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pagnons de voyage l'hospitalité chez de pauvres payfans arabes dont la chaumiere eft établie dans le parvis même du temple, réfolu d'y paffer quelques jours pour confidérer en detail ce qu'ont d'impofant ces reftes précieux.

Un foir, parvenu à un endroit élevé d'où fa vue découvre dans le filence du défert & déjà dans le crépuscule qui précede la nuit, l'enfemble des roines & l'immenfité du lieu, il s'affied fur le tronc d'une colonne, &, l'ame remplie de tout ce qu'offre à fa penfée une fcene auffi lugubre & aufli majestueufe, il s'y abandonne à la méditation la plus profonde. Là, fe dit-il, fleurit jadis une ville opulente. Ea ces murs où regne un morne filence, retentiffoient le bruit des arts, des cris d'alégreffe & de fête. Là, une induftrie créatrice de jouillances appelloit les richeffes de tous les climats, & l'on y voyoit s'échanger la pourpre de Tyr pour le fil précieux de la Sétique, les tiffus moelleux de Kachemire pour les tapis faftueux de la Lydie, l'ambre de la Baltique contre les perles & les parfums arabes, l'or d'Ophir pour l'étain de Thulé.

Et maintenant de cette ville puiffante il ne fubfifte qu'un lugubre fquelette!... Le filence des tombeaux s'eft fubftitué au murmure des places publiques.... Les palais des Lois font aujourd'hui le repaire des fauves,

& les reptiles immondes habitent les fancruaires des dieux... Ainfi donc périllent les ouvrages des hommes! Ainfi s'évanouillent les empires & les nations!

L'histoire des tems anciens fe retrace à fa pensée. Il fe peint l'Affyrien fur les rives du Tigre, le Kaldéen fur celles de l'Euphrate, le Perfe regnant de l'Indus à la Méditerranée, & il dénombre les royaumes de Damas & de l'idumée, de Jérufalem & de Samarie, & les Etats beliqueux des Philiftins, & les républiques commerçantes de la Phenicie, & les cent villes puiffantes de la Syrie aujourd'hui dépeuplée... & il fe demande ce que font devenus ces âges d'a bondance & de vie, tant de brillantes créations de la main de l'homme... ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Perfépolis, ces temples de Balbek & de Jerufalein, ces flottes de Tyr, ces chantiers d'Arad, ces atteliers de Sidon... & il cherche les anciens peuples & leurs ou vrages, & il n'en voit que la trace femblable à celle que le pied du paffant laiffe fur la pouffiere... Tout eft écroulé, détruit, & dans la foule des réflexions qui fe préfentent à fa penfée, & qui jettent fon cœur dans le trouble & l'incertitude, il fe dit: Quand ces contrées jouiffoient de ce qui compose la gloire & le bonheur des hommes, c'étoient des peuples infideles qui les habitoient, c'étoit le Phénicien, facrificateur ho

micide de Molok, qui raffembloit dans fes murs les richeffes de tous les climats... C'étoit le Kaldéen profterné devant un serpent qui fubjuguoit d'opulentes cités, & dépouilloit les palais des rois & les temples des dieux... Troupeaux nombreux, champs fertiles, moiffons abondantes, tout ce qui devroit être le prix de la piété étoit aux mains de ces idolâtres; & maintenant que des peuples croyans & faints occupent ces campagnes, ce n'eft plus que folitude & ftérilité. La terre, fous ces mains bénites, ne produit que des ronces & des abfynthes... La guerre, la fami

ne,

la pefte, affaillent l'homme tour-à-tour. Cependant n'est-ce pas là les enfans du prophete? Ce Mufulman, ce Chrétien, ce Juif, ne font-ils pas les élus du ciel, comblés de graces & de miracles? Pourquoi donc ces races privilégiées ne jouiffent-elles plus des mêmes faveurs? Pourquoi ces terres fanctifiées par le fang des martyrs font-elles privées des bienfaits anciens ? Pourquoi en font-ils bannis? Pourquoi ces faveurs font-elles tranf férées depuis tant de fiecles à d'autres nations en d'autres pays?

Cette derniere confidération porte auffitôt l'efprit du voyageur à fuivre les étonnantes viciffitudes qui ont fait paffer fucceffivement les fceptres du monde à des peuples fi différens de cultes & de mœurs, depuis ceux de l'Afie antique jufqu'aux plus récens de l'Europe, & ce nom d'une terre

natale réveille en lui le fentiment de lá patrie tournant vers elle fes regards, il arrête toutes fes penfées fur la fituation oùt il l'a laiffée en 1782, à la fin de la guerre d'Amérique.

Il fe rappelle les campagnes de cette partie du monde, fi richement cultivées, fes: routes fi fomptueufement tracées, les villes habitées par un peuple immenfe, fes flottes répandues fur toutes les mers, Les ports couverts des tributs des deux Indes. Puis, réfléchiffant que telle avoit été jadís l'activité des lieux dont il contemploit la dévaftation, qui fçait, fe dit-il douloureufement, fi un voyageur, comme moi, ne s'affiéra pas un jour fur de muettes ruines, & ne pleurera pas folitaire fur la cendre. des peuples & la mémoire de leur grandeur ? Ah! malheur à l'homme, continue-t-il en répandant des larmes ! Une aveugle fatalité fe joue de fa deftinée; une néceffité funefte régit au hazard le fort des mortels.

Le voyageur, n'entrevoyant pas la folu-, tion de toutes les queftions embarraffantes qu'il s'eft faites, demeure immobile, abforbé dans une mélancolie profonde. Un bruit cependant, semblable à l'agitation d'une robe flottante & d'une marche à pas lents fur des herbes feches & frémillantes, frappe fon areille. Il jette de tous côtés un regard furtif, & dans le mêlange du clairobfcur de la lune, au travers des colonnes

& dés ruines d'un temple voifin, il cro voir un fantôme blanchâtre, qui, d'une voix grave & profonde, répond aux doutes dont fon ame eft agitée, par un difcours où brillent toute la fageffe & toutes les lumieres de la raison. I juftifie la nature toujours la même, toujours bienfaisante. Homme fafciné, dit l'éloquent fantôme, tu murmures & tu dis: Comment des peuples infideles ont-ils joui des bienfaits des dieux & de la terre, tandis que des races faintes font moins fortunées que les peuples impies?

Quand ces Infideles obfervoient les loix des cieux & de la terre, quand ils régloient d'intelligens travaux fur l'ordre des faifons & la courfe des aftres, Dieu devoit iltroubler l'équilibre du monde pour tromper leur prudence? Quand leurs mains culti voient ces campagnes avec foins & fueurs devoit-il détourner les pluies, les rofées fécondantes, & y faire croître des épines ? Quand, pour fertilifer ce fol aride, leur induftrie, conftruifoit des aqueducs, crenfoit des canaux, amenoit à travers les déferts des eaux lointaines, devoit-il tarir. les eaux des montagnes?.... Et quelle eft cette infidélité qui fonda des empires par la prudence, les défendit par le courage, les affetmit par la juftice... couvrit les mers de voiles & la terre d'habitans? Si telle est l'impiété, qu'eft-ce donc que la

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