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On a beaucoup déclamé à Turin contre les affignats françois, qui ont des hypotheques fûres, tandis que les billets royaux (dit l'auteur) ne font hypothéqués que fur les ruines de Jérufalem, ainfi que le fit remarquer, il y a quelque tems, M. Carra. «De tous les écrivains françois,( ajou te-t-on en note) les plus détestés à la Cour de Turin font MM. Mercier & Carra. J'ai entendu le roi, le prince de Condé & le comte d'Artois s'en entretenir dans des cercles. 1ls euffent bien defiré les tenir dans leurs griffes royales. Je me faifois un plaifir d'amener la converfation fur ce fujet, lorfque je me trouvois dans les af femblées des feigneurs piémontois; il eft vrai que je paroiffois être de leur parti, pour ne pas être embaftillé, & pour pou voir examiner à mon aile la Cour & fon miniftere. Malgré la fineffe piemontoile J'ai paffé quelques mois dans les Etats de Sardaigne pour l'Ariftocrate le plus enragé j'y ai reçu des embraffemens de tous ces la ches fugitifs, de ces émigrans françois qui, me fçachant ci-devant noble, ne foupçon noient pas que je les fuivois à la pifte ».

Cette note eft tirée du chapitre intitulé Compte rendu, où le voyageur balance ent effet la recette & la dépenfe de VictorAmédée. La premiere eft de 20 millions, comme nous l'avons dit, & la feconde de 40 millions & plus, « Il faut conféquem

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iment que le Peuple fe difpofe à fondre fon argenterie, que le Clergé falle fon teftament, & que les nobles vendent leurs par chemins. Croiroit-on qu'avec un tel déficit Victor-Amédée à eu dernierement la bonté de contracter une dette à Venile pour le prince de Condé? Ils ont l'un & l'autre emprunté douze millions. On prétend qu'ils les ont hypothéqués fur les biens du Clergé de France, devenus biens nationaux par la Conftitution. Ainfi, dans le cas d'une contre-révolution, les Vénitiens auront pour douze millions de biens à prendre en France, & on les leur a promis au prix d'efi mation. On affure encore que Victor-Amédée s'eft rendu folidaire avec Mefdames de France, pour un emprunt à la fainte Cour de Rome. Ceci ne paroît pas probable, parce que les papes prêtent plus facilement des bulles que de l'argent ».

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Le roi de Sardaigne eft grand amateur de mufique guerriere. Il a donné le grade de capitaine au muficien Pugnani, qui a fait ́ par fes ordres une marche nouvelle pour fes tambours. Il ne s'occupe que d'uniformes de châteaux, de canons, d'épaulettes & de tambours, & il s'en occupe en maître. Ce mot de maître, il l'a toujours à la bouche, & fes miniftres en ont la réalité, comme l'anecdote fuivante le prouve affez. « Il y a quelque tems qu'il defiroit faire le voyage de Savoie avec la reine; les Pie

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montois, jaloux de voir paffer quelques écus en Savoie, s'y oppoferent. On affembla un Confeil à ce fujet, le maître difoit oui; les miniftres difoient non, & la dispute sé chauffoit. Pour la terminer, un courtisan adroit prit la parole, & dit au roi : Sire, en foutenant votre opinion pour le voyage de Savoie, vous ne feriez qu'un acte fimple de volonté, mais en vous oppofant vous-même à ce voyage, vous feriez un coup de maître. Le roi fe rendit au mot de maître, & le voyage n'eut pas lieu. C'eft ainfi qu'on lui fait faire ce qu'on veut, mais toujours en lui difant qu'il eft maî

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L'armée de Sardaigne eft, compofée de 17 régimens d'infanterie, & de 9 tant de cavalerie que de dragons, & de canonniers, les feuls de tous ces militaires qui fcachent quelque chofe. Il eft démontré, calcul fait, que chaque foldat de ce payslà a trois fupérieurs, en comptant les généraux, les officiers & les caporaux, N'eftil pas plaifant de voir une lifte de 137 généraux pour une armée compofée de 26 régimens, tant à pied qu'à cheval? On a raifon de dire chaque pays, chaque mode: car en Pruffe, dans l'Empire & ailleurs, un général a plufieurs régimens à comman der; mais chez le roi de Sardaigne, chaque chambree a fon général. Il n'eft pas étonnant qu'un tel défordre ruine l'Etat,

que le bureau de la guerre finifse par dévorer le roi & la Nation ».

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Citons maintenant un ou deux traits du code farde. « Les Conftitutions royales portent leur inquifition jufques fur la confeffion & la communion. Elles invitent les fyndics & les confeillers de communautés à envoyer, chaque année, à Turin la lifte des dévots, ou plutôt des hypocrites. La Cour n'emploie enfuite que ceux des citoyens qui fe font le plus fouvent confeffés. On doit imaginer à combien d'abus cette pratique ridicule & bigote doit donner lieu : elle ouvre à tous les tartufes 'le, chemin des grandeurs & des dignités. C'eft dans la claffe des dévots qu'on choifit les miniftres, les efpions & les archers ».

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Suivant le même code, les créanciers qui ne fe feront pas préfentés pendant les criées des biens perdront leur hypotheque. «Nous exceptons cependant, dit le roi, notre procureur-général agiffant pour Notre Majefté, & nous déclarons conferver notre hypotheque malgré la loi ».

Dans les portraits des princes de la maifon de Savoie, on diftinguera certainement celui du prince de Piémont, que la tourbe des valets de Cour, appelle l'Hypocondre, & à qui l'auteur donne le titre plus vrai de -Jufte. En effet, il a déjà fauvé bien des fottifes, des injuftices, à fon pere, &il gémit de toutes celles qu'il ne peut empê

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cher. Nous n'extrairons de ce chapitrenque l'anecdote fuivante, inférée dans le portrait de la princeffe Marie - Félicité, fœur du

roi.

- De l'avis de fon confeffeur, elle entreprit de fonder une maifon pour confoler les jeunes veuves. Elle fut auffi-tôt commencée. Le confeffeur, qui prenoit l'argent, ne payoit pas les ouvriers. « Voici un trait qui prouve jufqu'où vont l'hypocrifie des moines & la crédulité des dévots. Un négociant de Turin avoit prêté 20 mille livres au directeur de la princeffe. Le terme convenu étant échu, le marchand fut redemander fon argent; il fut très-furpris lorfque le moine affura qu'il ne lui devoit rien. Obfervons que la réputation du cagot étoit fi bien établie, qu'on lui avoit remis la fomme fans billet. Le négociant, encore aveuglé par les préjugés italiens, ne fçavoit qui croire du moine ou de fes livres de compte. Il vit enfin que le confeffeur royal étoit un frippon; il ramafla quelques lettres qu'il avoit, & en fit un placet qu'il adreffa au roi, & qu'il remit à la chancellerie ».

« Le placet fut détourné par le moine, qui en impofoit dans les bureaux, comme à la Cour. Autre placet, même fuccès. Le négociant eut recours à M. de Graneri, qui, ayant peu de foi aux reliques monaftiques, s'inftruifit bien du fait & en parla au roi. D'abord le miniftre fut repouffé;

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