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saient pendre les conducteurs. Christophe et Maurepas qui semblaient être les plus civilisés, se montrèrent les plus ardens persécuteurs de leur caste, tandis que le féroce Dessalines, contenu et dirigé par les géné– raux Brunet et Thouvenot, fut un de ceux qui se livra le moins à ces funestes excès.

Ces violences portèrent l'alarıne et l'exaspération parmi les Noirs; la remise des armes cessa presque entièrement : elles furent enfouies; on remarqua dans les ateliers une sourde fermentation, que les propos de quel ques colons et leurs voeux imprudens sur le retour de l'esclavage, augmentèrent encore.

A cette époque, aux premiers jours d'avril 1802, la maladie connue sous le nom de fièvre jaune, commença à infecter l'armée française. Les premiers symptômes s'étaient manifestés un mois auparavant, et le général Leclerc, profitant du calme apparent, s'était empressé de cantonner ses troupes dans les positions les plus salubres; mais rien ne put arrêter.les progrès de la maladie. La mort des généraux Debelle, Ledoyen et Hardy, qui

farent frappés presque en même temps, répandit l'effroi dans l'armée; les hôpitaux se remplirent, la plupart des individus attaqués périssaient avant qu'on pût leur porter aucun secours; et si l'on avait le temps d'administrer des remèdes, ils étaient presque tous inefficaces.

La famille du général en chef, son épouse et son fils l'avaient accompagné à Saint-Domingue; il les éloigna du foyer de la conta- . gion, et après les avoir établis à l'île de la Tortue, distante de trois lieues de la côte du nord, où l'air est plus sain à cause des montagnes qui couvrent toute sa surface, il revint au Cap pour faire l'ouverture de l'assemblée des députés dont nous avons parlé. C'était au commencement de juin; la maladie avait atteint sa plus grande intensité; c'était un torrent de destruction, on ne s'abordait qu'avec inquiétude, on ne se quittait qu'incertain de se revoir. Le conseiller d'État Benezech n'assista qu'aux deux premières séances de l'assemblée; il périt, et peu de jours après, son frère, officier du génie des

plus distingués, ses filles, sa famille tout entière le suivirent au tombeau. Un grand nombre de généraux et de chefs illustrés par leurs exploits, des milliers de braves que le fer et le feu de l'ennemi n'avaient pu atteindre, tombèrent victimes de ce fléau du Nouveau-Monde.

Le général Leclerc, informé de quelques mouvemens des Nègres et de l'espoir qu'ils manifestaient de voir les nouveaux conquérans bientôt détruits par l'intempérie du climat, conçut de graves soupçons contre Toussaint. Il le pressa d'user de son influence pour faire rentrer dans le devoir les Nègres qui s'étaient insurgés à la Montagne-Noiredes-Gonaïves et à celle de Brando, peu distantes du lieu de sa retraite : Toussaint, qui s'était interdit toute activité, ne s'y porta point de sa personne, mais il forma un détachement de Nègres cultivateurs qui fut rencontré et désarmé par un détachement français. Peu de jours après, des lettres adressées par le général Toussaint à l'un de ses anciens aides-de-camp furent interceptées. Le général

Leclerc crut y voir sous des expressions ambiguës des précautions pour se ménager des ressources, des armes, des munitions : c'était déjà trop pour Toussaint dans de telles circonstances que de se rendre suspect. L'imminence du danger (car il y allait du salut de l'armée, si un tel chef relevait l'étendard de la rébellion), et la difficulté toujours croissante d'éclairer sa conduite, décidèrent le général en chef à s'assurer de sa personne. L'infortuné Toussaint, facilement attiré à une réu nion d'officiers français, fut enlevé, embarqué sur une frégate qui vint mouiller au Cap, et de là on le transporta en France.

On a reproché au général Leclerc l'arrestation de Toussaint, parce qu'elle a sans doute beaucoup contribué à décider l'insurrection générale dont il nous reste à entretenir nos lecteurs, et l'on attribue à ce dernier événement la perte irrévocable de la colonie; mais on voit clairement par tout ce qui précède que le général fut conduit à cette mesure de rigueur par l'exécution même du plan arrêté par le gouvernement français : la grande

faute était d'avoir entrepris de reconquérir Saint-Domingue par la force des armes et par une grande expédition maritime la métropole peut faire un premier effort, et certes cet effort ne pouvait être ni plus grand, ni mieux dirigé; mais comme on ne peut vaincre le climat, ni prendre pour des troupes qui, à peine débarquées, doivent marcher et combattre, les précautions nécessaires pour en atténuer l'influence, la consommation d'hommes est de beaucoup supérieure aux moyens de recrutement par les envois d'Europe : cette consommation dans les temps ordinaires, dans les premiers six mois, ne fut presque jamais au-dessous du quart, et dans cette campagne même, avant les ravages de la fièvre jaune, il ne restait pas sur pied en état d'agir la moitié de la force effective débarquée quatre mois auparavant.

Il est hors de doute qu'il fallait maintenir le général Toussaint au poste auquel il s'était élevé et recevoir de ses mains la belle possession qu'il avait conservée à la France;

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