meurassent à marier, ni qui, pour les biens, fussent requises; mais que, en regardant aux mœurs et conditions de la fille, chacun fît élection de la vertu en celle qu'il voudrait épouser » (1). Des considérations analogues inspirèrent Solon, lorsqu'il décida que << les femmes n'apporteraient à leurs maris que trois robes seulement, avec quelques autres meubles de bien petite valeur, sans autre chose; ne voulant pas qu'elles achetassent leurs maris, ni que l'on fît trafic des mariages, comme d'autre marchandise, pour y gagner; mais voulant que la conjonction de l'homme et de la femme se fît pour avoir lignée, et pour plaisir et amour, non pour argent » (2). Caton s'affligeait de voir la dot exercer à Rome une influence pernicieuse : « c'est que, disait-il, les autres hommes commandent à leurs femmes, et nous, à tout le demeurant des hommes, et nos femmes nous commandent! » (3) Les nécessités de l'existence et, disons-le, la soif du luxe, ont malheureusement perpétué chez les races latines, et notamment en France, l'habitude d'exiger une dot. Dans tout mariage on dissimule les vues intéressées sous des euphémismes: convenances de fortune, sages précautions, obligation d'assurer l'avenir de la famille. Un jeune homme ambitieux, un « coureur de dot », s'il ne jouit pas d'une estime particulière, n'est pas déconsidéré dans nos mœurs mondaines. Quelques-uns l'admirent et le glorifient presque ouvertement. En Angleterre et en Amérique, il serait disqualifié comme une sorte de chevalier d'industrie. D'ailleurs, la jeune fille anglo-saxonne, qui n'hérite pas des immeubles de la famille, dont le patrimoine est calculé d'après le chiffre du revenu de son frère aîné, ainsi que l'indique M. Glasson (4), se trouve, la plupart du temps, hors d'état d'apporter une dot à son mari. Aussi le sentiment, l'attrait, le prestige des qualités de l'âme, ont une plus grande influence pour la conclusion des mariages. Chez nous, la crainte de déchoir ou de voir diminuer son train, jointe à une sollicitude mal entendue pour les enfants uniques ou trop rares, entraîne, avec le fléau de la dépopulation, une irrémédiable décadence qui peut devenir, si nous n'y prenons garde, un germe de mort nationale. Là où la femme est demandée pour elle-même, là où les jeunes gens ne suivent pas la maxime: virtus post nummos, on sent mieux (1) Plutarque, Lois d'Agis, traduction d'Amyot. (2) Plutarque, Solon, traduction d'Amyot. (3) Plutarque, Caton, traduction d'Amyot. (4) Histoire du droit et des institutions d'Angleterre, t. IV, p. 185. que l'effort et le travail sont les principaux facteurs de la prospérité du ménage. Les époux se font gloire d'une nombreuse couronne d'enfants auxquels ils apprennent de bonne heure à compter avant tout sur eux-mêmes et non sur des héritages pour affronter les combats de la vie. Est-ce à dire que nous voulions proposer la suppression des dots ? Une telle entreprise serait impossible, parce qu'il est au fond très légitime que chacun des conjoints apporte au ménage ce qui est nécessaire pour échapper à la misère et vivre décemment. La pauvre fille d'un paysan suisse se croirait déshonorée si, en se mariant, elle n'apportait pas à son mari son lit, la garde-robe de noyer et un trousseau complet composé de tout le linge dont elle aura besoin pour le reste de sa vie; de son côté, l'époux n'oserait pas se présenter à l'église pour la cérémonie s'il ne portait pas l'uniforme neuf et complet de la milice. Une autre considération qui rend téméraire l'abolition des dots, c'est que la loi n'aurait pas assez de force pour remonter le courant des mœurs. Toutefois, en présence de la constitution de deux patrimoines, surtout lorsqu'ils sont distincts, le législateur doit veiller à ce que l'autorité du mari ne dépasse pas certaines limites et respecte les droits comme la dignité de l'épouse. En est-il ainsi dans le régime dotal, tel que le Code civil l'a organisé? C'est cette question qui va faire l'objet de notre étude. D'une manière générale, la loi donne pour caractère distinctif du système la défense faite aux deux époux de disposer des biens dotaux. La femme est frappée d'une incapacité particulière qui a pour objet tout l'actif constitué