B. Administration des biens dotaux. Revenus. Les droits du mari sur les biens dotaux sont réglés par le Code civil français d'une manière qui exclut la femme de toute participation effective à l'administration de ses biens. Sans doute elle peut donner au chef de la communauté des avis officieux que ce dernier doit écouter avec une affectueuse déférence; mais c'est là pour lui un devoir purement moral auquel la loi ne donne pas de sanction. Si le mari compromet les intérêts communs, dilapide le bien de la famille, et, méconnaissant l'esprit d'un régime conservateur, en fait un instrument de ruine, la femme pourra demander aux tribunaux la séparation de biens judiciaire. Mais, tant que, fidèle à la loi du contrat, le mari reste un administrateur probe et attentif, on ne peut lui disputer son droit de maître absolu dont les décisions brisent toute résistance et ne sont susceptibles d'aucun recours. La femme s'est soumise d'avance à cette loi d'airain; ses plaintes ne sauraient être écoutées tant qu'elle n'a pas de griefs à produire. C'est dans ces conditions que la loi accorde au mari l'administration et la jouissance des biens dotaux dont la propriété reste à la femme. Cette administration est extrêmement large, et comporte des droits très étendus; toutefois, il est permis de la modifier par des tempéraments sans porter atteinte au principe général de l'article 1388. D'après la jurisprudence de la Cour suprême, la clause du contrat de mariage qui permet à la future épouse de recevoir, avec l'autorisatiou de son mari, tous ses capitaux dotaux, à la condition d'en faire emploi, lui confère une simple faculté dont l'exercice est subordonné à l'autorisation du mari; dès lors elle ne porte aucune atteinte à la puissance de ce dernier, et se trouve par conséquent licite (1). Bien plus, la même Cour a déclaré que la clause par laquelle une femme dotale se réserve l'administration et la disposition de tous ses revenus, à charge de contribuer pour moitié aux charges du ménage, doit être validée; car, en théorie et même en fait, le mari n'est pas dépouillé des prérogatives qui lui appartiennent comme chef (2). Le mari a le droit de louer les biens dotaux; il est chargé des (1) Arrêt du 13 novembre 1876, P. 77.369. (2) Arrêt du 17 février 1886, D.P. 86.1.249. grosses réparations et des réparations d'entretien. Pour les premières seulement. indemnité lui est due par ia femme à la dissolution du mariage; les autres sont des charges de sa jouissance. Il répond envers la femme des détériorations ou des pertes survenues par suite de son incurie. Le mari a seul l'exercice de toutes les actions, tant immobilières que mobilières, tant pétitoires que possessoires, relatives aux biens dotaux; seul il peut intenter de pareilles actions et y défendre; poursuivre le recouvrement des créances dotales, et en donner quittance avec mainlevée des inscriptions hypothécaires prises pour leur sûreté; enfin, il peut, en cas d'aliénation volontaire d'un immeuble affecté à une créance dotale, se porter surenchérisseur. Rien n'empêche qu'il oppose une créance de cette nature en compensation de ses propres dettes, au moment où les sommes dues à sa femme deviendront exigibles; mais c'est là une compensation simplement facultative, opposable comme une exception à la demande de l'adversaire. Quant aux intérêts des créances dotales, ils se compensent de plein droit, au fur et à mesure de leur échéance, avec les intérêts et même avec le capital dû par le mari. Il n'y a lieu de faire exception à la règle qui confère au mari l'exercice de toutes les actions qu'en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Les offres de l'administration ne pouvant être acceptées que par la femme dotale elle-même assistée de son mari, il faut admettre qu'au cas où elle refuserait ces offres, l'instance en règlement d'indemnité devrait être introduite contre les deux époux (1). L'action en partage ne paraît pas devoir être refusée au mari seul; c'est