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prendre quelque leçons de notre Afie. Elle y apprendroit à fe familiarifer avec ces méfalliances, qui ne font point hors de l'ordre, puifqu'elles font dans la na

ture.

LA PRINCESSE A L...

Sans doute; mais prefque tout eft convention chez les humains. La beauté > certaines vertus, certains devoirs, certaines bienséances ne font parmi eux que l'effet de cette convention. Elles different chez différens Peuples comme les productions des climats qu'ils habitent. Mais j'avois à craindre autre chofe que le blâme; il falloit me fouftraire aux recher ches d'un ennemi puiffant. Il falioit, de plus, me fouftraire, mon époux & moi, aux horreurs de l'indigence. Il obtint un emploi honorable dans les Troupes que la France envoyoit aux Indes. Je le fuivis; j'affrontai avec lui les dangers que l'on court fur ces mers immenfes qui féparent l'Europe de l'Alie. Arrivés dans ces lieux, fi nouveaux pour moi, mon époux eut d'autres périls à braver. Il y trouva la mort; il périt dans un combat livré aux Anglois. Jugez de ma cruelle Situation! étrangère, ignorée, hors d'érat

de

de me faire connoître, intéreffée même à ne pas être connue, j'éprouvai toutes les atteintes de l'infortune, fans entrevoir aucun remède à mes difgrâces. Le préfent m'effrayoit, l'avenir n'offroit à mon efprit qu'un nouvel abyfme. J'enviois le fort des humains les plus abjects, & j'aurois voulu pouvoir le partager. Il ne me reftoit de toutes mes grandeurs que l'impuiffance de pouvoir defcendre aux derniers rangs.

TH. KOULI-KAN.

J'avoue que ce récit m'intéreffe. Quel parti prîtes-vous enfin?

LA PRINCESSE AL...

Celui de m'expofer encore à l'inconftance des mers & des événemens. Mon fort me réduifoit à tout braver. Je revins en France. J'y fubfiftai d'une modique penfion que me valut la mort de mon époux. J'y vécus perpétuellement inconnue. Un jour cependant que me je promenois dans le magnifique jardin des Rois de France, j'y fis une rencontre qui

*Aux Tuileries.

1. Vol.

B

penfa dévoiler mon incognito. Ce fut celle du célèbre Maurice de Saxe, ce Gé-, néral qui fit tant de bruit dans le monde, quelque temps après que vous l'eûtes quitté. Il m'avoit vue à Mofcou; il me reconnut à Paris. Je cherchai en vain à m'efquiver; il m'aborde & me témoi-. gne fon étonnement. Il falloit me débatraffer de fes queftions: je lui affignai un autre jour & un autre lieu pour y répondre.

TH. KOULI-KAN.

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Je l'ignore; le rendez vous n'étoit que fimulé. Je ne voulois point de confidens. d'une fituation qui ne pouvoit plus changer. Il est vrai que mon ennemi n'exiftoit plus; mais le préjugé que javois bra vé fubfiftoit toujours. Je ne me repentois, ni ne voulois m'accufer de rien. J'étois réfolue de finir dans l'obfcurité une carrière qui eût été plus heureufe, fi je l'eufle commencée avec moins d'éclat.

TH. KOULI-KAN

Ne deviez vous pas craindre de nouvelles rencontres?

LA PRINCESSE A L...

Je pris de nouvelles précautions pour m'y fouftraire. Je me retirai dans un village voifin de la capitale *, &habité par des humains qui ne foupçonnent point la grandeur où elle ne fe montre pas. J'y vécus, oubliée de toute la terre, & oubliant moi-même qu'on pût y jouer un plus grand rôle. En un mot, je trouvai le repos dans ma retraite; &, dans une、 pofition telle que la mienne, c'étoit y trouver le bonheur.

TH. KOULIKAN!

Pardonnez; je crois difficilement à ce bonheur fi tardif. Il en eft des grandeurs comme de certains climats, qu'on ne quitte pas impunément, lorsqu'on y eft né, qu'on n'habite pas impunément fi l'on naquit loin d'eux.

Le village de Vitry.

Le

LA PRINCESSE AL...

repos est pour l'âme ce que la bonté du climat eft pour le corps. Je me rappelois mes grandeurs paffées comme on fe rappelle un fonge pénible & douloureux. L'inftant du réveil eft toujours accompagné d'un fentiment de joie. Vous ne jouîtes point de cet inftant; votre fonge ne finit qu'avec vos jours.

TH. KOULI-KAN.

J'aurois voulu pouvoir le prolonger. Tout eft fonge dans la vie, & il vaut encore mieux rêver qu'on eft le Maîtte d'un vaste Empire, que de fe croire l'Efclave de quelque petit Defpote.

LA PRINCESSE A L...

Au fond, je crois la chofe affez égale; mais voyez à quoi tient le repos de la terre & le bonheur des individus qui l'habitent. L'Alie eût été bien moins troublée fi vous n'euffiez jamais quitté votre villa. ge, & ma vie eût été bien plus heureufe fi j'avois plutôt habité le mien.

Par M. de la Dixmerie.

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