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fourniffoit réellement qu'une fcene. C'eft ce que, prouve la piece de l'auteur, abfolument dénuée d'action, qui ne fe foutient que par de petits moyens, & n'eft, à dire vrai, qu'un long plai doyer, une amplification de college, où le poëte a fondu tour ce que le patrioti me outré peut fournir d'idées plus gigantefques que vraies.

M. Dorat a chauffé le brodequin avec plus d'avantage: fa Feinte par amour, en trois actes. & en vers, donnée pour petite piece, ne contient qu'une intrigue foible, trop alongée, trop delayée dans une mukitude de fcenes oifives, & qui ne font pas avancer l'intrigue, peu neuve d'ailleurs, & reflemblante à quantité de pieces.. Mais il a enrichi ce fonds très-commun de détails piquants & agréables; il a développé une connoiffance heureufe des mœurs du fece & du caractere des femmes. Ses peintures pourtant font plus fines que fortes, plus nuancées que colorées. Son comique eft plus de mots que de fituation; & s'il ne fe répete pas encore, il eft à craindre qu'il le faffe à la premiere fois, & ne refte dans. le cercle de frivolités, autour duquel roulent tou> tes fes épîrres. C'est un obfervateur qui ne faifit. que les furfaces, & n'a pas le coup d'œil affez vigoureux pour percer l'écorce & fonder le cœur humain dans la profondeur de ses replis.

4 Août L'acte d'Apollon & Coronis, exécuté vendredi à l'opéra, a été affez bien reçu du public.

Août. Il y a un différend de madame de Marge.et, abbeffe de Saint-Paul- les - Soiflons, avec l'évêque de cette ville, qui a obtenu une

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ettre de cachet, fous laquelle elle gémit l'abbaye de Pont-aux-Dames. Il paroît qu'elle ne s'eft point rallentie des efforts qu'elle faifoit pour avoir juftice des perfécutions du prélat, & qu'elle a intéreffé dans fa caufe divers feigaeurs entr'autres M. Puységur, qui a une terre dans le même canton, & qui s'étant interpofé à Compiegne en faveur de l'éxilée, a eu une difpute vive avec l'évêque ce qui a fait dire que ce feigneur en étoit venu à des paroles dures, à des geftes, & même à des voies de fait. Mais il y a apparence que l'anecdote des coups de pieds au cul, répandue avec affectation par les partifans de l'abbesse, & plus encore par les libertins & les impies, eft abfolument fauffe. Au refte, comme on convient affez généralement que madame l'abbeffe eft trèsgalante, qu'elle a eu une intrigue avec M. de Puységur, on n'eft pas furpris de l'extrême chaleur qu'il a mife vis-à-vis du prélat. Quoi qu'il en foit, cette hiftoire, vraie ou fauffe, fait rire aujourd'hui la cour & la ville.

Ce M. de Puységur eft un homme très-inf truit, de beaucoup d'efprit, & auteur d'un livre qui a paru il y a quelques années, où il prétend que le clergé ne doit pas faire un ordre dans l'état. Cette affertion, révoltante pour le corps épifcopal, a laiffé un venin qui fermente encore, & le rend très-odieux à noffeigneurs les prélats.

5 Août. Le Théisme, Effai philofophique, deux volumes, avec cette épigraphe: Ad cœlum hinc ire putandum eft fublimes animas.... Ce qui décele tout le plan du livre, qui n'eft point un ou

vrage théologique, qui difcute l'objet de la ra fon, & non celui de la foi. L'auteur veut démontrer que les raifons de la divinité fe font jour dans tous les cœurs par une impreffion univerfelle & fupérieure à toutes nos inftitutions. Il ne traite que de la religion naturelle & s'abftient de rien dire fur la révélation. Cet ouvrage, bien écrit, plein de vie, & qui, embellit la métaphyfique par tous les charmes, 'une imagination riante & poétique, est divisée par paragraphes. S'il n'apprend rien de nouveau, il y a du monis une maniere particuliere qui mérite d'être fuivie & difcutée.

