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lation naturelle qui existe entre la répression du duel et celle des injures, car les dispositions rapportées tout à l'heure sont restées presque sans application judiciaire tant que les combats singuliers ont joui d'une sorte d'impunité légale : mais la simple annonce d'une jurisprudence répressive a rendu à plus d'un bon citoyen la hardiesse d'invoquer, à la place de la force brutale, le secours des lois protectrices de la considération et de l'honneur 1.

1 Peu de jours après celui où nous écrivions ces lignes, nous avons été heureux d'entendre l'un des premiers magistrats du royaume expliquer éloquemment la même pensée. « Aujourd'hui, disait-il, › on ose demander à la justice régulière et paisible les réparations » qu'en d'autres temps on ne voulait tenir que de la violence ou du > hasard; retour heureux vers la raison, dont peut-être les cœurs › étaient moins éloignés qu'ils ne le voulaient paraître, et qui sem> blait pour s'accomplir n'attendre que le signal des lois. Les ma>gistrats l'ont donné en s'associant à une voix éloquente : désormais > tout meurtre est un crime. » (Discours prononcé par M. le procureur général près la Cour royale de Paris, à l'audience de rentrée du 4 novembre 1844.)

CHAPITRE X.

SECONDE PHASE de l'ancienne JURISPRUDENCE DE LA COUR DE

CASSATION.

La Cour de cassation modifie la première forme de ses arrêts sur le duel. Essai pour suppléer aux pénalités par l'application des dommages-intérêts.

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Les arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de duel pendant les années 1819, 1824 et 1822, étaient des arrêts sur premier pourvoi qui n'avaient été délibérés que dans l'une des trois sections dont se compose cette Cour, la section criminelle. C'est seulement en 1824 que la question fut portée devant les sections réunies. La Cour assemblée persista dans la jurisprudence adoptée depuis cinq ans; toutefois, la rédaction même de l'arrêt fit comprendre que ce succès avait pu être disputé, car la Cour, resserrant sa doctrine pour la mieux défendre, avait abandonné les longs considérants de l'arrêt du 8 avril, comme on abandonne un bagage embarrassant le jour du combat. L'arrêt solennel de 1824 n'avait pour tout développement qu'un seul motif ainsi formulé :

« Quoique le fait du duel blesse profondément » la religion et la morale, et porte une atteinte » grave à l'ordre public, néanmoins il n'est qua

»lifié crime par aucune disposition des lois pé»nales actuellement en vigueur 1. »

Lorsqu'elle faisait ainsi ses réserves au nom de la religion, de la morale et de l'ordre public outragés par le duel, la Cour de cassation donnait assez à entendre que s'il s'offrait à elle un moyen légal de venger cet outrage, elle n'hésiterait pas à s'en servir.

Ce moyen, elle crut un jour l'avoir trouvé dans l'application, aux suites du duel, de deux articles du Code civil.

Après avoir déclaré, d'une part, que l'homicide commis en combat singulier ne constituait ni un crime ni un délit, et, d'autre part, que la convention qui précède cet homicide n'était pas davantage un contrat valable aux yeux de la loi, il ne restait plus, dans les distinctions du droit, que la catégorie des quasi-délits, ou celle des quasi-contrats, dans laquelle on pût faire rentrer ce fait spécial : un arrêt de 1827 l'y classa.

Quelque étrange que ce résultat puisse paraître au premier coup d'œil, l'arrêt reposait cependant sur un principe admis par tous les jurisconsultes.

Nous avons établi précédemment qu'il n'y a de crimes ou de délits que ceux qui sont nommés et définis par la loi. Mais tout fait quelconque de

1 Deuxième arrêt rendu (le 4 décembre 1824) dans l'affaire de Harty de Pierrebourg, au sujet de l'homicide commis en duel sur M. de Sainte-Aulaire. (Bulletin criminel de 1824, no 117.)

l'homme qui cause à autrui un dommage donne lieu à une action, qui n'est, à proprement parler, ni une action civile, car elle peut être jugée par les tribunaux criminels, ni une action criminelle, car elle est aussi de la compétence des tribunaux civils, mais qui tient de l'une et l'autre nature, et occupe, dans l'administration de la justice, une place intermédiaire, d'où nul législateur n'a encore pu bannir, par ses définitions, le pouvoir discrétionnaire du juge.

En vertu de ce pouvoir, écrit dans les articles 1382 et 1383 du Code civil, la Cour d'assises des Ardennes, en acquittant un duelliste déclaré non coupable par le verdict des jurés, l'avait condamné civilement à payer 6000 fr. de dommagesintérêts à la veuve et au fils de son adversaire qui avait succombé dans le combat.

On alléguait, pour faire annuler cette condamnation, que l'homicide commis en duel n'étant pas punissable, l'action en dommages-intérêts ne pouvait être intentée, dans ce cas, comme accessoire d'une action publique qui n'existait pas1; et que d'ailleurs les combattants ayant consenti réciproquement à exposer leur vie dans un duel, le résultat des chances du combat ne pouvait

La Cour de cassation avait plusieurs fois posé en principe « que » l'action civile, placée sous la tutelle de l'action publique, ne peut, » devant les tribunaux de répression, s'exercer sans son appui. (Voir notamment un arrêt de cassation du 12 mai 1827, affaire Marcadier. Bulletin, 1827, n° 115.)

«

autoriser, de la part de l'un d'eux ou de ses représentants, la demande d'une indemnité.

La Cour de cassation ne fut arrêtée ni par le principe de droit, ni par la fin de non-recevoir qu'on invoquait contre la partie civile.

Elle déclara qu'il avait été fait une juste application des articles de loi déjà cités.

L'arrêt porte que si du silence de la loi pé> nale on doit induire que le duel, tout con» traire qu'il soit à la religion, à la morale et à la ›paix publique, n'est passible d'aucune peine, » on ne saurait en conclure que l'homicide com» mis à son occasion cesse d'être dommageable > parce qu'il demeure impuni, et que celui qui » cause à une épouse et à des enfants le plus grand » des dommages, en les privant d'un époux et » d'un père, cesse d'être responsable civilement » d'un fait qui n'est pas arrivé seulement par sa » négligence ou par son imprudence, mais par sa » volonté préméditée;

«Que les effets d'une convention par laquelle » des citoyens, outrageant à la fois l'ordre public » et les bonnes mœurs, disposeraient de leur vie, » ne peuvent être invoqués en justice pour faire » perdre à un homicide volontaire jusqu'au ca» ractère de quasi-délit;

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Que lors même que le consentement du duel>>> liste aux chances défavorables du duel pourrait » lui être opposé, s'il venait demander des dommages-intérêts pour les blessures qu'il aurait rê

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