez de fortune. Je crus ne pouvoit mieux employer ma liberté

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