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Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 3 décembre 1883 (1) et un autre arrêt de la Cour de Paris du 9 novembre 1897 (2). Et tout récemment encore, le 15 février 1899, la Cour suprême a décidé que la femme ne peut céder ses reprises mobilières (notamment la part qui lui revient dans une maison de commerce), même lorsque le contrat de mariage lui donne la faculté d'aliéner ses biens dotaux de toute nature avec l'autorisation de son mari (3).

Bien des conséquences ont été tirées de cette doctrine par les arrêts des Cours d'appel. Ainsi, par exemple, lorsqu'une femme dotale achète des immeubles, la délégation qu'elle fait à son vendeur, en paiement du prix de son acquisition, d'une somme dotale à elle due par un tiers, est nulle comme constituant une aliénation de dot; et par suite la femme peut demander au vendeur le remboursement de cette somme encaissée par lui (4); de même, la femme ne peut compromettre son droit hypothécaire en laissant prendre défaut contre elle, dans une procédure d'ordre, par un créancier qu'elle prime (5).

Le mari peut vendre, même donner des meubles dotaux, mais la Cour de cassation tempère ce droit exorbitant en concédant à la femme un recours au moyen de son hypothèque légale. L'aliénation doit être annulée lorsqu'elle a été accomplie dans un but de spoliation en employant la fraude et la complicité d'une tierce personne (6). Les tiers ne sont pas lésés par cette sage doctrine; car, dit la Cour, l'usage inintelligent ou l'abus que le mari fait de son pouvoir n'engage en général que sa responsabilité, garantie par l'hypothèque légale de la femme. Pour que l'acte soit frappé de nullité au préjudice des tiers, il faut que ceux-ci se soient rendus complices de l'abus ou de la fraude, en y concourant.

Le mari peut céder la créance dotale lors même que cette créance ne serait pas encore exigible; d'où il résulterait que, si par exemple, la femme obtenait la séparation de biens avant l'échéance de la créance cédée, mais après le transport, elle serait bien et dûment dépouillée, et le droit du cessionnaire serait opposable à tous, quelle que fût l'insolvabilité du mari (7).

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Le mari compense ce qu'il doit lui-même avec ce qui est dû à l'épouse (1).

Les créanciers du mari peuvent saisir les meubles de la femme (2). Tel est le système qui, depuis longtemps déjà, a prévalu en jurisprudence, et qui est constamment appliqué dans la pratique. Bien plus, on peut dire qu'il a reçu la consécration de la loi, du moins en ce qui concerne la défense adressée à la femme de renoncer à son hypothèque légale. Quel pourrait être, en effet, le cas auquel l'article 9 de la loi du 23 mars 1855 a voulu faire allusion, sinon le plus ordinaire, le plus usuel, le cas où cette hypothèque garantit à la femme la restitution de sa dot mobilière ?

Le système de la jurisprudence trouve également sa confirmation dans les lois du 2 juillet 1862, du 2 octobre 1871, du 11 juin 1878 et du 27 avril 1883, qui ont permis le remploi des immeubles dotaux en rentes sur l'Etat, ces titres étant déclarés inaliénables.

On ne peut nier que la règle ainsi établie place la femme dont tous les biens sont dotaux dans l'impossibilité absolue de s'engager d'une manière utile. La jurisprudence dépasse ainsi les prescriptions de la loi Julia et les traditions suivies dans les pays de droit écrit.

D'après les règles du droit romain, la femme peut vendre son mobilier, à la condition d'obtenir le consentement du mari. Le Velléien l'empèche de s'engager sur ses biens personnels. Le sénatusconsulte étant abrogé par notre ancien droit et n'ayant pas laissé de traces dans le Code civil, il est certain que la femme peut vendre son mobilier dotal, d'accord avec le mari qui en dispose; à plus forte raison peut-elle l'affecter à ses engagements.

La femme séparée de biens doit être investie du droit d'aliéner ses meubles. Il en était ainsi sous l'empire de la coutume de Normandie, qui mesurait très étroitement à la femme sa liberté d'action. Le Code civil n'a pas voulu se montrer plus sévère, en condamnant la femme séparée à une sorte de paralysie juridique.

