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En présentant le projet au Corps législatif, Berlier explique qu'il faut respecter les habitudes des pays de droit écrit et maintenir le régime dotal; mais, d'autre part, il montre la nécessité de régler les droits des époux qui ne se seraient pas prononcés en faveur de tel ou tel système (1). Dans ce cas, il a paru préférable de présumer la communauté, plus favorable à l'ordre social et plus conforme à l'esprit français. Loin de nous, dit-il, l'idée d'attacher aucun caractère de réprobation au régime dotal. Mais l'orateur préfère pour les femmes françaises le titre d'associées, « qui, en leur imprimant plus de dignité, ne saurait être sans influence sur le bonheur domestique » (2).

Au Tribunat, Duveyrier retrace l'historique des deux systèmes en présence. Il déclare, dans sa conclusion, que la loi ne doit pas imposer aux citoyens une législation inaccoutumée, et par conséquent importune (3).

Caron Nisias fait un éloge pompeux du droit romain, et proclame la nécessité du régime dotal. Il rappelle que les empereurs chrétiens ont fortifié le système de protection et cite la décision du Concile d'Arles qui déclara, en 524, pour engager les parents à doter leurs enfants, qu'aucun mariage ne serait béni si l'épouse n'avait pas une dot et un douaire, quand cela serait possible. Toutefois, l'orateur est partisan de la société d'acquèts (4).

Est-il nécessaire de favoriser la libre circulation des capitaux ? Caron Nisias ne le pense pas. Pour lui, ce mouvement détruira la vénération attachée aux antiques foyers, et la cité offrira l'image d'un vaste caravansérail (5). Il préconise avant tout l'inaliénabilité d'un capital « que l'imprudence aurait dissipé, que les spéculations les plus plausibles auraient compromis, que le génie même aurait mis en péril ».

L'orateur invoque le témoignage de Montesquieu; la communauté lui semble inutile, puisqu'on peut adjoindre au régime dotal une société d'acquêts. Si la dotalité n'est pas la règle obligatoire, il redoute que « les pères, les tuteurs, quand les mariages viendront à se conclure, n'éprouvent une sorte d'embarras et de pudeur d'ètre obligés de demander expressément la stipulation du régime dotal : ce sera se défier du nouveau gendre; ne va-t-il pas prendre l'insistance pour une injure, l'exception pour un outrage ?... ».

(1) Fenet, t. XIII, p. 575. (2) Fenet, t. XIII, p. 666.

(3) Fenet, t. XIII, p. 690. (4) Fenet, t. XIII, p. 771.

(5) Fenet, t. XIII, p. 781.

La loi doit commander avec empire... Jubeat lex, non suadeat. Devait-on proclamer l'incompatibilité des diverses régimes autorisés par le Code, dire aux parties qu'elles devraient choisir tout l'un ou tout l'autre, et défendre par exemple aux stipulations de la communauté de pénétrer dans le régime dotal, ou réciproquement? Cette théorie absolue fut écartée dès l'origine des débats. Dans la séance du 19 pluviose an XII, le tribun Duveyrier justifia en ces termes les solutions libérales qui réunissaient la majorité des suffrages.

« La première vérité, sentie et unanimement adoptée par tous les hommes occupés de cette loi, a été la nécessité, ou, ce qui est à peu près de même, la convenance politique, de n'arracher violemment à aucun, Français, dans les conventions les plus intimement relatives à l'intérêt particulier, à l'affection personnelle, à l'accroissement social, dans les conventions de mariage, ses usages anciens et chéris, pour lui imposer le joug d'une législation nouvelle.

Ainsi l'habitant des départements jusqu'à présent soumis au droit écrit aura toujours la liberté d'appeler au gouvernement de son mariage les institutions romaines et l'austère simplicité du régime dotal, et l'habitant des pays coutumiers pourra aussi placer son existence conjugale sous le régime, moins positif, mais plus affectueux, de la communauté. Ils pourront même l'un et l'autre confondre, à leur gré, les deux régimes dans leurs conventions et emprunter de l'un et de l'autre les règles qui plairont à leur intérêt comme à leur volonté et qui pourront, suivant les circonstances, se combiner sans se contredire. Ce principe de liberté commune et réciproque conduit naturellement à cette règle première et fondamentale du projet de loi, que les époux peuvent stipuler leurs conventions particulières dont la faculté n'aura d'autre barrière que la loi elle-même dans ses dispositions impératives ou prohibitives, comme celles qui concernent la puissance paternelle et maritale, les tutelles et l'ordre des successions. >>>

Ces considérations, exposées en termes qui ne laissent aucune place à l'équivoque, nous paraissent la preuve éclatante du droit qu'ont les époux de combiner la communauté avec le régime dotal. Ce mélange des divers régimes sera plus loin l'objet d'une étude

détaillée.

Après un discours d'Albisson en faveur de la communauté, le Tribunat adopta le projet sans désemparer.

