Cette proportion se rencontre à Paris où, sur 22.000 mariages célébrés chaque année, 3.600 donnent lieu à des conventions matrimoniales. Pour dégager des conclusions de ces données, nous nous appuierons sur la correspondance que nous avons échangée avec des notaires ou des jurisconsultes dans toutes les parties de la France. A. Usage de la dotalité partielle modifiantle régime de la communauté. S'il est vrai, dit M. Glasson, que l'Alsace ait renoncé au régime dotal pour adopter la communauté, dans d'autres pays, où la communauté était autrefois le droit commun, le régime dotal est aujourd'hui préféré (1). Il est donc certain que ce régime, par une infiltration lente et progressive, a pénétré peu à peu dans des régions essentiellement coutumières, où il n'a pas tardé à conquérir le droit de bourgeoisie. La dotalité partielle, restreinte à certains immeubles ou à certains titres constitués par le père de famille, est bien plus facilement acceptée par le futur gendre et ses parents que le régime entier, même tempéré par la société d'acquêts. Nous pouvons affirmer que, depuis trente ans, les notaires de Paris qui ont à libeller des contrats importants proposent sans hésiter la combinaison de la communauté avec l'inaliénabilité d'une fraction de la dot. Sur cent contrats de mariage contenant adoption de la communauté (presque toujours réduite aux acquêts) environ quinze pour cent établissent la dotalité partielle, soit sur les biens à venir, soit sur les biens présents et à venir. Dans le département de la Meuse, et notamment à Bar-le-Duc, on dotalise une part de la dot, généralement le quart. Pour mieux assurer la conservation du patrimoine de la femme, on stipule que les valeurs mobilières seront, de préférence aux immeubles, frappées d'inaliénabilité. Cet emprunt aux lois du régime dotal deviendra la monnaie courante de tous les contrats un peu importants. Il s'est introduit dans les habitudes à la suite d'effondrements de la fortune des femmes par la faute des maris dissipateurs. Les pères et mères des jeunes filles qu'on mariait ont voulu qu'au moins une partie de la dot échappât au naufrage. Les maris qui auraient pu voir dans ces (1) Eléments du Droit français, t. I, p. 220. clauses de dotalité un manque de confiance y ont accédé lorsqu'ils ont su que la dotalité partielle était d'un fréquent emploi. Ils ont accepté de bonne grâce ce qui devenait un usage, et nul doute que cette tendance s'accentue chaque année. C'est surtout depuis douze ans que ce mouvement se développe dans la Meuse (1). Nous avons encore à signaler dans cette région une particularité très intéressante. Dans les mariages militaires, on stipule fréquemment l'inaliénabilité de la dot pour tout le temps que l'officier reste en service actif. Le père de famille suppose qu'après la vie de garnison et les entraînements qui en résultent, les loisirs de la retraite ne présenteront plus aucun danger. C'est là du moins l'explication naturelle qu'on pourrait donner de cette coutume. Toutefois, l'honorable notaire qui nous fournit ce renseignement ajoute que la clause en question constitue plutôt un moyen d'éviter des objections dans l'enquête de la gendarmerie qu'une marque de défiance contre l'officier. Si la situation du futur époux n'offre pas une sécurité suffisante, on insère dans le contrat des obligations d'emploi, avec faculté de vendre, à charge de remploi indéfiniment (2). Dans tout le ressort de la Cour de Dijon, l'usage se généralise, depuis environ trente ans, de stipuler le régime de la communauté, mais avec l'adjonction de la clause dite « de dotalité ». En vertu de cette convention, la dot est immobilisée et soumise à l'administration et à la jouissance du mari pour la moitié et quelquefois pour les trois quarts. Les familles veulent ainsi conserver leurs biens, tout en paraissant écarter le régime dotal. Par ce procédé, qui gagne tous les jours du terrain en Bourgogne, les contractants instituent comme une sorte de homestead d'un genre particulier (3). A Dijon, la proportion des contrats dotaux proprement