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2o. que nul fouverain ne peut être grand, puif fant & fortuné, s'il ne regne ave juftice fur des peuples raisonnables. Telle eft la base de l'harmonie fociale, que le gouvernement eft fait pour établir.

11 Juin. On fait aujourd'hui à n'en pas douter, que c'est le maréchal prince de Soubife qui a exigé l'expulfion de M. de la Borde de chez mademoiselle Guimard. Ce feigneur s'eft repris d'une belle paffion pour la danfeufe en question, & à demandé le facrifice de l'amant. Quelques gens prétendent qu'il s'eft fait de concert, & qu'il y a encore intelligence entr'eux. Quoi qu'il en foit, s fpectacles de la moderne Terpsichore font abfolum nt interrompus, & elle réforme fes deux héâtres.

13 Juin. M. de Voltaire n'a pas laiffé échap per l'occafion de la prétendue comete, pour s'égayer & écrire. Il a fait une lettre à ce fujet, où il développe fon éru fiction ordinaire & jette du ridicule fur les principaux aftronomes qui ont traité la matiere des cometes. Il est tour-à-tour favant & bouffon.

14 Juin. On a fcellé au fceau du mercredi des lettres patentes portant attribution à M. le lieutenant général de police de Paris, pour juger un libraire imprimeur de Strasbourg & les adhé rents, fur la faifie faite fur lui de différents ouvrages profcrits, clandeftins & libelleux, qu'il eft véhémentement foupçonné d'avoir imprimé furtivement chez lui pour la plupart. Ces délinquants font détenus à la bastille. Il faut que lefdits ouvrages foient pourtant d'un genre diffé Lent de ceux dont on fait la recherche au nouxeau tribunal, auquel fans doute on auroit joint

la connoiffance de ce nouvel incident : ce qui fait préfumer la vérité des bruits répandus à cet égard fur l'enlevement de ce libraire, dont on a tendu compte.

14 Juin. Le prince de Condé a en effet réclamé l'exécution du traité fait avec lui pour l'achat de fon hôtel, & les circonftances étant devenues favorables j on a jugé convenable de tenir le marché. En conféquence la ville est chargée de payer ce bâtiment, & cela donne lieu à renouveller le projet d'y établir la nouvelle falle de comédie. En forte que le plan du fieur Liégeon reçoit de cette part une nouvelle contradiction, malgré la décifion du confeil, & quoique le Roi fe foit expliqué plufieurs fois à cet égard. En attendant, tout refte in ftatu quo; & la restauration même commencée, laiffe voir des ouvrages imparfaits Pendent opera interrupta. Le fieur Liégeon fe flatte pourtant que les mêmes obftacles provenant du local fubfiftant toujours, arrêteront encore une fois l'exécution du projet qu'on vou droit remettre en vigueur, & que celle du fien ne fera que retardée.

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15 Juin. La piece de l'Erreur d'un moment, jouée hier aux Italiens a eu le fuccès le plus complet. Depuis long-temps on n'en avoit vu un pareil à ce fpectacle. Elle a été applaudie continuellement depuis le commencement jusqu'à la fin. On a demandé l'auteur des paroles avec des tranfports indicibles; & comme il s'eft retité brufquement après avoir paru, on a crié bis, & l'on vouloit le revoir une feconde fois. Quant à M. Dezaides, le compofiteur de la mufique, on l'a reclamé auffi, mais avec moins d'inftances > & il ne s'eft pas montré. Il faut

Convenir que cette ivreffe du public peut paffer auffi à merveille pour l'Erreur du moment. Elle n'eft pas à beaucoup près digne des brouhahas extraordinaires qu'elle a occafionnés. Cependant fi l'enthousiasme le foutient, on en parlera plus au long.

16 Juin. Madame la Dauphine & M. le Dauphin font venus à l'opéra aujourd'hui, ainsi qu'ils y étoient attendus. On juge aifément de l'affluence qu'ils ont attiré à ce fpectacle, défert depuis long-temps. Madame la ducheffe de Chartres a eu foin de fe rendre à fa loge avant l'arri vée de ce couple augufte. M. le dauphin eft entré le premier, & n'a pas représenté avec la même dignité que le jour de fon entrée dans Paris. Il a fait deux petites révérences affez mal tournées ; il a eu l'air très-décontenancé, & s'est bientôt rangé pour laiffer paroître madame la Dauphine, qui a occupé tout le devant de la loge. Les dames de fa fuite garniffoient abfolument les loges de fon côté. M. le maréchal duc de Biron avoit retenu les balcons: dans celui oppofé à la princeffe, il a mis les femmes les plus aimables de fa connoiffance, & en a formé un coup d'œil délicieux pour le public. Il avoit placé dans l'autre balcon les feigneurs les plus diftingués de la cour.