Aussi ne pouvons-nous approuver les décisions récentes qui, rendues en sens contraire, paraissent admettre pour base du régime dotal l'incapacité absolue de la femme mariée.

D'après cette jurisprudence, la dot mobilière et les valeurs qui la composent sont aliénables seulement avec l'autorisation du mari et à charge de remploi (3). Par son arrêt du 9 novembre 1897, af

(1) Limoges, 19 février 1862, S. 63.2.62.

(2) Caen, 26 mars 1862, S. 63.2.62.

(3) Req., 3 février 1879, D. P. 79.1.246; 27 avril 1880, D. P. 80.1.431; 3 décembre 1884, D. P. 84.1.334.

faire Sagan (1), la Cour a décidé qu'on ne devait pas considérer comme un simple acte d'administration, rentrant dans la capacité de la femme dotale séparée de biens, la vente d'objets d'une valeur considérable (dans l'espèce des tableaux de maîtres) nécessitant un emploi de capitaux.

Comme nous l'avons dit plus haut, la plupart des auteurs estiment, contrairement à la jurisprudence, que la dot mobilière est aliénable. Voici pour quelles raisons. Lorsque la loi prévoit et organise l'administration et la jouissance de la dot, elle emploie des termes génériques, dot, biens dotaux (art. 1549, 1550). Ces expressions comprennent les meubles aussi bien que les immeubles. Mais quand le législateur formule la règle de l'inaliénabilité, son langage est catégorique dans le sens d'une limitation: Les immeubles constitués en dot ne peuvent être aliénés. Qui dicit de uno negat de altero. N'est-il pas clair que les prohibitions de cette nature ne pouvant être étendues, la dot mobilière reste soumise au droit commun? Ce raisonnement est d'autant plus conforme à l'esprit de la loi:

1° Que la dot mobilière était aliénable en droit romain, auquel le régime dotal a été emprunté; 2o que l'inaliénabilité est une exception au principe d'après lequel chacun peut disposer comme il l'entend des biens dont il est propriétaire (art. 554); 3° que l'inaliénabilité est contraire à l'intérêt général du commerce, surtout quand elle porte sur des meubles; 4o que le principe de l'inaliénabilité des immeubles n'a été admis qu'avec répugnance et après de longues hésitations; 5o que les articles 1557, 1558, 1559, qui dérogent au principe d'inaliénabilité posé dans l'article 1554, ne parlent toujours que des immeubles dotaux ; 6o que l'article 1561, qui établit le principe d'imprescriptibilité comme une conséquence de l'inaliénabilité, ne parle aussi que des immeubles dotaux (2).

A cette argumentation si pressante on répond en invoquant le texte des articles 1555 et 1556 qui autorisent exceptionnellement l'aliénation des biens dotaux, c'est-à-dire des meubles et des immeubles. Mais la doctrine réplique: ces articles s'écartent de la règle posée dans l'article 1554, en permettant, par exception, l'aliénation des biens que l'article 1554 déclare inaliénables; donc les mots: biens dotaux, employés par ces articles, signifient, immeubles dotaux ; autrement ces articles, au lieu de prescrire des dérogations aux règles générales, poseraient, d'une façon dé

(1) D. P. 98.2.464.

(2) Mourlon, Régime dotal.

tournée, non pas une restriction, mais une extension du principe en vertu duquel les biens sont mis hors du commerce. Les auteurs font observer que la question était très incertaine dans notre ancien droit français: on ne peut donc pas invoquer la jurisprudence de certains Parlements: sans doute, la femme dotale qui ne possède que des meubles mérite d'être protégée; mais les rédacteurs du Code civil, imbus de la maxime vilis mobilium possessio, ont accompli leur œuvre à une époque où la fortune mobilière était loin d'être développée comme aujourd'hui: vraisemblablement ils l'ont considérée comme une quantité négligeable. II n'est pas excessif de dire que la jurisprudence a dépassé son pouvoir d'interprétation et que, sans se contenter de dire le droit, sous ce rapport elle l'a créé. M. Laurent, adversaire résolu de ce système, fait dire à la femme : « Vous me donnez une garantie contre moi en me défendant d'aliéner, à quoi me sert cette garantie, si mon mari peut disposer de ma dot (1)? »

