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LA

LOI MUNICIPALE

HISTORIQUE

I

La loi du 5 avril 1884, dont nous donnons le commentaire, était, pour ainsi dire, en préparation depuis 1871.

Lorsque l'Assemblée nationale se réunit à Bordeaux, les assemblées municipales et départementales étaient presque partout désorganisées. Le premier soin qui s'imposait était de les reconstituer. M. Batbie et M. du Temple déposèrent chacun, dans la séance du 3 mars 1871, une proposition tendant à faire procéder à des élections pour le renouvellement des conseils municipaux, des conseils généraux et des conseils d'arrondissement. Le 7 mars, M. le baron Chaurand soumettait à l'Assemblée une proposition tendant au même but, tandis que M. Tallon demandait la suppression des commissions municipales. Enfin, M. du Breuil de SaintGermain déposait le surlendemain une autre proposition relative aux conseils municipaux et aux assemblées départementales.

Le plus urgent était de reconstituer les municipalités. Le ministre de l'intérieur, M. Ernest Picard, présenta le 22 mars un projet concernant les élections municipales qui fut rapporté par M. Batbie et devint la loi du 14 avril 1871, dont presque toutes les dispositions sont restées en vigueur jusqu'à la promulgation de la loi du 5 avril 1884, bien qu'elle fût considérée alors comme loi provisoire (art. 18). Cette loi modifiait les conditions de l'électorat municipal, remettait au conseil général le droit de sectionner les communes, décidait en principe que les maires et les adjoints seraient élus par les conseils municipaux et enfin réglait la grave question de l'organisation municipale de Paris.

1. Sur les instances de M. Thiers, l'Assemblée nationale, modifiant sa résolution primitive, consentit seulement à laisser provisoirement les maires ou adjoints à la nomination du Gouvernement dans les villes de plus de 20,000 âmes et dans les chefs-lieux de département et d'arrondissement.

LOI MUNICIPALE. - 1.

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Quelques semaines plus tard, M. Raudot saisissait l'Assemblée nationale (séance du 29 avril 1871) d'un important projet sur la décentralisation, dont la première partie était consacrée à l'organisation municipale. Cette proposition, qui faisait partie d'un système d'ensemble, conférait aux communes une grande indépendance et brisait la plupart des liens qui les rattachent à l'État. Le projet fut renvoyé à l'examen de la commission de décentralisation que l'Assemblée avait nommée le 10 avril, sur l'indication de M. le marquis de Talhouët.

Diverses autres propositions, nées de l'initiative parlementaire 1, furent également renvoyées à la commission de décentralisation qui, après les avoir étudiées, déposa, le 21 juillet 1873, un rapport rédigé par M. de Chabrol. Ce rapport comprenait deux parties : l'une sur l'électorat municipal, l'autre sur l'organisation municipale, les attributions et le mode de nomination des maires, etc.; cette seconde partie était présentée comme réservée et pouvant être modifiée ultérieurement; mais avant que l'Assemblée en cût commencé la discussion, M. le duc de Broglie, alors ministre de l'intérieur, présenta (28 novembre 1873) un projet tendant à restituer au pouvoir central le droit de nommer les maires et adjoints et modifiant en même temps les attributions des maires au point de vue de la police municipale. La déclaration d'urgence fut votée et, sur le rapport de M. Clapier, l'Assemblée nationale adopta, le 20 janvier 1874, la loi qui porte cette date et qui est demeurée en vigueur jusqu'à la promulgation de la loi du 5 avril 1884 pour la partie relative à la police municipale.

L'Assemblée avait marqué le caractère provisoire qu'elle entendait donner à cette loi en y insérant un article portant qu'elle devrait être saisie, au plus tard dans les deux mois, d'un projet de loi définitif sur l'organisation municipale.

Pour se conformer à l'invitation contenue dans le dernier article de la loi du 20 janvier 1874, la commission de décentralisation présenta, le 17 mars 1874, un rapport supplémentaire, dû également à la plume de M. de Chabrol, concernant la partie réservée dans le premier rapport. On trouve dans ce deuxième rapport un exposé très complet de la législation municipale dans un grand nombre de pays étrangers.

La discussion s'étant ouverte, on scinda les deux parties du projet et

1. Savoir: 1o une proposition de MM. Léon Journault, Charles Rolland et Paul Jozon (déposée le 13 mai 1871), relative aux attributions des conseils municipaux et des maires, projet considérable, comprenant 60 articles et conçu dans l'esprit le plus libéral; 2o une proposition de M. Fresneau (déposée le 28 mars 1872) sur la formation des conseils municipaux et la nomination des maires, beaucoup moins développée, puisqu'elle ne contenait que 4 articles, mais qui modifiait entièrement la base de notre organisation communale en formant un collège électoral restreint composé, pour une moitié, d'élus des habitants et pour l'autre, des plus imposés. Le conseil municipal aurait, dans toutes les communes, nommé le maire et les adjoints; - 3 une proposition de M. le marquis d'Andelarre (déposée le 25 juillet 1872) sur la nomination et les attributions des maires et adjoints. Ce projet, qui comprenait 5 articles, donnait à tous les conseils municipaux le droit d'élire les maires, mais assujettissait les magistrats à une étroite subordination vis-à-vis de l'administration supérieure et de l'autorité judiciaire pour toutes les questions d'intérêt général.

l'Assemblée ne s'attacha qu'à celle qui concernait l'électorat municipal; elle est devenue la loi du 7 juillet 1874. Quant à l'autre, après avoir subi l'épreuve de deux délibérations et reçu de profondes modifications qui la réduisaient pour ainsi dire à néant, elle ne fut point l'objet d'une troisième lecture, l'Assemblée ayant prononcé l'ajournement dans sa séance du 15 novembre 1875.

