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gées contre moi. L'ambition égare ce prince déloyal, qui, les 5 et 6 octobre, dirigeait maladroitement les colonnes des brigands, dont La Fayette aurait dû empêcher le départ, dont le maire de Paris devait arrêter les chefs, s'il avait eu les premiers éléments de la science administrative en fait de police, et que d'Estaing aurait pu mettre en fuite en feignant de les attaquer, s'il avait agi franchement, de lui-même et sans attendre des ordres inutiles à un homme qui sait oser et faire son devoir. Mais ces personnages voulaient tout ménager, ils ont eu peur, et n'ont su de quel côté faire pencher la balance; aussi nulle confiance ne les environne, tous les partis dissimulent avec eux, et préfèrent céder aux circonstances, que d'attendre leur salut de leur politique impuissante et de leur dangereuse inertie.

Il y a deux mois que j'avertis le ministre de la justice, d'après des avis particuliers et venant de bonne source, qu'il y avait eu au Palais-Royal un repas nocturne mystérieux, présidé par Latouche, où se trouvaient, parmi un grand nombre de députés, Mirabeau, Sieyes, Biron, les deux Lameth, Talleyrand-Périgord, le curé Grégoire, Laclos, et le blanchisseur Chabroud. On a prétendu qu'il fallait jeter un voile sur les journées des 5 et 6; que la procédure dont s'occupait alors le Châtelet, était un attentat à la liberté, à l'inviolabilité dont les députés doivent jouir; qu'il ne fallait pas souffrir que le Châtelet prononçât ce jugement, et le menacer du courroux de l'Assemblée et de la vengeance du duc d'Orléans.

On a vivement applaudi à ces principes. Il s'est ensuite engagé une conversation très curieuse entre Mirabeau, Sieyes et Latouche.

Mirabeau se plaignait amèrement de la conduite du duc d'Orléans dans la nuit des 5 et 6 octobre: « Un peu plus d'audace, a-t-il dit, et il était tout ce qu'il voulait être. » Latouche a justifié son maître, et certifié qu'il avait entendu dire au duc d'Orléans, que l'arrivée subite de l'armée parisienne, qui ne devait se trouver à Versailles que le 6 au matin après le dénouement; que l'air satisfait, quoique étudié, de La Fayette, et l'opposition qui s'était manifestée parmi les députés patriotes sur le traitement à faire au roi, l'avaient empêché d'agir; enfin que le désordre, qui suit toujours une multitude aveugle, avait empêché les agents du duc de se réunir et d'exécuter. Mirabeau a paru peu satisfait de cette justification: Sieyes a dit alors avec beaucoup d'humeur « J'avais fait observer au duc d'Orléans, la tournure que prenait le mouvement populaire. Au reste, ce n'est qu'un coup manqué, la faute pourrait être réparée. »

Avant de se séparer, il a été décidé qu'il fallait épouvanter les juges, et leur dicter l'arrêt. « C'est une affaire enterrée, a dit Mirabeau; ceux qu'on voudrait frapper, sont trop forts pour l'être; ils savent parer les coups d'une manière trop dangereuse pour les assaillants. >>

Ainsi le Châtelet a cédé à la crainte. Je voulais appeler de ce jugement inique; mais j'ai dû céder à mon

conseil qui m'a fait envisager l'audace de mes ennemis, et la faveur populaire qui les environne. J'en appellerai un jour au tribunal du peuple, et j'ose espérer que le Français, alors, vengera son roi, et fera punir les assassins. Je ne puis donc approuver le projet que vous m'avez présenté. Il peut être bon pour des temps de paix et d'union: il serait dangereux dans des moments de trouble et d'orage.

LOUIS.

LETTRE XLV.

A M. l'Archevêque d'Arles.

29 juin 1791.

Vous rappelez, monsieur l'Archevêque, pour consoler le plus infortuné des rois, l'exemple de David, obligé de fuir devant son fils Absalon. Monarque abandonné ! père malheureux! ce n'est pas la vengeance que David appelle à son aide; ce n'est point la foudre du ciel irrité qu'il sollicite; c'est dans le Roi des rois qu'il met toute sa confiance! Il prie pour un fils ingrat; il pardonne au monstre qui le poursuit, et qui paraît avoir soif de son sang. Cet acte de l'amour paternel est sublime. Je me fais gloire d'avoir avec David, la même conformité de sentiments et d'idées. Des ingrats me persécutent, ils calomnient un tendre père; et je ne songeais, moi, qu'à leurs intérêts, qu'à leur bonheur. C'est aux pieds de la religion que je dépose les injures

faites au monarque. Que le peuple soit heureux, et je suis satisfait. Pour moi, je goûte une douce satisfaction lorsque je puis, dans la solitude, bénir la Providence, me soumettre à ses décrets; c'est alors que tous les maux, toutes les injustices, tous les attentats sont oubliés ! Ne suis-je pas trop heureux, monsieur l'Archevêque, et la justice divine peut-elle être satisfaite? Elle voulait me punir de lui avoir préféré l'insolente philosophie qui m'avait séduit et m'a précipité dans un abîme de malheurs! Pour elle j'ai négligé ce culte antique de ines aïeux, si cher à saint Louis, dont je me glorifie de descendre. Vous monsieur l'Archevêque, dont les vertus religieuses sont admirées, qui les préférez à celles dont la philosophie tire vanité, et qui, vues avec les prismes de la religion, ressemblent si fort à des vices; offrez, pour votre roi malheureux, les vœux d'une âme embrasée de l'amour de Dieu; d'un saint évêque que je peux comparer à Ambroise: avec cette différence que Théodose s'humiliait devant lui, pour avoir châtié cruellement un peuple rebelle; et que je sollicite le secours de vos prières, pour ramener un peuple qui jamais ne pourra me reprocher d'avoir fait couler ni son sang ni ses larmes.

LETTRE XLVI.

A M. de Bouillé.

3 juillet 1791.

Vous avez fait votre devoir, Monsieur, cessez de vous accuser. Cependant je conçois votre affliction; vous avez tout osé pour moi, et vous n'avez pas réussi. Le destin s'est opposé à mes projets et aux vôtres, de fatales circonstances ont paralysé ma volonté, votre courage, et ont rendu nuls vos préparatifs. Je ne murmure point contre la Providence; je sais que le succès dépendait de moi, mais il faut une âme atroce pour verser le sang de ses sujets, pour opposer une résistance, et amener la guerre civile en France. Toutes ces idées ont déchiré mon cœur; toutes mes belles résolutions se sont évanouies. Pour réussir il me fallait le cœur de Néron et l'âme de Caligula. Recevez, Monsieur, mes remerciments que n'est-il en mon pouvoir de vous témoigner toute ma reconnaissance.

LOUIS.

LETTRE XLVII.

A Monsieur.

23 juillet 1791.

Il faut donc encore que mon malheur pèse sur vous et que vous soyez une victime de la fatalité qui me pour

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