en dot. Elle n'a pas, comme la femme commune, la faculté de participer avec son mari au gouvernement des affaires du ménage. La communauté permet à la femme de disposer de son patrimoine, pourvu que son mari l'y autorise. Au contraire, la femme dotale est radicalement incapable, même avec l'assistance de son mari, de consentir aucune aliénation valable. Ces conséquences d'un régime exceptionnel ne peuvent donc être produites que par des stipulations claires et formelles; mais, lorsque le contrat dotal est librement formé, il place les époux, dans une certaine mesure, en dehors de droit commun. Aussi les jurisconsultes enseignent que la cause de la dot « est privilégiée ». D'autre part, elle est mise entre les mains du mari pour faire face aux charges du mariage; il ne doit donc pas la considérer comme un titre lucratif. C'est seulement lorsque le patrimoine dotal est transmis directement à la femme par un tiers, que l'acte revêt le caractère d'une donation. Sous l'empire du régime dotal, les biens de la femme sont divisés en deux catégories : les dotaux et les paraphernaux. Tous les biens que la femme s'est constitués en dot, ceux qui lui ont été donnés au même titre, sont classés comme dotaux. Tous les autres sont pa raphernaux. Ainsi la paraphernalité est la règle, et la dotalité l'exception. Ce qui caractérise le régime dotal, ce n'est donc pas la dot, c'est la séparation des patrimoines des époux dans les termes fixés par la loi; ce sont les droits étendus d'administration et de jouissance accordés au mari; c'est surtout, comme nous l'avons dit, l'inaliénabilité considérée comme prérogative intangible au profit de la femme. Dans l'hypothèse fort rare où la femme dotale n'aurait que des paraphernaux, elle serait assimilée à une femme séparée de biens, ayant l'administration et la jouissance de ses propres ; le mari se trouverait, par la force des choses, privé des avantages inhérents au système adopté nominalement par le contrat. Du principe que la paraphernalité est la règle, la jurisprudence conclut avec raison que si une partie veut faire admettre la dotalité d'un immeuble, la preuve doit être mise à sa charge. Cette solution s'applique même à la femme (1). Notre droit n'admet ni régime dotal tacite, ni constitution de dot présumée. Les dispositions exceptionnelles des coutumes d'Auvergne et de la Marche qui réputaient dotaux les biens possédés par la femme au moment de ses fiançailles n'ont pas laissé de traces dans le Code civil. Toutefois les tribunaux s'attachent en cette matière à interpréter la véritable intention des contractants (2). Tous les biens que la femme déclare se constituer en dot sont dotaux. Ceux qui lui sont donnés par des tiers en vertu du contrat de mariage sont également dotaux, à moins de stipulation contraire. C'est une présomption qui devait être naturellement admise (3). La dotalité peut atteindre tous les biens présents, ou une partie déterminée, ou une quote-part de ces biens, ou même un objet individuel. Mais, toute stipulation obscure devant être interprétée contre la dotalité, la constitution, en termes généraux, de tous les biens de la femme, ne comprend pas les biens à venir (4). (1) Cass., 7 février 1872, D. P. 72.1.348. (2) Voir un intéressant arrêt de la Cour de Grenoble du 15 janvier 1897 (Recueil de Grenoble, 1897.231). (3) Sous l'ancien régime, quelques Parlements ne déclaraient dotaux que les biens expressément constitués en dot. C'est la doctrine professée par Argou dans ses Institutions au droit français, édition de 1753, t. II, p. 73. (4) Art. 1542 et suiv. Si la constitution de dot ne peut être tacite, elle n'est pas soumise cependant à l'emploi de termes invariables. Il y a dotalité lorsque, par exemple, les époux déclarent se prendre « avec leurs biens et droits » ou lorsque la femme, après s'être déclarée dotale, apporte son avoir « pour subvenir aux charges du mariage ». Mais, à l'inverse, ces expressions ou autres analogues, ne sont plus nécessaires aujourd'hui, comme autrefois à Toulouse et à Bordeaux, pour établir la dotalitė. Il est hors de doute que les constitutions de dot, si elles sont vagues et incertaines, ne produisent aucun effet juridique. La loi dit que