Là s'arrête l'œuvre de l'Assemblée nationale en matière de législation municipale. Nous devons cependant rappeler, pour compléter la revue des études faites dans cette première période, qu'un décret du 21 octobre 1873 avait renvoyé à l'examen du Conseil d'État un projet de loi relatif à l'organisation municipale; ce projet renfermait quatre ordres de dispositions et s'occupait de l'électorat municipal, de la nomination des maires et adjoints, des pouvoirs de police et du concours des plus imposés aux délibérations du conseil municipal.

Mais à la suite de la présentation de la loi sur la nomination des maires et la police municipale (loi du 20 janvier 1874, connue sous le nom de Loi de Broglie), le Conseil d'État, d'accord avec le ministre, borna son examen aux conditions de l'électorat et aux élections des conseillers municipaux. M. le président de section Groualie fut chargé du rapport et la discussion du projet fut, dans l'Assemblée générale, l'objet de débats importants qui occupèrent les séances des 30, 31 octobre, 22, 23, 24, 27 décembre 1873, 17 et 19 janvier 1874. L'avis définitif fut distribué le 23 janvier, mais il n'a reçu aucune suite. La pensée qui dominait dans ce projet était de donner, dans l'établissement des listes électorales municipales, une large part à la représentation des intérêts. Le même esprit se retrouve, sinon dans le texte définitif de la loi du 7 juillet 1874, du moins dans la rédaction qui avait été soumise à l'Assemblée nationale et qui a été considérablement amendée.

II

Quand le Parlement élu au commencement de 1876 se réunit, il se trouva en présence des lois provisoires des 14 avril 1871 et 20 janvier 1874. Tandis que MM. Ch. Rolland, Magnin, Hérold et Barthélemy-Saint-Hilaire présentaient au Sénat une proposition tendant à abroger cette dernière loi, la Chambre des députés était saisie de propositions semblables par MM. Benjamin Raspail et 57 de ses collègues, d'une part (21 mars 1876), par MM. Jules Ferry et 185 de ses collègues, d'autre part (29-mars). Le 29 mai, le ministre de l'intérieur, M. de Marcère, déposait également à la Chambre des députés un projet de loi considérable comprenant 92 articles, élaboré par une commission extraparlementaire et qui était relatif à l'organisation municipale; le Gouvernement annonçait, en même temps, que ce premier projet serait complété par un second travail concernant les attributions des conseils municipaux et des maires.

La commission chargée d'examiner ces projets pensa et exposa, par l'organe de son rapporteur, M. Jules Ferry, qu'il convenait avant tout de faire cesser les effets de la loi du 20 janvier 1874, sans attendre l'étude complète du code municipal. La Chambre des députés, après une discussion qui occupa les séances des 11 et 12 juillet 1876, partagea cet avis et, abrogeant la loi du 20 janvier, restitua aux conseils municipaux des communes non chefs-lieux de département, d'arrondissement et de canton le droit d'élire leur maire et leurs adjoints. Le projet voté par la Chambre rendait aux maires les droits qu'ils possédaient avant la loi du 20 janvier en matière de police municipale. Mais cette dernière disposition n'ayant pas reçu l'adhésion du Sénat, la Chambre adopta le projet ainsi amendé dans sa séance du 11 août, le jour même du vote définitif du Sénat.

La loi a été promulguée le 12 août 1876. Comme les précédentes, cette loi était provisoire; l'article 2 porte provisoirement et jusqu'au vote de la loi organique municipale, il sera procédé, etc.

Le 15 mars 1877, M. Jules Simon, ministre de l'intérieur, déposait sur le bureau de la Chambre des députés l'exposé des motifs et le projet de loi sur les attributions du pouvoir municipal qui constituait la seconde partie du travail de la commission extraparlementaire. Le même jour, M. Jules Ferry, au nom de la commission de la Chambre chargée de l'examen de la première partie (loi sur l'organisation municipale), présentait un important rapport concluant à l'adoption du projet du Gouvernement, un peu modifié. Le projet de la commission comprenait deux titres : Titre I. Des élections municipales, assemblée du corps électoral et voies de recours contre les opérations électorales; Titre II. Des conseils municipaux, composition des conseils municipaux et assemblée des conseils municipaux. Tout ce qui était relatif au mode de nomination des maires et adjoints, à la durée de leurs fonctions, aux inéligibilités à ces fonctions, à leur délégation, aux délégués spéciaux, aux suspensions et révocations et tout ce qui figurait dans le projet de M. de Marcère fut reservé par la commission, à raison de l'étroite connexité existant entre ces questions et la matière des attributions.

La Chambre, qui avait voté l'urgence, revint sur cette décision dans sa séance du 5 mai 1877. La première délibération s'ouvrit et se prolongea pendant plusieurs séances (7, 8, 10, 12 et 14 mai), donnant lieu à des débats animés. Divers amendements importants, qui modifiaient le caractère primitif du projet, furent adoptés. Le 14 mai, la Chambre décida qu'elle passerait à la seconde délibération. Deux jours après, à l'occasion même du projet de loi municipale, éclatait le grave conflit qui devait avoir pour conséquence la dissolution de la Chambre des députés, dont l'œuvre restait interrompue. Une proposition de MM. le baron Eschassériaux, Raoul Duval et autres, relative au mode de révocation des maires et adjoints élus, demeura également sans solution.

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