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Et de près, inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah! s'ils ont pu choisir, pour leur libérateur,
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur;

S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi long-temps victorieux,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses ayeux?
Que dis-je? en quel état croyez-vous la surprendre?
Vide de légions qui la puissent défendre,
Tandis que tout s'occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfans pourront-ils m'arrêter?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre,
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérans si fiers;
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers!
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme :
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu;
Brûlons ce Capitole où j'étois attendu ;
Détruisons ses honneurs, et faisons disparoître
La honte de cent rois, et la mienne peut-être!

Iphigénie. - « L'on vit éclore successive»ment », dit M. de La Harpe, «< deux chefs» d'œuvre qui, en élevant Racine au-dessus » de lui-même, devoient achever sa gloire, » la défaite de l'envie et le triomphe de la » scène française. L'un étoit Iphigénie, le mo>> dèle de l'action théâtrale, la plus belle dans

>> sa contexture et dans toutes ses parties; l'au» tre étoit Phédre, le plus éloquent morceau » de passion que les modernes puissent opposer » à la Didon de ce Virgile, qu'il faudroit ap» peler inimitable si Racine n'avoit pas écrit.

>> Ces deux pièces, il est vrai, sont, pour le » fond, empruntées aux Grecs. Mais je me >> suis assez déclaré leur admirateur, pour qu'il >> me soit permis d'assurer, sans être suspect » de favoriser les modernes, que le poète fran»çais a surpassé son modèle dans Iphigénie; » et que dans Phédre, il l'a effacé de manière » à se mettre hors de toute comparaison. ... »

Il est impossible de mieux peindre le caractère d'Achille, que dans le discours que Racine lui fait tenir dans les passages suivans. On lui rappelle qu'il doit périr devant Troye.

Moi! je m'arrêterois à de vaines menaces,
Et je fuirois l'honneur qui m'attend sur vos traces!
Les Parques à ma mère, il est vrai, l'ont prédit,
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans son lit.
Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup d'ans sans gloire,
Ou peu de jours suivis d'une longue mémoire.
Mais, puisqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrois-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d'un sang reçu d'une déesse,

Attendre chez mon père une obscure vieillesse;

Et toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?
Ah! ne nous formons point ces indignes obstacles;
L'honneur parle, il suffit : ce sont là nos oracles.
Les Dieux sont de nos jours les maîtres souverains;
Mais, seigneur, notre gloire est dans nos propres mains.
Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes?
Nesongeons qu'à nous rendre immortels comme eux-mêmes;
Et laissant faire au sort, courons où la valeur
Nous promet un destin aussi grand que le leur.
C'est à Troye, et j'y cours; et quoi qu'on me prédise,
Je ne demande aux Dieux qu'un vent qui m'y conduise.
Et quand moi seul, enfin, il faudroit l'assiéger,
Patrocle et moi, seigneur, nous irions vous venger.

On ne peut pas assurément faire le reproche
à Racine que, dans cette pièce, l'amour ait
énervé le héros. Dans toutes les situations, le
caractère d'Achille, tel qu'Homère l'a peint,
est toujours soutenu; et dans Iphigénie, l'on
trouve le portrait le plus parfait d'une ame
sensible, généreuse, pénétrée du sentiment
de l'amour et du devoir filial. Comme elle est
touchante ! quand elle dit à Clytemnestre:
Sur-tout, si vous m'aimez, par cet amour de mère,
Ne reprochez jamais mon trépas à mon père.

Et quand Agamemnon croit son projet découvert pour la mener au sacrifice, et qu'il

réfléchit

réfléchit qu'on peut l'empêcher de l'exécuter, elle dit:

Mon père,

Cessez de vous troubler, vous n'êtes point trahi:
Quand vous commanderez, vous serez obéi.

Son discours à Achille, lorsqu'elle résiste à cet amant qui veut tout employer pour la défendre, est aussi justement admiré.

Songez, seigneur, songez à ces moissons de gloire
Qu'à vos brillantes mains présente la victoire.
Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous,
Si mon sang ne l'arrose, est stérile pour vous:
Telle est la loi des Dieux, à mon père dictée.
En vain, sourd à Calchas, il l'avoit rejetée.
Par la bouche des Grecs contre moi conjurés,
Leurs ordres éternels se sont trop déclarés.
Partez. A vos honneurs j'apporte trop d'obstacles.
Vous-même dégagez la foi de vos oracles;
Signalez ce héros à la Grèce promis;
Tournez votre douleur contre ses ennemis.
Déjà Priam pâlit; déjà Troye, en alarmes,
Redoute mon bûcher, et frémit de vos larmes.
Allez; et, dans ses murs vides de citoyens,
Faites pleurer ma mort aux veuves des Troyens.
Je meurs dans cet espoir, satisfaite et tranquille.
Si je n'ai pas vécu la compagne d'Achille,
J'espère que du moins un heureux avenir,
A vos faits immortels joindra mon souvenir;

Et qu'un jour mon trépas, source de votre gloire, Ouvrira le récit d'une si belle histoire.

Jamais l'envie et l'esprit de parti ne se sont manifestés avec plus d'animosité qu'à l'occasion de Phédre, ouvrage du premier ordre. La cabale qui s'étoit formée contre l'auteur, sachant qu'il étoit occupé de cette tragédie, engagea Pradon à composer une pièce sur le même sujet. La Phédre de Racine a été représentée au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, le 1er. janvier 1667, et celle de Pradon le 3 du même mois, sur le théâtre de Guénégaud. Il y avoit, dans cette cabale, presque toutes les personnes qui s'assembloient à l'hôtel de Rambouillet (*); madame de Longueville, madame

(*) Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, fut une des femmes les plus distinguées de son temps. Un grand nombre de gens de mérite fréquentoit son hôtel : on y dissertoit sur le sentiment; on y jugeoit les ouvrages qui paroissoient; mais ce n'étoit pas toujours le goût et l'impartialité qui présidoient à ces jugemens. On a prétendu que le langage de quelques personnes de cette société ressembloit à celui des Précieuses ridicules. Ménage dit : « J'étois à la première représentation des Précieuses ridicules de Molière, au petit Bourbon; mademoiselle de Rambouillet y étoit, madame de Grignan, tout l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain, et plusieurs autres de ma connoissance. La pièce fut jouée avec un applaudissement

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