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parte, général en chef de l'armée d'Italie, dans ses proclamations, dans ses actes du gouvernement des pays conquis, cette confiance en lui-même, ce mépris des obstacles qui double les forces et les moyens' d'action. Dès les premiers pas dans la carrière qui lui est ouverte, il prend tout son essor, il se montre tout à coup tel qu'on l'a vu depuis. Les généraux les plus habiles, et d'après leur témoignage, presque tous les écrivains militaires s'aocordent à penser que ses deux premières campagnes d'Italie sont les plus belles qu'il ait faites, et pour la conception des plans et pour les savantes manoeuvres. Il atteignit du premier vol la hauteur où il se fixa: ses talens, ses qualités, ses défauts, ses passions ne changèrent point; l'expérience des autres ne lui servit pas plus que la sienne. Dans les camps d'Italie et d'Egypte, sur le trône consulaire ou impérial, même avidité de gloire et de renommée, même insatiable amour du pouvoir. On n'aperçoit dans la méthode de travail qu'il s'était faite, et qu'il appliquait avec une surprenante facilité à toutes sortes d'objets, aucune modification relative aux situations si diverses dans lesquelles il s'est trouvé.

Il est assez ordinaire qu'on blâme ou qu'on loue outre mesure les moindres actions des hommes célèbres; mais pour juger avec la sévérité de l'histoire celles de ces actions qui influèrent puissamment sur

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l'état de la société, il faut, en les dépouillant du merveilleux qui ravit l'imagination, en rechercher les causes les plus efficaces: c'est dans le travail intérieur du général Bonaparte, qu'on trouve le secret de sa force impérative. Son autorité était le principe et l'unique fin de tous les actes de son gouvernement : il n'y souffrait aucune entrave; il n'y voulait aucune limite; il contenait tous ses agens dans une égale dépendance; il exigeait la plus stricte subordination dans la hiérarchie des pouvoirs civils et militaires; mais il n'ac cordait jamais aux chefs qu'il avait le mieux éprouvés, la confiance qu'ils croyaient mériter par leurs talens, et se concilier par un dévouement absolu. Quand la difficulté d'atteindre ce but multipliait les efforts, il savait le reculer à propos et tendre des piéges au zèle ardent qui s'en approchait de trop près; plus il avait lieu d'être satisfait et moins il le faisait paraître. On pouvait à ses yeux acquérir des titres à des distinctions, à des récompenses; il ne reconnaissait jamais de droits. Il exerçait sur ses ministres comme sur ses généraux une perpétuelle vigilance, non-seulement pour les dispositions principales qu'il avait arrêtées, mais encore pour tous les moyens d'exécution qu'il semblait leur avoir abandonnés. Les calculs de finance, l'encyclopédie de l'administration intérieure, l'organisation, le mouvement et la situation de tous les corps de sa nombreuse armée, étaient

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toujours présens à son esprit. Il suivait et réglait les moindres détails par des ordres particuliers qu'il dictait sans hésitation avec la rapidité de la parole, et sans autre secours que celui de sa prodigieuse mémoire: leur précision et leur parfaite concordance avec ses dispositions générales confondaient la prévoyance des autorités supérieures et subordonnées, et les tenait toujours alertes. Dans son palais ou sous sa tente, en quelque lieu qu'il se trouvât, tous les fils étaient toujours tendus par cette main de fer; sa jalouse méfiance n'en laissait échapper aucun.

Ce continuel emploi du temps, ce travail immense n'occupaient autour de lui qu'un très-petit nombre de personnes. Deux ou trois secrétaires lui suffisaient; il savait les choisir parmi les hommes distingués par leur intelligence, leur esprit d'analyse, leur sage discrétion et la prestesse d'expédition : général de l'armée d'Italie, il en eut autant; chef du gouvernement et moteur de l'Europe, il n'en eut pas davantage.

Mais autant le premier ressort de cette vaste machine était simple, autant les rouages auxquels il imprimait le mouvement étaient nombreux et compliqués. Leur jeu l'occupait nuit et jour; il le ralentissait ou l'accélérait à son gré selon les circonstances. Il exigeait des rapports journaliers et des tableaux synoptiques de la situation de toutes les

parties du service: les moindres négligences échappaient rarement à sa rapide investigation; il les relevait avec sévérité ; et dans de tels cas, il ne s' s'astreignait pas à la hiérarchie des autorités et des grades: il frappait immédiatement au point où il avait aperçu la faute, et atteignait dans les divers détails l'individu qui l'avait commise. C'était l'objet des missions particulières soit politiques, soit militaires ou administratives, qu'il donnait fréquemment, le plus souvent à l'insçu de ses ministres, et toujours inopinément à ses aides de camp et aux membres de son conseil. Le général Duroc fut celui auquel il confia les plus importantes, et celui qui, par son excellent esprit et son noble caractère, était l'un des plus propres à les remplir. Le juste hommage que nous rendons à la mémoire de ce guerrier mort au champ d'honneur, ne sera démenti ni par le témoignage de ses émules qui lui survécurent, ni par celui des étrangers ses contemporains.

Nous répétons, en terminant cette note, que la critique et l'esprit de parti n'y doivent point chercher un sens apologétique ; nous avons pensé qu'une image des pratiques les plus usuelles de cet homme extraordinaire, serait utilement placée au milieu du récit des événemens dont il remplit l'Europe, et précisément à l'époque du plus grand développement de son ambitieuse politique et nous aurions sans

doute manqué notre but, si les expressions dont nous nous sommes servis laissaient, dans l'esprit de nos lecteurs, le moindre doute que cette image n'ait été fidèlement tracée.

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