La loi revint devant le Corps législatif. Siméon, après avoir tracé le parallèle des deux régimes, explique que le législateur a

voulu respecter la liberté des conventions. Pourvu que l'on se marie, dit-il, il est indifférent à l'Etat que les deux époux mettent leurs biens « en communauté ou sous le régime dotal; qu'on sti<< pule tout ce qu'on voudra, pourvu qu'on ne stipule rien que ce <<< qui est honnète et permis, et qu'on le stipule clairement: voilà <<< le premier précepte et tout le désir de la loi.

<<< Imposer la communauté à ceux qui ne la veulent pas, ou la <<< dotalité à ceux qui la croient moins assortie aux droits respectifs <<< des époux, c'eût été introduire la tyrannie dans le contrat qui << doit être le plus libre ..... »

Telle fut cette discussion qui se termina par des paroles sages, mais au courant de laquelle les orateurs s'étaient livrés à de singulières exagérations.

La loi fut votée le 21 pluviose an XII.

Nous ferons remarquer, dès à présent, que la règle de l'inaliénabilité, adoptée, pour la dot en général, parle Conseil d'Etat, n'a été formulée par la section de législation pour figurer dans le Code civil, que relativement aux immeubles. Le motif de ce silence, sans doute intentionnel, est la difficulté de tracer une règle absolue au sujet de la dot mobilière.

Nous verrons comment la jurisprudence, malgré la doctrine toujours résistante, a entrepris de combléer cette lacune.

C'est ainsi que les rédacteurs du Code accomplirent la tâche difficile de doter la France d'une législation uniforme, en abaissant les barrières qui séparaient les provinces du Nord de celles du Midi. Mais la puissance des mœurs resta plus forte que la loi; aussi, mème de nos jours, un habitant de Lille ou de Dijon aura sur le contrat de mariage des idées toutes différentes de celles d'un habitant de Bordeaux ou de Montpellier.

Dans quelques départements du Sud-Est et du Midi, mème de nos jours, le système du droit écrit est préfére à tous les autres, au point que les tribunaux ont une tendance à en exagérer la rigueur. Dans le Centre et le Nord, il est dédaigneusement repoussé comme un instrument de division, d'immoralité ou de mauvaise foi.

Pasquier disait au XVIe siècle:

<<<< Interrogez ceux qui sont nourris au pays du droit écrit, ils vous diront que la séparation de biens, est, sans comparaison meilleure que la communauté: et ceux du pays de coutume donneront leur avis en faveur de la communauté; tant a de tyrannie sur nous un long et ancien usage! (1) »

1 Fenet. t. XIII, p. 83.

Aussi les auteurs du Code civil, comprenant qu'il était impossible de combattre des tendances opposées, ne voulurent pas violenter les consciences; tout en favorisant la loi coutumière, ils laissèrent aux pays de droit écrit la liberté de suivre leurs traditions. C'est en vertu de cette transaction que le régime dotal fut maintenu dans nos lois.

(1) Recherches de la France, liv. IV, ch. 21.

V

LE RÉGIME DOTAL

D'APRÈS LE SYSTÈME DU CODE CIVIL ET LA JURISPRUDENCE.

Sans essayer mème d'entreprendre un commentaire du Code civil, ce qui n'est pas l'objet de cette étude, nous allons tracer à grands traits le système établi par notre loi nationale, en indiquant avec autant de précision qu'il nous sera possible les théories que la jurisprudence a jugé nécessaires de consacrer pour trancher les questions douteuses.

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La première règle instituée par le législateur de l'an XII porte que le régime dotal existe seulement à la condition d'avoir été adopté d'une façon expresse, sans qu'il soit nécessaire toutefois d'employer des termes sacramentels.

Il ne suffit pas de parler de dot dans un contrat pour que le contrat soit dotal; tous les régimes supposent une dot: c'est le nom générique donné aux apports de la femme ou aux libéralités qu'elle reçoit en vue du mariage. Pour qu'il y ait dotalité, il est indispensable que cette dérogation au droit commun, dangereuse pour les tiers, ne soit enveloppée d'aucun voile.

« Le régime dotal, a dit Berlier, n'est ainsi appelé qu'à raison de la manière particulière dont la dot se trouve non pas constituée, mais régie après la constitution qui en a été faite (1). »

Depuis les temps antiques où l'homme achetait sa femme comme une marchandise, l'idée d'un apport venant de l'épouse s'est progressivement affirmée. Tout d'abord proscrite par les anciens philosophes, dans la crainte que la femme enorgueillie n'usurpat dans le ménage un rôle prépondérant, la dot fut ensuite limitée à quelques hardes, à des objets sans valeur comme le « chapel de roses >>>> des normandes.

La législation spartiate ordonnait de marier les filles sans rien leur donner, « afin que, ni à faute de douaire il n'y en eût qui de

(1) Fenet, t. XIII, p. 681.

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