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avec obligation de remploi, de manière à permettre la circulation des biens constitués sans compromettre la sécurité de l'époux. Nous développerons plus loin cette idée, si bien mise en lumière dans le remarquable ouvrage de M. Morizot (1).

En résumé, lorsque nous exposerons tous les arguments des partisans et des adversaires du régime qui nous occupe, nous arriverons à écarter les conclusions extrêmes, et nous proposerons de conserver le régime dotal, rendu beaucoup moins dangereux qu'autrefois pour les tiers depuis la loi de 1850 sur la publicité des contrats de mariage.

(1) De l'autorité maritale, ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales, p. 341.

II

LE RÉGIME DOTAL EN FRANCE AU XVIII SIÈCLE.

Avant d'étudier le fonctionnement du régime dotal en France à l'époque actuelle, il est indispensable de jeter un coup d'œil rapide sur l'état de ce régime, d'après la législation en vigueur et la jurisprudence des Parlements, à la veille de la Révolution de 1789.

Deux législations étaient encore en présence; le droit écrit, légué par la tradition romaine à nos provinces méridionales; la coutume, émanation des mœurs germaniques. La ligne de démarcation entre les deux systèmes n'était pas si nettement tranchée que l'un n'empruntat quelques règles à l'autre. Souvent, dans des régions voisines de provinces coutumières, les époux déclaraient adopter dans leur contrat de mariage le régime de la communauté, en se soumettant à la coutume de Paris qui était, d'après la jurisprudence du Châtelet, le droit commun pour toute la France.

Cette loi permettait aux femmes de disposer librement de leurs biens.

Depuis l'édit de 1606, le sénatus-consulte Velléien, à la protection duquel les femmes renonçaient facilement, était abrogé pour tout le royaume. Il ne faut pas oublier toutefois que le patrimoine dotal restait gouverné par la loi Julia qui consacrait son inaliénabilité.

Toutes les provinces du Nord restaient fidèles à la communauté; mais nous avons à signaler une importante exception à cette règle.

La Normandie prohibait toute société de biens entre époux. On aurait tort de rattacher cette sorte d'anomalie à une réminiscence du droit romain. Les auteurs normands qui exagéraient la notion de l'autorité au point de traiter leurs femmes en «vassales », ne songeaient nullement à les émanciper en leur laissant la libre disposition de leur fortune. Encore moins se préoccupaient-ils de garder intacte leur dot pour leur permettre de convoler à de secondes noces. Ce qu'ils voulaient avant tout, c'était la conservation des biens de famille. Dans cet ordre d'idées, ils trouvaient naturel de placer l'épouse sous la dépendance de son mari, tout en défendant au chef de ménage d'aliéner une seule parcelle du bien dotal sans le consentement de sa femme.

Si le mari transgressait cette prohibition, l'épouse avait contre lui, pour faire déclarer la vente nulle, l'action appelée « bref de mariage encombré ».

Comme il arrivait souvent que la femme, incapable de résister à l'influence de son mari, donnait plus ou moins volontairement son consentement à l'acte, on imagina ensuite, pour la protéger contre elle-même, d'imposer au mari, dans ce cas, l'obligation du remploi. Et si les biens de l'époux, à la dissolution du mariage, étaient insuffisants pour compléter cette garantie légale, la coutume déclarait inopérant et nul le consentement accordé par la femme; elle pouvait, en conséquence, sans avoir rien à débourser, revendiquer ses biens vendus au préjudice des tiers acquéreurs, même de bonne foi.

Au premier abord, on pourrait trouver quelques analogies entre ce régime et celui du droit romain. Mais il existe entre eux une différence capitale. C'est que, dans le régime des provinces du Midi, l'inaliénabilité du bien dotal est absolue, sans qu'il puisse ètre apporté aucun tempérament à cette règle par la volonté de l'un ou de l'autre des deux époux, ou même par leur entente.

Dans le système spécial organisé en Normandie, l'inaliénabilité proprement dite n'existe que si la femme n'a pas consenti à la vente. Ce consentement même ne peut produire un effet utile que lorsque le mari a fait le remploi du prix. Si cette condition n'a pas été remplie, l'épouse n'a pas contre le tiers acquéreur une action directe et principale; elle doit d'abord discuter la fortune de son mari. Il faut ajouter que le tiers a la faculté de surveiller le remploi, pour se préserver de l'éviction.

Des gains de survie, plus tard la moitié des acquèts faits en bourgage (dans le périmètre des villes), furent concédés à la femme veuve (art. 329).

L'article 330 défendait aux époux d'étendre la communauté au delà de cette limite étroite; toute stipulation tendant à éluder la règle était frappée d'une nullité radicale.

Mais, dans cette mesure, la femme était associée à la prospérité du ménage.

