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L'Etat phyfique nous offre tous les moyens cruels que la Cour de Turin emploie fort cherement pour tenir la Savoie dans le plus trifte épuisement & la plus tyrannique oppreffion.. Voici le réfultat de ce tableau. La Savoie « paie trois millions d'impôts, & elle n'a rien.. Elle eft gouvernée par des militaires qui portent la loi au bout de leur: canne. Elle fent toute fa mifere, & commence à s'en laffer. Enfin elle eft aux por-. tes de fa ruine, au bien près de fon triom phe. La Savoie a plus de 400 mille habitans. N'en mettons que 80 mille dans le cas de porter les armes.. Joignons à ces So mille bayonnettes les montagnes, les rochers, les torrens qui la défendent, & voyons fi un bacha doit y être longtems: cruel impunément »..

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La Sardaigne n'eft pas mieux traitée que le Piémont, quoique cette ifle donne le titre de roi au fouverain. Elle n'envoie guere que 300 & quelques mille livres au tréfor royal; elle paie fans doute davantage ;: mais le refte fe dépense en refforts vexatoires. «Il y a continué l'auteur) quel ques ports en Sardaigne, dont on pourroit. tirer parti; fi on ne le fait pas, c'est qu'ap-. paremment la Cour de Turin n'a pas de: goût pour la marine.. C'eft à tort qu'on l'accufa dans un Journal d'avoir deux frés.. gates elle entretient, elle habille des offi ciers de marine, cela, je penfe, doit fuf

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Cette ifle eft la Baftille des Etats de Savoie. On y transporte les bannis. Les foldats & les officiers des deux régimens qui la gardent font de ces bannis qui ont été condamnés au fervice par punition. Les autres y occupent le plus fouvent les em plois civils. « Pour maintenir ce peuple les Sardes) fous le joug, (dit l'anonyme) on l'entretient dans l'ignorance & la fuperftition. On y laiffe fubfifter les ufages les plus ridicules. Quand, par exemple, une femme meurt, fon époux la fait placer toute habillée fur un lit; les parens viennent enfuite interroger la défunte fur les raifons qui ont pu la déterminer à quitter le monde. On lui demande à haute voix fi fon mari agiffoit mal avec elle, s'il lui manquoit quelque chofe.... Après ces queftions trois fois répétées, un affiftant écrit que la femme n'a fait aucune plainte contre le mari, & celui-ci reçoit folemnellement des complimens fur la bonne conduite, avec la permiflion de faire enterrer fa femme »..

On n'entend dans le Piémont, une des plus riches & des plus belles contrées de Europe, que les mots d'Excellence, de Chevalier, d'Alteffe, de Monfeigneur. On: n'y voit que des abbés, des moines, des pénitens, des chapelles & des affaffinats devant ces chapelles. Les bourgeois, ceux de Turin furtout, font très-inftruits; less grands, trop orgueilleux pour étudier g

obferve l'auteur) font trop ignorans pour s'appercevoir qu'ils qu'ils ne fçavent rien.

Ce pays, déjà cruellement impofé, peut voir doubler la taille en vertu d'un fimple billet du roi montré par un intendant. « Outre la taxe mife fur les vers à foie, (pourfuit l'anonyme) il faut qu'un particulier qui fait tondre fes mûriers, paie 5 Lols par pied d'arbre, lorfqu'on peut en cueillir la feuille. N'eft-ce pas là un vrai moyen d'encourager l'induftrie? Quand on pare un énorme impôt territorial, faut-il encore acheter la récolte des arbres »?

Outre un hôtel des monnoies, il y a a Turin une fabrique de billets an porteur de 100 & de so liv., dont le par le roi fixe la valeur & eft l'hypotheque. Cependant ces billets ont un grand cours dans le Piémont, où l'on n'a pas moins encore la fureur des loteries. « Auffi (lifons-nous) le roi ne refufe rien à ce fujet. Outre cellequ'il fait tirer à fon compte, ce prince catholique permet à fes moires d'en publier de tems à autre, à fix livres le billet, & l'avarice & la dévotion font de fi grands moteurs dans ce pays-là, qu'un couvent de religieux ne met pas huit jours à accaparer quatre-vingts ou cent mille livres Ce font de petits impôts mis fur la Nation pour réparer les cuifines, les églifes & les réfectoires ».

L'auteur fait monter le déficit de la Cour

de Turin à quarante millions; puis il ajoute « Quoique ce déficit, joint aux dettes contractées par la Cour à Geneve, à Gênes. & en Hollande, quoique, dis-je, ce déficit paroiffe peu de chofe, il faut obferver. qu'il eft de grande conféquence pour un roi qui n'a point de reffources, & qui a déjà multiplié les impôts. Ce qu'il y a de remarquable, c'eft que ce déficit s'eft formé tout en grapillant fur les biens du Clergé :. car le fouverain fupprime, chaque année, des. couvens & des abbayes. Cela le fait fans objet de foulagement pour la Nation, comme fans but de payer les dettes >>.

La politique du cabinet de Turin a eu de beaux momens dont elle n'a pas toujours. fcu profiter; mais elle en a eu auffi de bien malheureux dont elle peut fe reffou venir encore. Parlons d'après l'anonyme de celle que ce cabinet a aujourd'hui. En voici un trait qui feul pourroit faire juger: des autres. « La conduite du roi farde, ou plutôt de fes miniftres, avec la république. de Gênes eft des plus gauches. On encou rage, chaque année, quelques miférables piémontois à fe faire infulter par des Génois :. il en résulte des voies de fait; vient enfuite le réfident farde qui fe plaint; la ré, publique en leve les épaules; le cabinet de Turin s'agite, on affemble des congrès,

toutes ces manoeuvres finiffent par pro gofer un emprunt à Son Excellence Mon

ぎめ

heur le doge. On voudroit à peu près faire les mêmes efpiégleries à Geneve; mais les Savoifiens, qui font à la porte de cette république, ne fe prêtent pas auffi facilement que les Piémontois à de telles manoeuvres. Le réfident farde n'a point à fe plaindre; il fe contente de voir les banquiers genevois, de parler d'affaires & de faire des propofitions ».

On lit ici plufieurs adreffes fort fages de l'anonyme au roi de Sardaigne, anx princes de fa maison, aux grands, au Cler gé & au Peuple de fes Etats. Dans cello aux grands nous remarquons ce morceau: << Comment_ofez-vous vous appeller Nobles, en ne jouiffant pas même des droits de l'homme? Dès la plus tendre enfance, vous endoffèz la livrée, & le nom de Page qu'on vous donne ne fignifie autre chole que petit valet. Vous devenez enfuite écuyers, & puis miniftres d'antichambre. Ces mêmes charges, fi méprifables dans vos hôtels, fe dénaturent donc bien à la Cour! Il faut en vérité que cette Cour foit bien magique, puifqu'elle ôte à l'homme la connoiffance de lui-même. Au lieu de vous ruiner à faire des révérences éternelles, fçachez mieux profiter de votre fortune. Voyagez, inAruifez-vous dans votre jeuneffe; ne craignez pas le jour où la Nation doit conquérir la liberté, parce que fi vous avez du mérite, vous occuperez toujours les prez mieres places de l'Empire »..

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