la dot ne peut être constituée ni augmentée pendant le mariage. Cette règle, comme le fait remarquer M. Glasson (1), n'est pas une reproduction de l'article 1395 qui défend déjà de changer, après le mariage, une clause quelconque du contrat. Cet article 1395 concerne, en effet, seulement les époux, tandis que l'article 1543 regarde même les tiers. Sous ce rapport, notre loi s'est nettement séparée du droit romain, comme des traditions suivies à Bordeaux et à Toulouse. Cambacérès avait formulé l'objection suivante: un père, étant pauvre, marie une de ses filles avec une dot minime; plus tard, devenu riche, étant à même d'établir ses autres filles dans des conditions toutes différentes, il doit pouvoir être admis à rétablir l'égalité entre ses enfants en donnant des biens inaliénables à sa première fille. Tronchet répondit à cet argument spécieux qu'il fallait, avant tout, préserver l'intérêt des tiers en évitant de tromper leur bonne foi. La prescription formulée par le Code a pour principale utilité d'empêcher un tiers d'imposer à un legs ou à une donation dont il serait l'auteur, la condition de dotalité alors que, seuls, les biens présents sont compris dans la dot. La clause d'un testament qui contiendrait une charge de cette nature serait réputée non écrite, car elle violerait ouvertement les règles que nous venons de rappeler. En fait de dot, c'est le contrat de mariage qui a toujours le dernier mot. Aussi est-ce avec raison que la Cour de Paris vient d'annuler la condition apposée par un tiers à une donation faite à la femme que les biens donnés seront dotaux, lorsque le contrat de mariage a stipulé que tous les biens que la femme recevrait au cours du mariage resteraient libres. Et cette condition ne peut valoir, dit la (1) Eléments du droit français, t. 1, p. 212. Cour, comme ayant eu seulement pour objet, dans l'intention du donateur, de rendre le bien inaliénable (1). S'il n'est pas permis de modifier conventionnellement la dot, les accroissements naturels, tels que l'accession ou l'alluvion, deviennent dotaux comme les biens qu'ils affectent. Il faut en dire autant de l'usufruit qui viendrait, au cours du mariage, se réunir à la nue propriété du fonds dotal (2). De même les bâtiments élevés, pendant le mariage, sur le fonds dotal, sont dotaux, comme le fonds lui-même. En vertu des règles générales communes à tous les régimes, la dot ne peut pas être diminuée au cours du mariage. Comment, dans le système du Code, la volonté des constituants doit-elle être interprétée? S'il n'y a pas eu assignation de part dans une dot constituée par le père et la mère, ils en sont tenus chacun pour moitié. Cette solution est empruntée à la législation coutumière et appliquée par le Code au régime dotal, après avoir été consacrée pour le régime de communauté. Si, dans les pays du Nord, on tenait pour la maxime: « ne dote qui ne veut »; si l'établissement des enfants était pour le père de famille l'accomplissement d'une obligation naturelle, sans coaction légale, nous avons vu qu'il n'en était pas de même dans les provinces où régnait le droit écrit. Là, le père était tenu d'établir sa fille; c'était pour lui un office civil qui pouvait être imposé par la justice. Notre loi moderne s'en est rapportée à l'affection des parents; et l'expérience démontre que ses prévisions sont bien rarement trompées. La crainte du mépris public vient quelquefois en aide au défaut de tendresse paternelle. Lorsque le père seul constitue la dot « pour droits paternels et maternels>> cet acte n'engage pas la mère même présente au contrat: la dot reste en entier à la charge du père qui est censé vouloir la prendre sur sa propre fortune. Cette disposition, écrite dans le droit romain et suivie, au moins temporairement, par le Parlement de Toulouse, ne trouve donc son application que lorsque les parents de la future épouse, qu'il s'agit de doter, sont mariés sous le régime dotal; car son but est de protéger la femme contre l'abus que le mari pourrait faire de son autorité. La loi supposant que le survivant des époux constitue une dot sur les biens paternels et maternels, sans spécifier les portions, décide (1) Arrêt du 20 octobre 1890, D. P. 91.2.359. |