Page images
PDF
EPUB

pieux, et ce lieu continua d'être encore pendant longtemps un pélerinage de piété, quoique bien moins fréquenté dans la suite qu'il n'avoit été dans son commencement. Cette Croix subsistoit encore lors qu'en 1760, les Anglois se sont rendus maîtres de Montréal : mais depuis ce temps-là, elle ne paroit plus.

La Sœur Bourgeois commença ensuite à donner l'essor à son zèle. Une cinquantaine de maisons dispersées çà et là, dans l'enceinte d'un petit fort de pieux, composoient tout le corps de cette ville. Quelques habitans répandus dans les campagnes voi sines, et qui commençoient à peine à défricher quelques petites terres, quelques cabanes Sauvages dres sées dans les environs, formoient toute la peuplade. La Sœur parcouroit seule chaque jour presque toutes ces différentes maisons, pour y faire partout les fonetions d'un véritable Apôtre. Elle se reproduisoit en quelque façon elle-même, et on étoit toujours sur de la trouver partout où il y avoit quelque bien à faire. Elle se prêtoit à tout;visiter et servir les malades, conso. ler les affligés, instruire les ignorans, blanchir le linge et racommoder gratuitement les hardes des pauvres et des soldats, ensevelir les morts, et se dépouiller elle-même des choses les plus nécessaires en faveur des nécessiteux, étoient ses occupations ordinaires. On raconte à ce sujet un trait qu'on peut appeller d'une charité héroïque ; mais qui dans la réalité renferme l'exercice d'un grand nombre d'autres vertus. Le voici.

Nous avons remarqué ailleurs, qu'au temps de son em. barquement, Mr. le Coq lui avoit fait présent d'un lit pour son passage: il consistoit en une paillasse, un matelas, deux couvertures et un oreiller. C'étoit trop pour elle, elle ne voulut pas s'en servir, et on peut dire que c'étoit pour elle un fardeau insupportable d'avoir quelque chose en propre dont-elle croyoit pouvoir se passer. Elle eut bientôt occasion de se défaire de son lit. L'hiver étoit rude; un pauvre soldat transi de froid, mais qui ne s'attendoit pas sans doute, qu'elle se priveroit elle-même du nécessaire pour le soulager, vint pour reclamer sa

charité, et lui dire qu'il n'avoit pas sur quoi se coucher pour se garantir durant la nuit de la rigeur de la saison. Elle ne balance pas un instant : elle va querir son matelas et le lui donne. Peu de temps après, un second instruit de ce qu'il appelloit la bonne fortune de son camarade, va trouver la Sœur pour lui exposer sa misère; celui-ci eut la paillasse. Deux autres, sans savoir que la Sœur se dépouilloit elle-même pour faire la charité, s'étant présentés à elle pour implorer son secours, elle leur donna les deux couvertures. Personne, dit-on, ne se présenta pour avoir l'oreiller, meuble encore inutile pour elle; car elle savoit se passer de tout et un oreiller de paille, ou de bois, étoit également utile à son usage. Ainsi dépouillée, elle se faisoit un plaisir de coucher à platte terre, ou sur le plancher, qui étoit son lit le plus ordinaire, malgré la rigeur de la saison; elle se trouvoit bien dédommagée, lorsqu'elle pouvoit en quelque façon soulager les autres : en un mot, elle étoit à l'égard de tous dans cette nouvelle ville, comme une mère commune, l'œil de l'aveugle, le pied du boiteux, la consolation de l'affligé, le soutien du foible et de l'indigent; se faisant, comme l'Apôtre, toute à tous, pour les gagner tous à Jesus Christ. Mais parmi tant de bonnes œuvres, son attrait particulier étoit toujours d'instruire les personnes de son sexe, Françoises et Sauvages ; elle avoit soin de toutes avec une égale attention; et comme elle n'avoit point encore d'école publique où elle pût les assembler toutes, elle les suivoit sans cesse de maison en maison, pour les instruire de tous les principaux devoirs de la Religion, et leur inspirer des sentimens d'amour et de dévotion envers l'auguste Marie, à laquelle elle étoit très spécialement devouée elle-même. C'est ainsi que, digne coopératrice de Mr. de Maison-neuve, pendant que celui-ci érigeoit à Marie une ville matérielle, elle Im érigeoit un empire spirituel dans le cœur des fidèles: mais comme ce nouvel établissement croissoit tous les jours, en étendue pour le terrain qu'elle avoit à parcourir, et en nombre des sujets qu'elle avoit à instruire, elle se trouva bientôt hors d'état de soutenir, toute seule, un tra

vail, qui sans être audessus de son courage, étoit de beaucoup audessus de ses forces. C'est ce qui donna occasion aux événemens que nous avons à raconter dans la suite de cette histoire.

