Page images
PDF
EPUB

PRONONCÉS

A LA TRIBUNE NATIONALE.

ÉTATS DE PROVENCE.-AIX.

30 JANVIER 1789.

Sur la représentation illégale de la nation provençale dans ses états actuels, et sur la nécessité de convoquer une assemblée générale des trois ordres.

Monseigneur, après les difficultés qui depuis trois jours suspendent les opérations des états, chacun de nous, s'il n'est indifférent au bien public, a dû chercher dans ses lumières et dans son cœur les moyens de faire triompher la paix au milieu des discussions qui nous agitent.

Je ne suis point du nombre de ceux qui pensent

que

les communes se révoltent contre l'autorité : je crois plutôt, si j'ai bien deviné leurs représentants, que c'est le défaut de liberté qui rend dans nos états leur marche chancelante, irrégulière, incertaine. On n'est jamais plus porté à former des difficultés sur les préliminaires, que lorsqu'on n'a pas la force d'énoncer ce qu'on redoute dans les résultats. Pour concourir comme les autres au saint 'L'orateur s'adressait au président des états.

ministère qui m'est confié, j'ai d'abord porté mon attention sur les usages et sur les formes de nos assemblées, croyant, et plût à Dieu que je ne me fusse pas trompé ! qu'il n'existait de difficultés que dans les formes. Mais bientôt des protestations annoncées contre la légalité même des états, bientôt le cri public, quelquefois organe de l'erreur, mais ici trop fidèle interprète de la volonté générale, ont arrêté ma conscience et porté mon examen sur des objets bien plus importants.

Ce n'est pas, gardez-vous de le croire, ce n'est pas pour des formes minutieuses que les communautés sont agitées ; et si elles pouvaient l'être, notre amour pour la paix saurait bien lui sacrifier ces frivoles obstacles. Il ne s'agit de rien moins que de savoir si nous sommes les véritables représentants ou les usurpateurs de ses pouvoirs et cette question est véritablement faite pour arrêter tout citoyen qui, même en ne voulant que le bien, craint d'exercer quelque genre de despotisme que ce soit, fût-ce celui de la bienfaisance.

J'ai donc été forcé d'examiner la légalité de notre assemblée, et j'atteste ici notre honneur et mon devoir, que je ne me suis livré à cet examen qu'avec la plus extrême défiance. Je me suis tenu en garde contre mes propres résultats: je n'ai fait aucun pas sans sonder le terrain sur lequel je marchais. Le dirai-je ? j'ai redouté jusqu'à l'évidence.

Je vais vous présenter mes réflexions, messieurs, et je n'aurai fait que devancer les vôtres. Mes principes n'étonneront point ceux qui ont étudié les

titres des nations dans le code non écrit du droit universel; et celui-là seul est éternellement légitime. L'application que je ferai de ces principes à l'assemblée actuelle de nos états, ne doit effrayer aucune classe de citoyens : j'apporte ici l'olivier de la paix, et non le flambeau de la discorde; et mes conséquences, dignes tout à la fois de nos devoirs et de mes sentiments, ne tendront qu'à réunir les esprits et les intérêts.

Il est inutile de nous le dissimuler: les difficultés que nous éprouvons, et les protestations qu'on annonce de toutes parts ne peuvent qu'inspirer à chacun de nous les craintes les plus justes sur la légalité de cette assemblée. Représenter une nation, est le droit le plus auguste. Usurper cette représentation, serait un crime de lèse-nation. Je ne veux préjuger ni les protestations ni les réclamations. Cependant il est de la dernière évidence que, lorsque la compétence est contestée, tout tribunal, dans tout pays où l'on n'est point esclave, doit par cela seul être arrêté.

Ainsi donc, continuerons-nous de délibérer, malgré l'opinion de ceux qui prétendent que nous ne pouvons point délibérer ? députerons-nous aux états-généraux, malgré les protestations de ceux qui soutiennent que cette députation serait illégale? confierous-nous au hasard le sort d'une représentation dont le salut du royaume et de chaque province doit dépendre? j'ignore quelle sera l'opinion de l'assemblée sur ces questions; mais je sais que toute précipitation serait un crime.

Les réglements mêmes de nos états ne permettent de délibérer sur rien, sans que les pouvoirs des membres qui les composent soient légitimés : or, s'il faut légitimer les pouvoirs de chacun de nous, ne doit-on pas également légitimer les pouvoirs de l'assemblée entière? Quoi! messieurs, ce qui serait vrai de chaque membre, ne le serait point de la collection de tous les membres! si l'on peut récuser un juge, on n'a pas moins le droit de récuser tout un tribunal. Avant de délibérer, il faut savoir si l'on peut délibérer. Au physique, comme au moral, l'action ne vient qu'après la puissance. Il faut être, avant de savoir ce que l'on est. Mais, pour examiner plus sûrement ce que nous sommes, voyons ce qu'incontestablement nous devrions être.

Lorsqu'une nation n'a point de représentants, chaque individu donne son vœu par lui-même. Lorsqu'une nation est trop nombreuse pour être réunie dans une seule assemblée, elle en forme plusieurs ; et les individus de chaque assemblée particulière donnent à un seul le droit de voter pour eux. Tout représentant est par conséquent un élu; la collection des représentants est la nation, et tous ceux qui ne sont point représentants ont dû être électeurs par cela seul qu'ils sont représentés.

Le premier principe en cette matière est donc que la représentation soit individuelle: elle le sera s'il n'existe aucun individu dans la nation qui ne soit électeur ou élu, puisque tous devront être représentants ou représentés. Je sais que plusieurs

« PreviousContinue »