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SUR LA

LITTÉRATURE

FRANÇAISE.

SECONDE PARTIE.

FÉNÉLO N.

FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LA MOTTE DE FÉNÉLON naquit en 1651, à Fénélon en Quercy, résidence de sa famille. Il fut élevé à Cahors par les soins de son oncle, le marquis de Fénélon, lieutenant-général, militaire distingué, homme en même temps d'un esprit orné, et de mœurs non seulement irréprochables, mais plutôt sévères. Fénélon montra, dès son enfance, les dispositions les plus heureuses. Il fit bientôt des progrès rapides, même dans les études les plus difficiles; et à l'âge de dix-neuf ans, il débuta dans la chaire avec le plus grand succès. Son oncle craignant qu'il ne se livrât aux impressions de la vanité, exigea qu'il se renfermât, sous la direction du

ans,

supérieur de Saint-Sulpice, dans les fonctions les plus obscures de son état. A vingt-quatre il entra dans les ordres sacrés. Trois ans après, Harlay, archevêque de Paris, lui confia une place qui demandoit une grande sagesse, celle de supérieur des nouvelles catholiques. C'est à-peu-près dans ce temps-là qu'il composa le Traité de l'Éducation des Filles, et le Traité du Ministère des Pasteurs. Louis XIV le nomma ensuite chef d'une mission pour la conversion des calvinistes dans la Saintonge et dans le pays d'Aunis. Fénélon, avant d'accepter cet emploi, quoique regardé alors comme un des plus flatteurs, se déclara contre tous les moyens de violence, en disant qu'il ne se chargeroit ni de porter la parole du Dieu de miséricorde en usant de la force, ni de parler du roi que pour le faire aimer. On céda à ses remontrances; et par-là deux provinces furent préservées du fléau de cette persécution, qui a laissé une tache ineffaçable sur un règne d'ailleurs le plus glorieux.

En 1689, Louis XIV lui confia l'éducation de son petit-fils le duc de Bourgogne, héritier présomptif de la couronne. Le duc de Bourgogne étoit né hautain, d'une humeur violente et inégale, et d'une disposition à mépriser les

hommes d'un rang inférieur. Fénélon, sans avoir l'air de blâmer ou contrarier son élève, lui fit sentir combien son orgueil s'opposoit à sa gloire. Il s'empara peu-à-peu d'une ame naturellement généreuse, et dont la sensibilité ne demandoit qu'à être bien dirigée. Lorsque le prince tomboit dans des emportemens, on laissoit passer ces momens d'orage, où la raison n'auroit pas été entendue; mais tous ceux qui l'approchoient avoient l'ordre de le servir en silence, et de lui montrer un visage morne et consterné. Ses exercices même étoient suspendus; il sembloit que personne n'osoit plus communiquer avec lui : bientôt, épouvanté de sa solitude, il venoit faire des excuses et demander grace. C'étoit alors que Fénélon lui faisoit sentir toute la honte de ses fureurs, et combien il étoit malheureux de se faire craindre et de s'entourer de la tristesse, au lieu de se faire aimer. Pour fixer l'inconstance naturelle de son élève, il sembloit consulter ses goûts, que pourtant lui-même faisoit naître. Par une conversation qui paroissoit amenée sans dessein, il provoquoit sa curiosité, et donnoit à une étude nécessaire, l'air d'une découverte agréable. Le duc de Bourgogne devint tout ce qu'on pouvoit desirer qu'il fût, un élève

véritablement digne de son illustre précepteur.

On s'étonne de voir que l'éducation des princes en général réussisse si mal; mais cet étonnement cessera, si l'on considère ceux à qui souvent elle est confiée, et ceux qui entourent les jeunes princes. On ne peut pas leur inspirer des sentimens qu'on ne possède pas, ni leur faire avoir des manières auxquelles on est étranger. Cependant c'est dans la jeunesse qu'on prend les impressions de ce qu'on voit et de ce qu'on entend habituellement. Les maximes ne sont que des leçons écrites; l'homme le plus médiocre peut les lire, les faire répéter, mais les jeunes princes doivent les voir en action. Combien n'est-il pas rare qu'un prince sache accorder une faveur, avec cette grace qui la rend doublement précieuse à celui qui la reçoit? qu'il sache en refuser une de manière à diminuer la peine de ne l'avoir pas obtenue? qu'il sache dire des choses convenables ou obligeantes à ceux qui viennent lui faire leur cour, ou à un étranger qui lui est présenté.

Il n'est pas seulement nécessaire qu'un prince ait ce qu'on appelle une éducation plus ou moins parfaite, dans ce qui concerne les sciences et les lettres, et qu'il apprenne les différens exercices du corps; il faut encore diriger ses mœurs,

former son cœur, et avoir soin que ses manières soient d'accord avec son état; qu'il ait de la dignité sans morgue; qu'il soit toujours poli, et rarement familier; qu'il sache réprimer à propos la présomption, encourager la modestie, et protéger le mérite; qu'il soit généreux, et jamais prodigue; qu'il soit compatissant sans foiblesse, et ferme sans opiniâtreté; qu'il apprenne à s'appliquer à ses devoirs, à écouter avec patience, et à peser les raisonnemens qui lui sont exposés: il faut qu'il soit pénétré du plus profond respect pour la religion; qu'il observe exactement le culte de son pays, sans être bigot ou intolérant : il ne suffit pas qu'il sache la géographie matérielle des différentes contrées, il faut qu'il soit instruit de l'état physique du pays, de l'état moral du peuple et du gouvernement. Voilà à-peuprès comme Fénélon voulut former le duc de Bourgogne (*).

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(*) « Le duc de Bourgogne réunissoit tout ce qui fait la vertu chez les particuliers comme chez les rois des principes austères et une ame sensible. A vingt ans, il parut être au-dessus des erreurs comme des foiblesses. En butte à toutes les séductions, il eut le courage de toutes les vertus; simple, modéré, et sans faste......

>> Dans ces temps de désastres, où la famine et la

guerre

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