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Il vint chercher la guerre au sortir de l'enfance,
Et même en fit sous moi la noble expérience.
Toi-même tu l'as vu courir dans les combats,
Emporter après lui tous les cœurs des soldats,
Et goûter, tout sanglant, le plaisir et la gloire
Que donne aux jeunes cœurs la première victoire.

Il y a deux passages qui développent en même temps le caractère ferme et austère du visir, et peignent encore les mœurs du sérail. Il raconte à Osmin qu'Atalide lui a été promise en mariage.

OS MIN.

Quoi! vous l'aimez, seigneur?

Асома Т.

Voudrois-tu qu'à mon âge,

Je fisse de l'amour le vil apprentissage;
Qu'un cœur qu'ont endurci la fatigue et les ans,
Suivit d'un vain plaisir les conseils imprudens?
C'est par d'autres attraits qu'elle plaît à ma vue :
J'aime en elle le sang dont elle est descendue.
Par elle Bajazet, en m'approchant de lui,
Me va contre lui-même assurer un appui.
Un visir aux sultans fait toujours quelque ombrage:
A peine ils l'ont choisi, qu'ils craignent leur ouvrage.
Sa dépouille est un bien qu'ils veulent recueillir,
Et jamais leurs chagrins ne nous laissent vieillir.
Bajazet aujourd'hui m'honore et me caresse ;
Ses périls tous les jours réveillent sa tendresse.

Ce même Bajazet, sur le trône affermi,
Méconnoîtra peut-être un inutile ami.

Et moi, si son devoir, si ma foi ne l'arrête,
S'il ose quelque jour me demander ma tête....
Je ne m'explique point, Osmin, mais je prétends
Que du moins il faudra la demander long-temps.
Je sais rendre aux sultans de fidèles services;
Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprices,
Et ne me pique point du scrupule insensé
De bénir mon trépas, quand ils l'ont prononcé.

Enfin, le caractère du visir est regardé comme un des caractères les plus achevés qu'il y ait sur la scène. Dans le rôle d'Atalide, son amour, la délicatesse de ses sentimens, les combats de son cœur, ses craintes et ses douleurs, sont peints d'une manière à exciter la plus grande admiration.

Mithridate, qui est plus dans le genre de Corneille que toute autre pièce de Racine, quoique cette tragédie soit pleine de beautés, a été beaucoup critiquée dans le temps qu'elle a paru, et même depuis. On disoit Mithridate, que que nous voyons dans l'histoire guerrier et conquérant, ne respirant que la vengeance et l'ambition, grand dans la prospérité, plus grand encore quand la fortune lui est contraire, est représenté par Racine en vieillard amoureux

d'une jeune fille, dont ses deux fils sont également amoureux. M. de La Harpe s'élève contre cette opinion. « Il paroît, dit-il, que » dans Mithridate, Racine se proposa de lutter » de plus près contre Corneille, en mettant >> comme lui sur la scène un de ces grands » caractères de l'antiquité, d'autant plus diffi»cile à bien peindre, que l'histoire en a donné » une plus haute idée. Il avoit fait voir dans >> Acomat tout ce qu'il pouvoit mettre de force » dans un personnage d'imagination : il fit voir » dans Mithridate avec quelle énergie et quelle » fidélité il savoit saisir tous les traits de res» semblance d'un modèle historique. On re>> trouve chez lui Mithridate tout entier, son >> implacable haine pour les Romains, sa fer>> meté et ses ressources dans le malheur, son » audace infatigable, sa dissimulation profonde » et cruelle, ses soupçons, ses jalousies, ses » défiances, qui l'armèrent si souvent contre >> ses proches, ses enfans, ses maîtresses. Il » n'y a pas jusqu'à son amour pour Monime qui ne soit conforme, dans tous les détails, >> à ce que les historiens nous ont appris. . . . »

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Le morceau suivant donne un des modèles le plus parfait du style sublime qu'il y ait peut-être dans la langue française.

Je fuis ainsi le veut la fortune ennemie.

::

Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie,
Pour croire que long-temps, soigneux de me cacher,
J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs, ainsi que ses disgraces.
Déjà plus d'une fois, retournant sur mes traces,
Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenoit après son char un vain peuple occupé,
Et gravant en airain ses frêles avantages,
De mes états conquis enchaînoit les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur au fond de ses marais;
Et chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins : l'Orient accablé
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé.

Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,

Le bruit de nos trésors les a tous attirés :

Ils y courent en foule; et, jaloux l'un de l'autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste : ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis.
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête.
Le grand nom de Pompée assure sa conquête :
C'est l'effroi de l'Asie; et, loin de l'y chercher,
C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.
Ce dessein vous surprend, et vous croyez peut-être
Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.

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J'excuse votre erreur; et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que, de cette contrée,
Par d'éternels remparts Rome soit séparée :
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
Et si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole,
Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte, en deux jours,
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours;
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée,
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée?
Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas.
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l'Espagne, et sur-tout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois,
Exciter ma vengeance, et jusques dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse.
Ils savent que sur eux, prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder;

Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie, ou suivre mon passage.

C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin,
Vous trouverez par-tout l'horreur du nom romain,
Et la triste Italie, encor toute fumante
Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n'est point au bout de l'univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers;

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