du moins vers cette solution que penchent les derniers arrèts. La Cour de Nimes vient de décider que l'époux a intérèt et qualité pour introduire une action tendant à la liquidation d'une succession à laquelle sa femme est appelée (2). Il est vrai que dans les partages la situation de la femme est souvent opposée à celle du mari, celui-ci devant préférer recevoir plus de valeurs mobilières dont il pourra disposer que de valeurs immobilières, tandis que la femme a un intérêt contraire. Mais puisque la loi a donné au mari la haute main sur toutes les actions, on ne peut lui enlever la direction des affaires de sa femme dans une hypothèse déterminée. (1) Art. 25, loi de mai 1841. (2) Nimes, 25 juin 1896, D. P. 99.1.478. Il faut admettre, pour les mêmes motifs, que les poursuites à fin de saisie immobilière sur les biens dotaux peuvent être intentées contre le mari, sans qu'il soit nécessaire de mettre la femme en cause. Si l'on prend à la lettre la maxime «transiger c'est aliéner», on doit considérer la transaction comme défendue aux époux dotaux. Cependant la jurisprudence de nos anciens Parlements permettait au mari de transiger pour retenir la dot. En effet, le sacrifice d'une somme consenti dans le but de conserver un bien dotal ne peut être assimilé à une aliénation prohibée. C'est au contraire un acte d'administration diligente que le mari peut faire seul. La Cour suprême décide que la transaction passée sur le capital à rembourser d'une rente dotale, lorsqu'il existe à ce sujet des questions litigieuses à résoudre, ne peut être annulée sur la demande de la femme sous prétexte qu'elle équivaudrait à une aliénation du fonds dotal. Un arrêt tout récent autorise le mari à apporter dans une société de commerce la dot mobilière de sa femme, mais il faut s'arrêter à cette limite extrême (1) sous peine de fausser les intentions du législateur. C'est ainsi que la Cour de cassation a décidé que les pouvoirs d'administration accordés au mari par la loi ne l'autorisent pas à reconnaître, à la charge de sa femme, en dehors du consentement exprès de celle-ci, une obligation qu'elle aurait pu refuser de contracter (2). Une solution contraire donnerait au mari le pouvoir d'aliéner la dot par voie indirecte. Ainsi, pendant le cours du mariage, lemari a l'exercice des actions dotales, et les jugements rendus pour ou contre lui sont opposables à la femme, bien qu'elle n'ait pas été partie dans l'instance. Ajoutons qu'en cette matière les pouvoirs attribués au mari sont inhérents à sa personne, et la femme, même autorisée de lui, serait sans qualité pour les exercer; à plus forte raison ne le pourraitelle pas, avec la simple autorisation de justice. Les pouvoirs étendus dont la loi investit le mari devaient nécessairement faire peser sur lui une étroite responsabilité. De même qu'il est tenu de la perte ou de la détérioration des choses corporelles, il est aussi responsable des créances dotales, lorsqu'il (1) Montpellier, 29 novembre 1897, D. P. 99.1.353. (2) Arrêt du 12 mars 1888, D. P. 88.1.381. a négligé d'en poursuivre la rentrée en temps utile, ou d'interrompre le cours des prescriptions auxquelles elles étaient soumises; et cela sans distinguer entre les prescriptions commencées avant ou depuis le mariage. Enfin, il doit donner aux deniers dotaux l'emploi prescrit par le contrat; l'inefficacité de cet emploi imputable à sa négligence engagerait sa responsabilité personnelle. Les tiers débiteurs eux-mêmes ne seraient pas libérés par un payement non suivi d'emploi irréprochable, dans le cas où le mari ne peut recevoir les deniers dotaux qu'à la charge d'en opérer le placement. La responsabilité des tiers a toujours été proclamée par la jurisprudence (1). Beaucoup de contrats de mariage s'efforcent de les mettre à l'abri des engagements qui découlent pour eux de l'application des rè gles du régime dotal et de l'obligation des remplois. On dispense les tiers de veiller, tantôt à la suffisance du