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>> présente aux yeux de votre majesté, comme » digne, par les moyens qui sont en mon pou>> voir, des grâces singulières et multipliées » dont elle a honoré ma loyauté et mon amour » pour son auguste personne ». Ce langage d'un favori élevé par l'intrigue jusqu'au faîte du pouvoir, est une grande leçon pour les souverains; l'illustration de celui-ci fut, comme on le verra dans la suite de ces Essais historiques, l'une des causes les plus actives des malheurs de l'Espagne et de la France.

Le traité de Badajoz fut ratifié à Lisbonne le 6 juin, mais le gouvernement en retarda la publication jusqu'au 20 juillet, afin de se donner le temps de garantir les possessions portugaises d'outre-mer contre une attaque très - vraisemblable. L'envoyé anglais, M. Friar, se plaignit amèrement, dans une note adressée au ministre, que le traité eût été conclu sans le concours de l'Angleterre, et fit ordonner à tous les vaisseaux de sa nation de se tenir prêts à partir le prince régent les retint, et prodigua les assurances

de protection dans la proclamation de la paix, qui fut affichée dans tous les quartiers de Lisbonne. On évita de faire aucune mention de la république française ; vains ménagemens qui ne pouvaient plus rien changer à la dure situation où se trouvait le Portugal, toute semblable à celle des Danois, également pressés par les deux puissances prépondérantes, l'une sur la mer, l'autre sur le continent, et nécessaire victime de leur conflict.

L'oubli de la condition principale imposée par la France, celle de l'occupation des places par les troupes françaises, et la cession d'un quart du territoire jusqu'à la conclusion de la paix générale, ne pouvait être long-temps pallié. Le premier Consul refusa formellement son adhésion au traité de Badajoz; et sur la nouvelle que M. de Pinto, chargé de présenter cet acte à sa ratification, venait d'arriver au port de l'Orient, il lui fit dire qu'il devait repartir sur-le-champ pour rejoindre les négociateurs à Badajoz. Le premier Consul, pour motiver

son refus, allégua que ces préliminaires étaient contraires à la convention de Madrid; que leur contenu ne serait pas moins nuisible à la politique particulière qu'à l'intérêt général des alliés ; que la conséquence immédiate de la ratification de ce traité pour sa majesté catholique, serait la perte de l'île de la Trinité, qui devrait être cédée comme une condition de paix avec l'Angleterre, si l'occupation d'une partie du Portugal ne mettait pas le gouvernement français à même d'offrir au cabinet de Londres une option que celui-ci préférerait même à la possession de cette île. En conséquence, comme la cour de Lisbonne avait ratifié séparément le traité de Badajoz, l'état de guerre fut maintenu contre cette puissance. Le général Leclerc, beau-frère du premier Consul, avait remplacé le général Saint-Cyr, plus utilement employé à la cour de Madrid, avec le titre d'ambassadeur extraordinaire, et spécialement chargé de diriger les opérations pour l'exécution du plan déjà arrêté ; l'armée française, rassemblée sous Almeida, reçut

l'ordre de se mettre en mouvement, et de se porter à marches forcées sur Lisbonne ; on annonça en même temps qu'un corps de trente mille hommes allait entrer en Espagne par Baïonne et par Perpignan.

Pour contrebalancer la conquête certaine du Portugal, le gouvernement anglais résolut, ainsi qu'on l'avait prévu, de s'emparer des possessions portugaises d'outre-mer, et d'abord de l'île de Madère. L'escadre arriva le 23 juillet à sa destination; le débarquement s'exécuta les deux jours suivans sous les ordres du colonel Clinton; cet officier négocia avec le gouverneur, qui, rassuré sur les intentions amicales des Anglais, le mit en possession des deux forts qui commandent la baie de Funchal, la capitale de l'île.

Les nouveaux apprêts que fit le gouvernement portugais, pour simuler un état de défense, lui servirent à prolonger les ménagemens qu'il était obligé de garder envers les Anglais : un riche convoi du Brésil impatiemment attendu causait de vives alarmes au gouvernement. Aussi se garda-t-il

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de précipiter les concessions, disons plutôt les actes de soumission exigés par le premier Consul. Tout au contraire, on redoubla d'activité comme pour une défense désespérée. Le prince régent multiplia les édits pour ordonner les levées; il fit équiper six vaisseaux de ligne destinés à se joindre à l'escadre anglaise qui croisait devant Cadix. Il accorda une prime aux matelots et aux ouvriers qui travaillaient jour et nuit. L'armée portugaise ne put cependant être portée au-delà de vingt-cinq mille hommes, en y comprenant trois régimens d'émigrés français à la solde de l'Angleterre, et quelques escadrons de cavalerie anglaise. Le duc d'Alfoens, qui avait commandé pendant la guerre contre l'Espagne, fut rappelé et remplacé par le comte de Gortz : ce général rassembla cette faible armée, mal organisée et mal pourvue, sur la position d'Abrantes, la seule qui pût un instant protéger Lisbonne contre l'invasion des Français.

Pendant que le général Leclerc s'ébranlait d'Almeida pour descendre par la Haute

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