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fut réservée à l'armée française. L'autre, du côté du sud en descendant la Guadiana, ouvre à l'ennemi les provinces méridionales, et tout le pays à la rive gauche du Tage: mais l'armée qui opère de ce côté, et ce ne pouvait être que l'armée espagnole, ne peut que très-difficilement tenter le passage du fleuve, et se porter sur la capitale.

On voit que, d'après ce plan d'invasion, les troupes d'Espagne ne devaient agir que secondairement. Il ne restait donc au prince de la Paix d'autre ressource pour remplir son rôle de généralissime, que de précipiter ses opérations dans l'Alentejo, forcer les places de la Guadiana, avant que les Français eussent franchi la frontière montagneuse de la Haute-Beyra, les devancer dans la vallée du Tage, et contraindre le Portugal à recevoir la paix de la seule main de l'Espagne. Il s'arrêta à ce parti; la déclaration de guerre fut signée à Aranjuez le 27 février 1801. Nos lecteurs ne manqueront pas de remarquer dans cette pièce officielle une multitude de faibles griefs, laborieusement

rassemblés pour donner quelque apparence de justice et d'intérêt national à une cause qui était uniquement celle de la république française.

Les Portugais, se fiant à la coopération des Anglais, et détrompés trop tard, négligèrent leurs préparatifs de défense, et perdirent un temps précieux dans cette fausse sécurité les secours de l'Angleterre se bornèrent à un subside de sept millions de francs et à quelques régimens incomplets, qui furent laissés en Portugal, après avoir réuni à l'armée du général Abercrombie, destinée pour l'Égypte, le reste des troupes anglaises qui se trouvaient à Lisbonne et à Opporto.

Le gouvernement portugais, ne pouvant douter de sa ruine prochaine, fit cependant bonne contenance; il ordonna une levée générale dont aucune classe, aucun rang ne furent exceptés; l'argenterie des églises fut frappée en écus; la paye des soldats fut aug. mentée d'un tiers; mais ces efforts produisirent à peine une armée de quinze mille

hommes, mal organisée, incapable d'entrer en campagne, et de résister au premier choc de l'ennemi. Le prince de Brésil en prit le commandement et proclama la guerre le 26 avril, deux mois après la déclaration de l'Espagne.

Nos lecteurs trouveront dans les Pièces justificatives la déclaration de l'Espagne et celle du Portugal : nous les y avons insérées en entier, parce que nous avons trouvé qu'elles donnaient sur l'esprit des deux cours et sur leurs intérêts respectifs, des notions plus exactes qu'aucun autre document. Nous avons évité de tronquer ces déclarations diplomatiques, en relevant ici des expressions exagérées et par là même très-remarquables, parce qu'elles devaient faire suspecter d'une et d'autre part la véracité des motifs et l'intention qui semblaient les avoir dictées; les Anglais ne s'y trompèrent point, ils appelèrent cette guerre a sham war, une guerre simulée. Mais déjà le prince de la Paix, impatient de commencer un simulacre d'hostilités, était parti de Badajoz; l'armée es

paguole avait dépassé la frontière; elle était devant Elvas, que l'armée française avait à peine franchi les Pyrénées. Celle-ci fut trèsbien accueillie sur le territoire espagnol ; son excellente discipline, le soin recommandé par le premier Consul de faire assister les soldats aux cérémonies religieuses, et d'y ajouter la pompe militaire, dissipaient les préventions et leur conciliaient la bienveillance du peuple. Les vieillards se souvenaient d'avoir vu quarante ans auparavant, à la fin de la guerre de sept ans, défiler à travers l'Espagne un corps de troupes françaises sous les ordres du prince de Beauveau, pour entreprendre contre le Portugal une expédition toute semblable, de concert avec l'armée espagnole. La cause, les moyens, but étaient les mêmes : les deux cours alliées cherchaient aussi, à cette époque, à détacher le Portugal de l'Angleterre, afin de décider plus promptement cette puissance à la paix qui fut conclue en 1762 : tant il est vrai que la situation géographique ramène forcément les états de l'Europe moderne à

le

leur politique fondamentale, c'est-à-dire, à celle de leur intérêt territorial, quelque déviation qu'aient occasionnée des circonstances extraordinaires.

Il est toujours utile de présenter ces rapprochemens à la méditation des hommes d'état. Ainsi, lorsque le plus parfait accord régnait entre les deux nations alliées contre l'Angleterre, lorsque l'Infant duc de Parme traversant les Castilles pour se rendre en France, fut reçu à Burgos avec tous les honneurs militaires par les soldats de la république qui venaient de lui conquérir une couronne, nul n'eût osé prévoir que par une conséquence peu éloignée de cette coalition contre le Portugal, les deux peuples méridionaux, les Français et les Espagnols deviendraient ennemis acharnés; que la guerre qu'ils allaient allumer de concert, et qui ne semblait être pour leurs chefs ambitieux qu'une marche triomphale, ne s'éteindrait que dans des fleuves de sang, causerait par leurs propres armes leur mutuelle ruine, et qu'après avoir changé le cours des événemens, affran

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