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EPITRE à un de mes Amis, auffi conftant que malheureux dans fes amours.

T

E voilà, nouveau Céladon,
Toujours plus tendre & plus fidele:
Jamais les rives du Lignon
N'avoient vu de flamme fi belle;
Auffi que ne naiflois-tu là?
L'Amour t'eût donné la couronne.
Et de ces beaux fentimens-là
Aucun en France ne la donne.

Y longes-tu? Né vif, charmant,
Le François ne doit l'art de plaire
Qu'à ce rayon de fentiment,
Cette étincelle fi légere

Qui brille & meurt au même instanw
Le cœur est une fleur naissante
Qu'entrouve une douce chaleur:
Quand elle devient trop ardente,
On voit foudain fanguir la fleurs
Mais un léger ruisseau qui coule,
Bendit & gazouille à l'entour,
Vient tempérer les feux du jour.
L'inconftance eft le flot qui roule

Pour calmer les feux de l'Amour.
Fauline cat ton cœur ; à Julie
Cours à l'inftant porter tes vœux.

Ah! pour plaire à Nymphe jolie,
C'est un titre bien précieux

Qu'une Beauté déjà trahie.

Te voilà donc tout réformé.
Moins raisonnable & bien plus (age,
Moins aimant & bien plus aimé ;
Tu vas déformais faire rage.
Trifte, languiffant, abattu,

Le refpect sampe aux pieds des Belles.
L'Amant qui veut triompher d'elles
Doit croire moins à leur vertu.
Leur cœur, en cherchant à paroître
Ce du'au fond il dément tout bas,
Hairoit trop de nous voir être

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Comme elles voudroient n'être pas.

Julie auroit la fantaisie

D'un cœur constant dans les amours;
Mais en eftil Promets toujours
Jure de l'aimer pour la vie.
A quoi t'engagent des fermens ?
Le vent les porte fur les ailes.
Le Ciel punit-il les Amans
Pour n'avoir pas été fideles ?
A vingt Déelles tour-à-cour

(Prenons Jupiter pour modele)

Il fit mille fermens d'amour Qu'il oublia le même jour Aux genoux de quelque Mortelle. Hercule, dé grand fentiment, Se piqua-t-il auprès d'Omphale? Iole encor l'eut pour Amant. Phoebus garda tikson serment ? ́ Mars aiina Vénus tendrément ; Vénus eut plus d'une rivale. ~On peut, en imitant les Dieòx, Ne pas rougir d'être coupable. En amour, qui trompe le mieux, Fut de tout temps le plus aimable. Dès que ta conquête ne tient Qu'à quelque peu de perfidie, De plein droit elle te revient; Et l'afage t'acquiert Julie. Mais comment tromper les jaloux Qui, nuit & jour, en fentinelle, De douze clefs, de vingt verroux Arment une porte cruelle ? Sur les gouds, comment ébranler Sa mafle lourde & gémiflante ? L'Amour, que Julie y confente, D'un feul doigt la fera rouler. Argus, vos foins nous font utiles;

Nous nous plaignons à tort de vous:

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Rendez les plaifirs difficiles,
Il n'en feront que bien plus doux
Et les Nymphes bien plus dociles.
Eh! qui pourroit nous résister
Quand l'Amour ouvre le pallage?
Argus, frimats, nuit, vents, orage,
Que rien ne puiffe l'arrêter.

Vénus hait les cœurs fans courage;
Et fes faveurs font le partage
De ceux qui favent tout tenter.

A Aix. Par M. d'Hermite de

Maillanne.

Bosi, Conte tiré d'un Auteur Turc.

Bosi, né avec le caractère le plus beureux, l'âme la plus fenfible, les fentimens les plus diftingués, sembloit n'avoir rien à defirer. Il comptoit pour Ayeux plufieurs Mufulmans, qui, par leurs lumières, s'étoient illuftrés à Stamboul. Ce qui fur-tout lui faifoit beaucoup d'honneur, c'étoit d'être d'une famille dont aucun des membres, depuis un temps. immémorial, n'avoit eu la foibleffe de rire. Une aifance honnête le tenoit élevé au deffus des malheureux qui rampent

dans la pouffière. Il vivoit retiré dans une terre éloignée du fracas de la ville & du fiége du defpotifme; &, pour le récompenfer de fa vertu, le divin Prophète verfoit fur lui la rofée de fes faveurs. Le deftin voulut l'éprouver par quelques tribulations. Un injufte voisin s'empara de fes biens, le maltraita & le chaffa de fa maison, Pénétré de douleur, il confulta des Sages qui lui donnèrent des avis dont l'exécution étoit impoflible. Il confulta fes amis, qui ne purent que mêler leurs larmes aux fiennes. Enfin il confulta fes parens. Ceux-ci lui avouèrent qu'un de leurs proches, nommé Mouffouw, étoit parvenu au rang de Bacha à trois queues, en achetant, par des baffeffes, l'amitié du petit Ali; que ce petit Ali étoit un compagnon de débauches de l'Empereur Bajazet II, fur l'efprit du quel il avoit un afcendant incroyable. On lui ajouta qu'il feroit bien de recourir à Mouffouw pour obtenir une prompte juftice. Bofi refufa d'abord d'employer à une auffi belle œuvre un homme parvenu à un degré de fortune auffi éminent, par des moyens auffi bas. Jeune homme, lui dit un vieillard, le fumier fait pouf » fer les rofes, & fouvent Dieu fe fert By

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