C'est une maxime du droit normand que « bien de femme ne peut se perdre ». Aussi les immeubles dotaux et non dotaux sont-ils également protégés. Quant aux meubles proprement dits, ils sont acquis au mari par le seul fait du mariage. Toutefois, la femme normande répond sur ses biens, sous réserve de la jouissance du mari, de son méfait, médit, ou autre crime (art. 544).

C'est sur ce texte que la Cour de cassation s'est appuyée pour engager les biens dotaux à la réparation des délits et même des quasi-délits ou des actes frauduleux de la femme.

Comme l'a dit fort justement M. Glasson dans son Histoire du droit et des institutions de l'Angleterre, cette inaliénabilité spéciale de la dot normande vient de ce que le statut local, comme le droit anglo-saxon, confondait la personne de la femme mariée avec celle du mari:

Vir et uxor sunt quasi unica persona, quasi caro una et sanguis unus (1).

<< Sa femme et lui ne sont fors que un person en ley. »

Voyons maintenant quel était l'état des mœurs et de la législation dans les pays de droit écrit.

L'introduction des coutumes féodales dans le Midi de la France avait fait tomber en désuétude bien des principes du droit romain. C'est ainsi que certaines provinces admettaient le retrait lignager (2), et la renonciation des filles à la succession paternelle, lorsqu'une dot leur était assurée. Ces institutions avaient pour but de conserver aux familles leur relief. Presque partout on assurait aux filles dotées leur légitime ou son supplément; dans le dernier état du droit, au XVIIIe siècle, les Parlements ne privaient plus, comme ils l'avaient fait pendant longtemps, les filles de toute part dans le patrimoine de leur famille pour le seul motif qu'elles avaient contracté mariage.

Les pays de droit écrit consacraient, en faveur des filles, l'obligation pour le père de les doter suivant ses ressources. Il y avait exception à cette règle lorsqu'une fille se mariait avant l'âge de 25 ans, sans le consentement de son père.

Dans certains cas, l'obligation de doter incombait à la mère, à l'aïeul ou aux collatéraux (3).

Cette coutume rappelait le souvenir des législations antiques. On sait que dans l'ancienne Grèce, le tuteur d'une jeune fille avait le devoir de la marier et de la doter. La loi réglait la constitution de dot et en proportionnait le chiffre à la fortune du tuteur et à son degré de parenté avec la future. On remettait la dot au mari qui était tenu de la restituer à la dissolution du mariage.

(1) Guillouard, Contrat de mariage, t. I, p. 32.

(2) V. Statuts de Provence, Julien, t. I, p. 251. Pothier, Des retraits, partie 1, ch. 1.

(3) De Bézieux, Arrêts du Parlement de Provence, liv. V, 2, § 2.

Quant au régime dotal, il était appliqué en France, et les difficultés qu'il présentait dans la pratique trouvaient leur solution dans les règles générales du droit romain.

D'après ce système, la société conjugale possède trois patrimoines distincts; les biens propres du mari, la dot de la femme et les paraphernaux.

Ce qui est en dehors de la dotalité est administré par la femme, à moins qu'elle ne charge son mari de gérer ses biens, en vertu d'un mandat exprès dont il doit rendre compte.

Autrefois, la femme apportait en dot tout ce qui lui appartenait. L'usage de se réserver des biens indépendants, ou paraphernaux, trouva sa source dans la dissolution des mœurs. Beaucoup de femmes réalisèrent ainsi le moyen de dérober leurs dépenses secrètes à la surveillance du chef de l'association conjugale.

Notre ancien droit ne plaçait pas la femme, quant à ses paraphernaux, sous le régime de la séparation de biens.

Dans les pays de droit écrit, la femme pouvait aliéner à son gré tous ses biens extradotaux, tandis que sous l'empire des coutumes, comme sous les lois qui nous régissent actuellement, la femme séparée de biens n'était pas admise à disposer de ses immeubles, sans l'autorisation de son mari.

La jurisprudence présumait facilement la dotalité des biens apportés par la femme. Presque tous les Parlements du Midi (Aix, Chambéry, Bordeaux) admettaient les constitutions virtuelles, conjecturales, ou tacites, même pour les biens à venir.

On avait laissé tomber en désuétude l'article 17 d'une ordonnance rendue par Charles IX, en 1563, pour limiter la constitution de dot à une somme préfixe de dix mille livres tournois. Rien n'était plus étrange, en effet, que de déterminer à l'avance le chiffre des dots sans tenir compte des différences de fortune.

La femme qui s'était constitué un actif dotal par contrat de mariage était présumée faire le mème apport lorsqu'elle convolait à de secondes noces. Cependant, si la constitution embrassait tous les biens de la femme, les biens qui lui advenaient depuis lors en étaient exclus (1).

Cette présomption n'était plus admise lorsque les époux déclaraient formellement n'avoir pas voulu opérer de nouvelle constitution dotale.

Il était permis d'apporter la dot, ou même de la compléter au cours du mariage. Mais, pour ce surplus, le privilège dotal ne

(1) Favre, Déf. 18, 37, 48,

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