dits ne dépasse pas 5 pour cent; le régime dotal est inconnu dans les campagnes. A Beaune, le régime dotal est inusité. Mais la communauté réduite aux acquêts est souvent accompagnée, comme à Dijon, de la clause frappant de dotalité une portion des biens présents de l'épouse. Dans ce cas, on a soin de laisser aux époux la possibilité d'aliéner les biens qui y sont compris, à charge d'un remploi soit en valeurs mobilières soit en immeubles (4). Dans le département de l'Allier, où le régime dotal est inusité, (1) Lettre de M. Benoist, ancien président du tribunal de Bar-le-Duc. (2) Lettre de Me Chastel, notaire à Bar-le-Duc. (3) Lettre de Me Metmann, avocat à Dijon. (4) Lettre de M. Lorenchet de Monjamont, ancien magistrat à Beaune. malgré le voisinage de l'ancienne province d'Auvergne, la communauté réduite aux acquèts est quelquefois accompagnée de clauses de dotalité. Ces contrats mixtes permettent ordinairement d'aliéner les biens dotaux, et de partager amiablement à charge de remploi ; presque toujours la femme a le droit de subroger les tiers dans son hypothèque légale. Au surplus, les contrats de cette nature ne sont employés que dans les familles appartenant aux classes élevées, lorsque les circonstances peuvent faire craindre que le futur dissipe la dot; ils sont inconnus chez les cultivateurs et les ouvriers (1). Dans la région Lyonnaise, sur cent contrats de mariage, trente sont dotaux soit par l'adoption, comme règle de la convention matrimoniale, du régime dotal pur ou modifié, soit par une stipulation de dotalité avec adoption d'un autre régime ; soixante-dix ne contiennent aucune clause de dotalité. La proportion peut être ainsi établie : 3 pour cent, régime dotal pur; 15 pour cent, régime dotal modifié soit par certaines facilités accordées à la femme, soit par une société d'acquêts; 20 pour cent, communauté réduite aux acquêts avec dotalité partielle. Les clauses modifiant le régime dotal qu'on trouve le plus fréquemment insérées sont celles qui accordent à la femme le droit d'aliéner avec ou sans remploi, de s'engager et de se désister de son hypothèque légale, le tout avec l'autorisation du mari. La stipulation de clauses de dotalité, qui était nulle ou fort rare autrefois dans la région Lyonnaise, est devenue plus fréquente depuis quelques années, surtout dans les familles riches qui tiennent prudemment à mettre à l'abri des vicissitudes de la fortune une partie de la dot. C'est la conséquence de l'importance qu'a prise depuis plusieurs années la fortune mobilière, moins stable que la fortune immobilière et soumise à des variations fréquentes, dangereuses et bien autrement graves que la propriété territoriale. Le remploi, qui d'abord n'était permis qu'en immeubles et en actions de la Banque de France immobilisées, a été dans la suite étendu à la rente sur l'Etat français, puis aux obligations de chemins de fer français garanties par l'Etat; aujourd'hui on le permet encore en d'autres valeurs telles que les obligations du Crédit foncier, des villes et des départements français, même en actions de sociétés immobilières paraissant offrir toute sécurité (2). (1) Lettre de M. Bonnet, notaire à Moulins. (2) M. Beaune, ancien procureur général. A Condrieu, on ne compte qu'un contrat dotal sur cent. Sur la rive droite du Rhône, le régime dotal, avant la Révolution, n'était pas habituellement en usage comme sur la rive gauche, en Dauphiné. Aujourd'hui, dans l'Isère aussi bien que dans le Rhône, la dotalité ne figure que très exceptionnellement dans les contrats de mariage, et encore seulement dans les familles opulentes. Il est presque toujours assorti d'une société d'acquêts et de la faculté d'aliénation avec remploi en immeubles ou en valeurs de premier ordre. A Saint-Etienne, le régime dotal est souvent adopté pour la forme, mais entièrement dénaturé par les conventions matrimoniales. Ainsi la femme peut consentir des aliénations sans remploi ou renoncer à son hypothèque légale sur les immeubles vendus par son mari. Ce qu'on lui refuse la plupart du temps, c'est le droit de