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>> imprimer au langage la force de ses idées. Il >> a des vers d'une beauté au-dessus de laquelle >> il n'y a rien. Ce n'est pas qu'on ne puisse, >> sans se contredire, faire le même éloge de >> Racine et de Voltaire, parce que, dès qu'il s'agit de beautés de différens genres, elles » peuvent être toutes également au plus haut degré, sans admettre de comparaison. A l'égard de la pureté, de l'élégance, de l'har>> monie, du tour poétique, de toutes les con» venances du style, il faut voir dans l'excellent >> commentaire de Voltaire tout ce qui a manqué à Corneille, et tout ce qu'il laissoit à » faire à Racine (*). »

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Le Menteur, qu'on donna pour la première fois en 1642, prouve encore les talens de Corneille dans le genre comique. J'ai souvent vu représenter cette pièce avec grand plaisir, et sur-tout quand le rôle de Dorante étoit joué par Molé. C'est la seule pièce qui ait été suivie d'une autre pièce sous le même nom, la Suite du Menteur, qui est du même auteur. Toutes les deux sont imitées de l'espagnol. On attribuoit l'original à Lopez de Vega; mais il a été réclamé, selon Voltaire, par don Juan d'Alarcon.

(*) Cours de Littérature par M. de La Harpe.

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«< Corneille, après avoir créé l'art de la tragédie, a encore fait la première comédie où » l'on trouve un comique décent et naturel, >> 'où l'on remarque cette aisance et cette légè >> reté qui doivent caractériser le genre, ой >> l'on admire enfin cette gaieté soutenue dans » le style et les situations, si éloignées des >> bouffonneries qui étoient alors en possession » du théâtre. Le Menteur précéda les comédies » de Molière. Dans cette pièce, qui est restée, » le principal rôle est rempli de détails char» mans; l'auteur y prend alternativement tous >> les tons; les narrations variées qu'il met dans >> la bouche du Menteur, réunissent toutes les » sortes de beautés comiques; et le récit du » pistolet sur-tout est d'un naturel, d'une gaieté >> piquante, que Molière lui-même n'a pas surpassés. Le rôle du valet crédule, qui est » toujours la dupe de son maître, quoiqu'il >> connoisse bien son caractère, contribue à >> faire ressortir le personnage du Menteur; et >> par des naïvetés exprimées dans un style tou» jours gai, jamais bouffon, augmente le comi» que de la situation (*). »

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(*) Essai qui précède la Grammaire de Port-Royal, nouvelle édition.

Corneille disoit que, pour décider quelle étoit la plus belle de ses tragédies, il falloit choisir entre Rodogune et Cinna; et si on leur joint le Cid, les Horaces, Polyeucte, Pompée, Héraclius, Edipe et Sertorius, on ne feroit pas un grand sacrifice en renonçant aux autres. L'Edipe même a été fortement critiqué; mais, comme le remarque Voltaire, on ne doit juger un grand homme que par ses chefs-d'œuvre, et non par quelques fautes. Cependant on est fàché de voir qu'il ait si mal observé cette règle dans son commentaire sur Corneille, où le desir de diminuer la haute réputation de cet auteur se manifeste si évidemment.

<< La représentation des pièces de Corneille », dit M. de La Harpe, « nous met à-la-fois sous les yeux et son génie et son siècle. C'est pour nous un doux plaisir de les voir en présence, et de juger ensemble l'un et l'autre. Ses beautés marquent le premier, ses défauts rappellent le second. Celles-là nous disent : voilà ce qu'étoit Corneille; celles-ci : voilà ce qu'étoient tous les autres. >>

Corneille continua d'écrire dans un âge trèsavancé, et même lorsque son génie eut perdu sa force. Il est fâcheux que des hommes de

cette trempe n'aient point d'amis, pour empêcher que leur déclin ne soit exposé à la malignité du public. Cependant, comme le soleil à son coucher fait voir, dans certains instans, toute sa splendeur, on observe de même, dans les dernières tragédies de Corneille, des endroits magnifiques et sublimes.

On est étonné de voir Corneille, dont le style étoit toujours des plus nerveux, s'exprimer avec cette douceur, avec cette tendre délicatesse qu'on trouve dans la déclaration de Psyché à l'Amour :

A peine je vous vois, que mes frayeurs cessées
Laissent évanouir l'image du trépas,

Et que je sens couler, dans mes veines glacées,
Un je ne sais quel feu que je ne connois pas.
J'ai senti de l'estime et de la complaisance,

De l'amitié, de la reconnoissance;
De la compassion les chagrins innocens,
M'en ont fait sentir la puissance :
Mais je n'ai point encor senti ce que je sens.

Tout ce que j'ai senti n'agissoit pas de même ;
Et je dirois que je vous aime,

Seigneur, si je savois ce que c'est que d'aimer.

Et puis ce que répond l'Amour, lorsque Psyché lui demande s'il est jaloux:

Je

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature :
Les rayons du soleil vous frappent trop souvent;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent :
Dès qu'il les flatte, j'en murmure.

L'air même que vous respirez,

Avec trop de plaisir passe par votre bouche;
Votre habit de trop près vous touche;

Et sitôt que vous soupirez,

Je ne sais quoi qui m'effarouche,

Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés, etc. (*)

« Ces vers charmans peuvent servir à prou>> ver que si Corneille, dans ses tragédies, n'a >> point fait parler l'Amour assez tendrement, » on ne doit point attribuer cette manière de » le peindre à un défaut de talent. Il paroît » que ce grand poète s'étoit formé, sur l'amour

(*) Ces vers sont tirés de Psyché, tragédie-ballet, jouée en 1670, et qui est imprimée dans les œuvres de Molière. Corneille y travailla, parce que Molière n'eut pas le temps de remplir tous les rôles. Voici comme en parle le Dictionnaire des Théâtres : « Le temps pressant trop Molière, il ne put faire que le prologue, le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième. Corneille l'aîné se chargea du reste, et le fit en quinze jours. Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault, à la réserve de la plainte italienne, qui est de Lully, etc. »

Les vers cités ici sont dans la scène troisième du troisième acte; par conséquent, ils sont de P. Corneille.

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