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comme parlait Louis XIV, « la ligne qui sépare le véritable honneur de l'abus qu'on a fait de ce » nom sacré ? »

Je viens de résumer en quelques mots tout le plan de cet ouvrage.

Ce n'est pas cependant un projet de loi sur le duel que j'entreprends de rédiger.

Depuis qu'en France l'initiative des lois appartient un peu à tout le monde, il me semble qu'en général, le tribut des théories nouvelles n'a pas manqué au législateur. Ce qui lui manque, c'est plutôt ce genre de secours qu'apporte avec soi la connaissance des précédents sur chaque question, et l'étude comparée des faits.

Dans ce siècle où la publicité d'un matin dévore tant d'œuvres de goût, de talent, quelquefois même de génie, l'activité fébrile du présent laisse moins de place qu'autrefois aux recherches qui s'exercent sur le passé.

Un récit consciencieux m'a donc paru plus utile à entreprendre que la dissertation la plus savante; sauf à déduire ensuite de ce récit même quelques principes qui, s'appuyant sur les faits, pourront leur emprunter à la fois force et clarté.

Je vais chercher à préciser davantage ma pensée.

XI

Le duel est, il faut l'avouer, pour la morale, un étrange adversaire, car il voudrait se faire passer pour un auxiliaire et un appui; et cette prétention, tout insoutenable qu'elle est aux yeux de la raison, ne laisse pas cependant que de s'étayer d'un motif spécieux.

N'y a-t-il pas, sur les limites où le domaine de la loi confine avec celui de la conscience, quelque endroit inoccupé et d'une suzeraineté incertaine, où ni l'une ni l'autre de ces deux puissances n'est à même d'exercer pleinement son autorité? C'est là que le duel a tracé son camp. Il s'y pose en redresseur de tous les torts qui échappent aux autres pouvoirs, et, laissant à la religion la garde de la vertu, aux tribunaux la défense des droits civils, il prend sous son égide ce qu'il y a de délicat et je dirai presque de pudique dans l'honneur, et voudrait pallier sa barbarie en la faisant passer pour la condition sans laquelle il n'y aurait plus d'urbanité.

Présenté sous cette forme absolue, l'argument que le duel emploie pour sa défense ne me convaincra jamais. Non, il n'est pas possible qu'en laissant le bien et le mal se disputer l'empire du monde, Dieu n'ait pas imprimé au crime certains caractères auxquels la loi puisse le reconnaître

XII

pour le flétrir, quelles que soient les couleurs dont il se pare. Le développement de la civilisation, qui n'est après tout que l'accomplissement d'une des lois de la Providence divine, ne saurait être lié indissolublement au maintien d'un usage essentiellement contraire à la justice. Il y aurait là quelque chose qui répugnerait à la logique comme au sens moral.

Mais il est une autre manière de poser la question, tout en restant dans la vérité.

Sans considérer le duel comme ayant une juridiction qui lui appartienne en propre, on peut le regarder comme tenant, quoique sans mission, la place de la loi, dans les cas où le législateur a, en quelque sorte, abdiqué ses droits par son silence.

Le premier instinct de la civilisation, comme celui de tous les êtres, n'est-il pas de se conserver et de se défendre? Si donc elle ne trouve pas appui dans le droit, elle le cherchera dans la violence, à laquelle, à force de politesse, elle essaiera de donner un dehors de justice?

Qu'en faut-il conclure? que le duel est légitime et moral? non sans doute: mais qu'on parviendra difficilement à le chasser de la position dont il s'est emparé comme premier occupant,

si la loi ne trouve un moyen régulier de satisfaire autrement aux susceptibilités de l'honneur,

Jusque-là, toute mesure prise contre le duel serait impuissante; et malgré son absurdité, avouée par ses partisans eux-mêmes, cet usage inconcevable continuerait de faire, au lieu et place de la loi, la police des mœurs.

Cet ordre d'idées n'est pas nouveau; il se rattache, pour moi, au nom d'un homme dont la noble figure et l'imposante parole me représentaient, sur son siége de magistrat comme dans sa chaire, un de ces sages des temps antiques, qui avaient puisé dans l'étude des lois de la nature plus d'un enseignement profitable au gouvernement des hommes.

Ouvrez l'histoire; la doctrine de M. Cuvier n'est, au fond, que celle qu'avaient appliquée tour à tour l'Hospital, Sully, Richelieu 1; c'est la base

Aujourd'hui même ne nous sera-t-il pas permis d'invoquer, à l'appui de cette thèse, l'avis d'un homme d'État qui peut, moins qu'un autre, oublier, dans la pratique des grandes affaires, les hautes leçons de l'histoire ?

Si nos impressions sur quelques mots qui ont transpiré d'une opinion émise à huis clos, à l'occasion de la dernière proposition touchant le duel, ne nous trompent pas, cette question aurait été envisagée par M. Guizot du point de vue où s'était placé M. Cu

de cette législation de Henri IV et de Louis XIV, dont nous aurons à présenter le tableau.

Ils connaissaient bien la nature et la force du préjugé qu'ils avaient entrepris d'abolir, ces rois qui ne croyaient pas au-dessous de leur majesté de s'employer eux-mêmes à pacifier les querelles d'honneur, ni au-dessus de leur puissance de créer, au profit de l'urbanité, une juridiction spéciale, devant laquelle un démenti pouvait être puni quelquefois à l'égal d'un crime.

Faire sentir la nécessité d'une loi qui organise en même temps la répression du duel et celle de l'injure sera donc le double but de mes efforts. L'état des esprits semble offrir à cet égard une tendance qui m'encourage.

Quelque puissante que soit encore parmi nous l'influence du préjugé, ceux qui voudraient secouer son joug commencent à voir grossir leur nombre et à se classer dans le pays.

Un conflit de jurisprudence a ramené l'attention publique sur un point de morale que l'on semblait avoir oublié.

vier. Ces deux esprits éminents auraient compris à peu près de la même manière les exigences de notre civilisation moderne, dont ils avaient droit de parler, l'un et l'autre, avec une incontestable autorité.

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