Il eft d'ufage, lorfque les princes ou princeffes de la famille royale viennent au fpectacle de former une enceinte au-deffous de leur loge qui eft furmonté d'un dais. Cette enceinte eft garnie de cent-Suiffes de leur garde. La loge des fecondes au-deffus de leur tête refte également vuide, il n'y a qu'un feul garde-du-corps en fentinelle. Deux gardes-du-corps font placés en

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faction fur le théâtre, ainfi qu'il eft d'étiquette aux fpectacles de la cour & font relevés d'acte en acte. M. le Dauphin & Mad. la Dauphine ont éprouvé la joie du public par les battements de mains du parterre & des loges.

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Les directeurs de l'académie royale de mufique, n'ont donné que le fpectacle ordinaire, dont ils ont même retranché le prologue de Platée. Ils n'ont pas même eu le temps de remettre celui d'Amadis, ainfi qu'ils en avoient eu l'idée, &. qui préfentoit des chofes analogues à la fête. Ils ont feulement lardé les deux actes de Théonis & de Zélindor de toutes fortes d'ariettes charmantes, mais connues, pour donner lieu à tous les coryphées de la mufique de déployér leurs talents. Ils ont également augmenté leurs ballets de danfes variées & agréables. La demoiselle Heynel, qui heureusement étoit revenue la veille de l'Angleterre a eu l'avantage de recommencer l'ulage de fes talents à Paris devant ce couple augufte. Elle étoit brouillée depuis long-temps avec Veftris, pour des raifons qu'on a dites dans le temps, & cette fête a été le fujet d'un raccom modemenr. Ils ont exécuté enfemble la chaconne de le Breton, toujours très-bien reçue des fpecta-, teurs. Le fieur Gardel, qui a eu l'honneur d'être le maître à danfer de Mad. la Dauphine, a eu des rôles de diftinction à remplir dans la choréographie, & s'eft évertué de fon mieux, ainfi que tous les autres coryphées de la danse. Cepen dant on convient affez généralement que M. le Dauphin & Mad. la Dauphine n'ont pas témoigné une grande fatisfaction du fpectacle. On fait qu'en général, la princeffe accoutumée à ceux de Vienne, n'aime pas notre mufique.

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Heft d'étiquette de ne point applaudir aus fpectacles de la cour, par une forte de refpect, qui eft toujours un fentiment trifte & froid. Les gens du parterre, peu au fait de cette regle, ont voulu fe livrer à leurs tranfports ordinaires ; mais: des murmures fourds des gardes ont contenu Padmiration, & l'ont empêchée d'éclater en battements de mains, qui déja le fignal de la joie publique vis-à-vis les auguftes époux & confacré pour eux, ne pouvoit plus fe prodiguer à des. hiftrions au même inftant. Cependant la Dlle.. Heynel ayant paru, & Mad. la Dauphine ayant invité une dame à côté d'elle de battre des mains le public a regardé ce fignal comme une permif fion de le faire, & cette danfeufe a eu l'honneur: d'être la feule qui ait reçu cette marque de fa-tisfaction générale..

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17 Juin. On ne doit pas omettre dans la relation de ce qui s'eft paffé à la bonne réception que M. le Dauphin & Mad: la Dauphine ont éprouvée des Parifiens, le compliment des poiffardes, court, énergique & plus en geftes qu'en paroles. Ces dames, qui font de temps immémo rial en poffeffion, de haranguer les Rois, Reines, princes & princeffes aux cérémonies publiques, ont attendu le couple augufte au cours, lorsqu'il eft allé monter dans l'un des carroffes de campa-gne, & là, après les avoir comblés de bénédic tions l'un & l'autre, elles fe font retournées vers M. le Dauphin & déployant leur avant-bras long, gros, rond & bien tendu : Nous vous en fouhaitons un comme cela, Monfeigneur, lui ont-elles: "dit: ce n'eft pas trop pour une aussi jolie femmes Quand on en a une pareille il faut bien la fétoyers. Et les heureux époux de rire à gorge déployée, ainfi que toute leur fuite..

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