subroger des créanciers à son hypothèque légale; on craint les emprunts, source si fréquente de ruine (1). Dans toute la vallée du Rhône, de Lyon à Marseille, on trouve des contrats de mariage où la femme dotale a la faculté de vendre à l'amiable ses immeubles propres, soit avec une obligation de remploi, soit sous obligation de faire un emploi du prix de la vente; dans ce dernier cas, le mari est seul responsable. Aux termes de ces contrats, la femme ne peut ni s'obliger, ni conférer une hypothèque sur ses biens, et ce, en conformité des principes de la loi Julia, qui permettait à la femme de vendre, mais non de s'obliger. Ce régime est très avantageux pour la femme, attendu qu'elle ne peut jamais rien devoir, et à plus forte raison être engagée ultrà vires. Lorsque la femme donne sa signature pour vendre un immeuble venant de sa famille, elle est avertie qu'elle ne le reverra plus, que ce bien ne passera pas à ses enfants, et que partie de sa fortune peut disparaître. Tandis que lorsque une femme donne une hypothèque sur ses biens, ou une simple signature, sur la promesse que bientôt la dette sera éteinte et que la signature mise au bas de l'engagement n'aura aucune suite fâcheuse pour elle, cette femme se trouve le plus souvent ruinée, si on a surpris sa bonne foi. Le régime dotal, tel qu'il est compris dans cette région, a donc des résultats protecteurs pour la femme et les enfants, sans présenter les inconvénients qu'on reproche à la dotalité rigoureuse (2). (1) Me Brossy, notaire à Condrieu. (2) Me Morel d'Arleux, notaire honoraire à Paris. D'un autre côté, la loi du 9 mars 1891, modifiant les droits du conjoint survivant et de l'Etat dans les successions, a amené une certaine diminution sur le nombre des contrats de mariage. On a pu constater que, dans la classe ouvrière, un plus grand nombre d'unions n'était précédé d'aucun contrat (1). Dans la Dordogne, et notamment à Périgueux, le régime dotal pur était ordinairement stipulé; mais il a été abandonné graduellement à partir de 1840, après avoir été, depuis 1820, tempéré par la société d'acquêts. Aujourd'hui la proportion ne s'élève pas à plus de 1 pour 100. Il est assez fréquent, dans cette région, de voir le régime de la communauté avec addition de clauses dotales, c'est-à-dire avec obligation d'emploi ou de remploi, soit en rentes sur l'Etat, actions de la Banque de France, obligations des grandes Compagnies de chemins de fer, soit en immeubles. Dans la pratique, lorsqu'un notaire se trouve en présence d'un contrat de cette nature, il opte toujours pour le remploi en rentes sur l'Etat, comme lui paraissant mieux propre à mettre sa responsabilité à couvert que le remploi en immeubles dont la valeur peut plus facilement être discutée par les tribunaux (2). Dans le département de Loir-et-Cher, il arrive quelquefois, pour les fortunes importantes, qu'on dotalise la moitié des apports, tout en adoptant le régime de la communauté qui est préféré dans le Blaisois et le Perche depuis un temps immémorial (3). Les mèmes errements sont suivis dans le département d'Eure-etLoir. A Dreux, nous écrit un notaire très autorisé, c'est la communauté qui est seule en honneur, Mais, lorsque les époux ont une fortune assez importante, on stipule une dotalité partielle qui comprend soit une certaine somme à prélever sur les biens présents, soit un actif à prendre sur les biens à venir, soit tous les immeubles, soit des valeurs ou héritages déterminés. S'il s'agit d'un commerçant qui a besoin d'utiliser ses capitaux dans sa maison, on porte au contrat la dotalité d'une somme à prendre sur les biens à venir et sur la première succession à recueillir par la femme. Si, au contraire, le mari exerce une profession ne nécessitant pas de mise de fonds, tels sont les militaires par exemple, on préférera la dotalité d'une somme à prendre sur les biens présents et sou (1) Lettre de M. Beaune, ancien procureur général. (2) M. Durand, ancien notaire à Montagnac. (3) M. Demarque, inspecteur de l'Enregistrement à Blois, aujourd'hui Directeur à La Roche-sur-Yon. |