remploi, tantôt même à sa validité, la femme devant en être seule juge. Mais les tiers seront-ils, par cela mème, affranchis de tout recours possible de la femme dotale ou de ses représentants? Non : car ils doivent au moins veiller à ce qu'un emploi quelconque soit réellement fait, et qu'on ne se borne pas à un semblant d'acte (2). Le tiers, comme disaient nos anciens auteurs, doit se montrer « curiosus ». Pour libérer complètement les tiers, il faudrait user d'une formule beaucoup plus expresse et radicale, par exemple d'une clause analogue à celle que la Cour de Bordeaux a sanctionnée, et qui portait : « Ils ne pourront être obligés de suivre le remploi », ni « être tenus d'aucune responsabilité » à cet égard (3). La question n'est pas sans difficulté lorsqu'il s'agit de l'emploi de valeurs dotales, telles que celles provenant du remboursement d'une obligation hypothécaire. Le tiers qui se libère est-il responsable de l'emploi à faire, nonobstant l'article 1549 lequel autorise le mari à toucher les capitaux ? Nous ne croyons pas qu'il soit équitable et juridique de soumettre les tiers à une aussi exorbitante responsabilité. Toutefois, on peut rencontrer certaines espèces où le tiers, en fait, devrait être considéré comme tenu à une garantie. C'est ainsi (1) V. Trib. de Narbonne, 24 nov. 1898, D. P. 99.2.157. (2) Bordeaux, 7 avril 1897, Gaz, des Trib., 1898, 1er sem., 3. 69; Trib. civ. Seine, Tre ch., 19 avril 1898, Gaz. des Trib., 1898, 1er sem., 2.115. (3) Bordeaux, 21 avril 1888, Sirey, 1890.2.154. que, par un arrèt du 26 décembre 1898 (1), la Cour de Bordeaux a consacré les solutions suivantes : Le contrat de mariage stipulant la dotalité de certains biens, immeubles et créances, et spécifiant que les dits biens pourront être aliénés... et les sommes en provenant employées en acquisition d'immeubles etc., a entendu faire porter l'obligation d'emploi non seulement sur le prix provenant de l'aliénation d'un immeuble compris dans la dot, mais aussi sur les sommes provenant du remboursement des créances dotales. La Cour déclare en outre que la clause d'un contrat de mariage qui dispense les tiers de surveiller les remplois de la femme dotale, leur suffisance et leur validité, laisse cependant à leur charge l'obligation de se rendre compte de la matérialité du remploi. Les tiers seront donc responsables de ce fait que le notaire détenteur de leurs fonds aura préparé et fait signer une fausse obligation, car il n'y a alors aucune espèce d'emploi. Notre ancienne jurisprudence décidait assez volontiers que le recours contre les tiers ne devait s'exercer que subsidiairement, après discussion du mari (2). Cette solution, en somme très équitable, devrait encore être admise aujourd'hui, bien qu'elle paraisse contraire à la logique dotale. Pourquoi s'adresser aux tiers, si le mari peut répondre de la somme à employer ? N'est-il pas juste d'épargner à l'acquéreur un recours inutile contre l'époux responsable? Le droit de jouissance étendue est accordé au chef de l'association conjugale en raison de l'obligation qui lui incombe d'assurer l'entretien de la famille. Sous cette seule réserve, le mari acquiert définitivement les revenus et les fruits des biens dotaux, sans rendre compte à sa femme ou à ses héritiers. Ces produits des biens de la femme deviennent la propriété de l'époux à partir du jour du mariage, dans tous les cas, même si la dot ne lui est délivrée que plus tard. Remarquons que les produits de l'industrie personnelle de la femme ne sont pas exemptés de la règle générale, dans l'état actuel de la législation. On sait que, sur l'heureuse initiative de M. Glasson, le Parlement étudie le projet de loi déposé par M. Goirand dans le but d'assurer à la femme, sous tous les régimes matrimoniaux, la libre disposition du produit de son talent ou de son industrie. Nous devons souhaiter la prompte solution d'un si intéressant problème. (1) Gaz. des Trib., 26 janvier 1899. (2) Salviat, Dot, 1, 408. |