LA VIE

DE LA

SŒUR BOURGEOIS.

TROISIEME PARTIE,

Où il est traité de l'établissement des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame, A VILLE-MARIE.

IL y avoit quatre ans que la Sœur Bourgeois étoit à

Ville-Marie, occupée à la pratique de toutes les vertus et bonnes œuvres dont nous venons de parler, lorsque pressée par l'ardeur de son zèle, et réfléchissant un jour sur les moyens qu'elle pourroit employer pour procurer plus efficacement la gloire de Dieu, et pour faire honorer Marie d'un culte plus parfait, elle se sentit vivement inspirée de faire bâtir une chapelle en l'honneur de la mère de Dieu, dans laquelle elle se proposoit d'assembler de temps en temps les jeunes filles, après lesquelles elles couroit, pour ainsi dire, sans cesse, de maison en maison, pour les iustruire et leur inspirer le goût de la piété envers la très Sainte Vierge et leur en insinuer les pratiques. Docile au mouvement de la grâce, et bien instruite elle même des règles de la dépendance chrétienne, elle n'eut rien de plus pressé que d'aller communiquer son dessein au Révérend Père Pijart, Jésuite, son Directeur, et l'unique Prêtre qui desservoit alors la petite paroisse de Ville-Marie. La Soeur n'avoit aucune ressource humaine pour commencer cet ouvrage : le Père pour l'éprouver, lui en représenta et lui en exagéra même toutes les difficultés mais témoin et surpris de son zèle et de sa fermeté, il ne douta pas que ce ne fut l'œuvre de Dieu, et il approuva son dessein. Il n'en fallut pas d'avantage à

la Sœur pour la mettre en mouvement. Dès lors elle commença à se flatter du succès d'une entreprise qu'elle ne faisoit que pour la gloire de Dieu, et dans laquelle il lui paroissoit qu'elle avoit l'approbation de Dieu même, puisqu'elle pouvoit agir sous les auspices de l'obéissance. Dans cette confiance elle alla sur le champ trouver Mr. de Maison-neuve pour lui faire confidence de son projet et obtenir de lui un terrain propre à l'exécution. Elle n'eut pas de peine à obtenir de ce grand serviteur de Marie, tout ce qu'elle lui demandoit; c'étoit le prendre par l'endroit le plus sensible de son cœur, que de lui parler de dévotion envers la très Sainte Vierge. Il connoissoit la ferveur de la Sœur ; et il lui donna toute liberté de choisir l'endroit et telle étendue de terrain qu'elle jugeroit à propos. Elle se fixa à l'endroit où est aujourd'hui l'E. glise de Bon-secours, qui étoit environ à 400 pas de la ville, selon l'étendue de l'enceinte qu'elle avoit alors; et pour la quantité de terrain dont elle croyoit avoir besoin, elle se borna à un espace de 40 pieds de long sur 30 de large, qu'elle jugea suffisant pour remplir le projet qu'elle avoit alors. Ayant donc ainsi formé le plan de sa bâtisse, elle s'intrigue de toute part, et partout elle trouve des cœurs bien disposés à se prêter à la bonne œuvre. Les uns apportent du bois, les autres charrient de la pierre, ceux-ci travaillent de leur métier, ceux-là servent de manoeuvres, plusieurs y contribuent de leur bourse et donnent de l'argent dans peu de jours les fondemens sont creusés et remplis, et déjà en état de recevoir un vaste bâtiment de charpente qu'on se proposoit d'élever pardessus, et auquel on travailloit sans relâche.

Tout sembloit réussir au parfait: mais la Sœur n'en étoit pas encore jusqu'où elle s'étoit flattée ; c'étoit l'œuvre de Dieu, il lui falluit des contradictions pour la rendre plus parfaite ; et elle dut être d'autant plus sensible aux épreuves que Dieu lui ménageoit à cette occasion, qu'elles lui arrivèrent d'une part à laquelle, ce semble, elle devoit le moins s'attendre.

Il n'y avoit point encore alors d'Evêque à Québec, et Mr. L'abbé de Quélus, premier Supérieur du Séminaire

« PreviousContinue »