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foupçonnoit des armes & de la poudre. Au défaut d'armes à feu, les ferruriers, les maréchaux, étoient occupés jour & nuit à forger de longues pieces de fer tranchant qu'on ajuftoit au bout d'un fort bâton ou d'une perche c'eft de cette arme agrefte que furent d'abord munis plufieurs milliers d'hommes du peuple; mais bientôt un nombre de bourgeois, d'artifans un peu mieux équipés & pourvus de fufils fe mirent à leur tête. Environ 3000 Gardes Françoises répandues dans Paris dirigeoient leurs mou

vemens.

Ils fe diviferent en plufieurs Corps. Les uns coururent au dépôt des Gardes Françoifes pour en enlever les canons; un fecond Corps vola au Garde-Meuble, espérant d'y trouver des armes ; il en enfonça les portes, brifa & faccagea tout ce qui lui tomba fous la main, prit ce qui étoit à fon ufage, plufieurs armes antiques, riches & curieufes, & n'ayant trouvé que peu de fufils de service, il se dirigea fur les Invalides.

Le gouverneur, à la vue de cet effaim de combattans, ne fe fait pas fommer deux fois d'ouvrir les portes. La foule armée entre par toutes les iffues, s'empare du canon, pénetre dans tous les cuins & recoins de l'hôtel, vifite les corridors, les fou terreins, arrive enfin à des falles fpacieuTes & profondes dont l'accès difficile n'étoit

pas

aifé à découvrir. Elles contenoient, diton, cinquante mille arquebufes ou fufils fabres, piques, tant neufs que rouillés. La foule avide fe jette fur ces armes, & dans l'ardeur qui la transporte, fe preffant les uns fur les autres, fe difputant à qui s'en empareroit des premiers, plufieurs furent précipités du haut des falles & recueillis eftropiés ou morts.

Ces premiers fuccès enflerent le courage des combattans. Bientôt ils furent organifés en Corps d'armée par les Gardes Françoifes. Ils placerent des Corps-de-gardes & des canons dans différens poftes intéreffans.

On s'occupoit d'un plus grand projet : on ne parloit de rien moins que d'emporter la Baftille, fi le gouverneur refufoit de la rendre. Cette entreprife étoit plus que hardie. Il s'agiffoit, pour l'exécuter, de choifir les plus intrépides & de former un Corps d'élite; mais où choifir, fans faire injure, où de tous côtés fe montrent la même ardeur, le même courage? Tous fe préfentent, tous fe difputent l'honneur de marcher, de mourir les premiers. Le nom de la Baftille vole de bouche en bouche. A ce nom abhorré, chaque bourgeois devient foldat d'élite; à ce nom, qui réveille les idées de lettre de cachet, d'oppreffion & d'opprobre, Paris voit les bourgeois tranf formés en autant de héros. Ce mouvement d'héroïfme fignale & proclame l'ere domi

nante & à jamais mémorable dans les faftes nationaux, d'où les François dateront déformais la reftauration & la gloire de l'Empire.

L'effervefcence des efprits ne permet pas qu'on le foumette à la froide combinaifon d'un plan d'attaque régulier. Gardes Françoifes, clercs du Palais, artifans, journa liers, bourgeois de toutes les claffes, habitans des deux fexes, mêlés & confondus, s'élancent des différens quartiers de Paris, mus par une impuifion commune, & volent par cent chemins divers à la Baftille. Le fauxbourg Saint-Antoine, placé fous l'artillerie de cette derniere, & dont les habitations en formoient le contour par toute efpece de ligne de circonvallation, plus animé encore en raifon de la proximité, paroiffoit regarder la Baftille comme une proie dont la capture lui étoit dévolue de droit, & jaloux que les autres vouluffent en partager la gloire avec lui.

Le marquis de Launay en étoit gouverneur. Sa garnison étoit compofée d'environ 90 Invalides, & d'un renfort de 40 hommes de Salis, qu'il avoit reçu la veille. Il ne tint pas d'abord grand compté de la fommation qui lui fut faite. Il donna des ordres & files préparatifs pour défendre fa place.

Il reçoit des propofitions de la ville de quelques diftricts, foit pour rendre la

place, foit pour y admettre en garnifon un Corps de milice bourgeoife de concert avec fes Invalides; mais le Peuple vouloit détruire, fe battre, & non pas négocier. Plufieurs députations' fe fuccedent: On fait feu des remparts. Trois ou quatre hommes font tués. La députation fe difperfe. Le gouverneur cherche des fubterfuges, fait refermer les ponts qui étoient baiffés. Le Peuple crie à la trahifon. It excite les affié-* geans à la vengeance. L'ardeur de ces der niers redouble. Les uns grimpent fur les toits de maisons voifines, defcendent fous le feu de l'ennemi dans les premieres cours, en brifent les portes à coups de hache, & s'emparent du pont les autres pénetrent dans la grande cour, y conduisent du canon, fe coulent dans les foffés, appliquent des échelles. Les combattans ont pour témoins cent mille fpectateurs qui récompenfent, couronnent la valeur par des applaudiffemens multipliés. Le fauxbourg St. Antoine amene des voitures de paille, entoure la maifons gouverneur, y met le feu. La confufion redouble

du

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L'officier qui commande les Suiffes demande à capituler, & gliffe par une fente un modele de capitulation; un militaire en uniforme le reçoit, le lit à ceux qui l'environnent ; tous s'écrient Accordé. Le Peuple plus éloigné ne l'entend pas, ne fçait ce qui fe paffe. Les affiégés négligent de

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faire ratifier cette capitulation; ils arborent le drapeau blanc. Le Peuple voit fes bleffés, fes morts, ne voit point le drapeau n'entend point le rappel. Aveuglé, par fa colere, échauffé par le combat, il continue de faire feu. Le grand pont s'abaille après que les chaînes en ont été brifées à coups, de canon. La foule armée s'y preffe & le paffe tumultueufement. Les premiers arrivés embraffent les officiers du fort, fautent au cou des foldats défarmés ; ceux qui fuivent, l'épée au poing, ne refpirent que carnage & vengeance; ils fe jettent fur le major & fur cinq ou fix principaux officiers, tuent deux Invalides, faififfent le gouverneur, l'entraînent hors de la Baftille. Les officiers paffent de main en main, font massacrés fur la route de la Greve; deux bas-officiers, périffent fufpendus à la potence d'un réverbere, & le marquis de Launay, percé de coups, expire au pied de la potence; fa tête, féparée de fon corps, eft mise au bour d'une pique & portée dans toutes, les rues de Paris.

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Dès que la Bastille fut rendue. les bourgeois coururent aux prisons pour délivrer ceux qu'elles renfermoient. On fut obligé d'enfoncer & de brifer les portes. L'habitant des cachots, des captifs, de trente ans, oubliés, revirent la luer miere.

Tout concourut à la réuffite, la valeur

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