Certains jurisconsultes, se plaçant à un point de vue tout opposé, ont fait observer que les critiques adressées à l'inaliénabilité de la dot mobilière s'adressent en réalité au régime dotal lui-même, et qu'il serait plus logique de ne pas faire de distinction entre les meubles et les immeubles. Si la femme est propriétaire de sa dot, n'est-il pas abusif que le mari puisse disposer du mobilier dotal, même lorsqu'il comprend des objets incorporels? En ne considérant l'inaliénabilité qu'au regard de la femme seule, en la réduisant à une créance en reprise contre le mari ne l'expose-t-on pas au danger de l'insolvabilité de ce dernier? Ne lui enlève-t-on pas la protection légale pour la transporter à son mari? Ne vaudrait-il pas mieux limiter les pouvoirs du chef de l'association conjugale, et ne pas lui permettre d'autres actes que ceux d'une simple administration? Cette opinion a pour elle la logique; mais elle serait un obstacle permanent à la circulation des biens; aussi doitelle être absolument rejetée.

La théorie de la jurisprudence a donc pour base, en résumé, l'impossibilité pour la femme de renoncer aux garanties qu'elle a contre son époux.

Il faut reconnaître un défaut à ce système. C'est que, pour son actif mobilier, la femme n'est pas absolument protégée au cours du mariage, à cause de la liberté donnée au mari, liberté que les arrêts ne limitent pas d'une façon précise. Ainsi le mari peut aliéner une créance dotale de sa propre autorité sans être muni ni du

(1) T. XXIII, no 642.

consentement de sa femme ni d'une autorisation de justice. Sans doute la femme est garantie par son hypothèque légale, à laquelle la jurisprudence lui défend de renoncer; mais à quoi lui sert cette protection dans le cas, fréquent aujourd'hui, où le mari ne possède pas d'immeubles? La femme est alors exposée à perdre tout ou partie de sa dot.

Enfin cette impuissance même de la femme, que les arrêts lui reconnaissent avec complaisance et présentent comme une faveur, lui assure bien des droits exclusifs et incommutables pour ses reprises et son hypothèque; mais cette inertie obligatoire se retourne contre le ménage en enlevant aux tiers la confiance.

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Toute aliénation du fonds dotal est frappée de nullité par l'article 1560. C'est la sanction nécessaire et pratique de la règle.

L'action révocatoire peut être intentée, que l'aliénation émane du mari, de la femme, ou des époux conjointement. Si c'est le mari seul quí a prétendu vendre le bien dotal, il n'a transmis aucun droit, n'en possédant pas lui-même. Il est bien capable de vendre, seulement il a vendu ce qui ne lui appartenait pas. Tous les contractants peuvent se prévaloir d'une nullité qui doit être considérée comme absolue dans cette hypothèse.

Si la vente a été opérée par la femme seule, c'est alors le défaut d'autorisation qui vicie l'acte. Ici la nullité n'est que relative et ne pourrait être valablement invoquée par le tiers acquéreur.

En supposant la vente faite par la femme autorisée de son mari, l'acte est encore annulable à raison des prohibitions spéciales résultant du régime adopté par les époux. Il en est de même si la femme avait surpris une autorisation de la justice.

C'est donc le plus souvent le mari qui poursuit la nullité de l'aliénation. Ce droit lui appartient tant que dure le mariage, et jusqu'à la séparation de biens judiciairement prononcée. Ensuite, la femme ou ses héritiers en sont investis à leur tour. C'est au moment même où la vente s'accomplit que l'action révocatoire est ouverte pour le chef de l'association conjugale. Lors mème qu'il aurait garanti l'opération, ou qu'il aurait promis de la ratifier, l'acheteur ne pourrait lui opposer la maxime quem de evictione...

Dans cette hypothèse, le mari n'a pas accompli un acte personnel: il a figuré au contrat comme gérant de l'actif dotal.

Lorsque la femme exerce l'action en nullité, et que l'aliénation provient du fait de son mari, elle a la faculté d'opter entre deux

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