7 Août. L'acte d'Apollon & Coronis, remis fur le théâtre lyrique le vendredi 30 juillet, quoique affez bien reçu le premier jour, n'attire pas plus de monde que les autres fragments. Il eft, tiré du ballet des Amours des Dieux, paroles de Frezelier, mufique de Mouret, & mériteroit fans contredit plus de fuccès. Le poëme eft intéreffant, les paroles en font harmonieufes, tendres & dans le vrai genre lyrique; la mufique eft douce, gaie & pleine de fentiment; mais l'exécution ne répond pas au mérite de l'ouviage.

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8 Août. Me. Vermeil, qui depuis fes plaidoieries dans l'affaire de Dujonquay avoit gardé un filence profond, répand aujourd'hui un mémoire volumineux, mais ferré de faits & des preuves dont ils font fufceptibles. Cet avocat s'eft interdit toute déclamation: il n'y a pas un mot qui n'ait trait à l'affaire, & cet écrit eft certainement un modele de tous ceux qu'on devroit publier au palais.

9 Août. Vendredi dernier, 6 de ce mois,

M. l'abbé de l'Epée a fait faire l'exercice public, par lequel il termine ordinairement l'année de fes travaux. Ils confiftent à inftruire des fourds & des muets au point de leur inculquer des notions qu'ils fembleroient ne pouvoir acquérir, & rendre encore moins. Il apprend aux uns articuler des fons, avec difficulté, mais qui forment un langage propre à fe faire entendre de ceux qui font au fait, & aux autres à répondre par écrit aux queftions qu'on leur fait, ce qui s'eft exécuté devant beaucoup de monde, à la fatisfaction de tous les fpectateurs.

11 Août. Plus de vingt-mille curieux s'étoient rendu hier à Saint-Ouen, & n'ont rien trouvé qui répondît à la magnificence du prince de Soubife & à l'honneur qu'il avoit de recevoir Madame chez lui. La fête a confifté uniquement dans une joûte fur l'eau & dans un fouper. On ne parle pas même de celle qui a été donnée à cette princeffe à Vandres, le 31 juillet detrier. Elle mérite une defcription particuliere.

Madame & madame Elifabeth devant aller à Vandres pour y voir mademoiselle, cette princeffe voulut leur procurer quelque amusement. En conféquence M. Laujeon fut chargé d'imaginer quelque chofe. On connoît les talents de ce fecrétaire des commandements, plein de goût & d'invention. Il s'affocia M. de Pinchefne, très-propre à ce genre de spectacles, étant exercé depuis long-temps à alimenter le théâtre d'Audinot , qui ne foutient que par lui. Et voici le réfultat de la fête champêtre, tout-àfait analogue aux circonftances; car il faut obferver qu'il ne devoit point y avoir d'hommes.

Madame & fa four trouverent Mademoiselle vêtue en fermiere, occupée des fonctions de fon état, battant le beurre, &c. Elle les prie d'excufer fi elles la furprennent ainfi. Elle leur propofe de goûter de fon laitage, & cependant elle appelle fes femmes. Après plufieurs délais, qui donnent lieu à des incidents agréables, & à des couplets, prélude de la fête, celles-ci arrivent dans un accoutrement ruftique, & préfentent chacune leurs préfents, un agneau, un nid de fauvettes & des fleurs. Alors Mademoiselle paffe dans un cabinet de verdure pour y faire fa toilette; les dames de fa fuite s'habillent dans d'autres, & toutes reviennent parées convenablement à leur rang. On conduit Madame à un portique de feuillage élevé dans les jardins, & fervant d'entrée au temple de l'Amitié, auquel Mademoiselle, qui aime beaucoup à bâtir, avoit travaillé de fes mains. Comme les princeffes fe rendoient au temple, on entendit une mufique délicieufe, dont on ne voyoit point les auteurs; ce qui fembloit la rendre céleste. Elle étoit compofée d'inftruments à vent, dont les joueurs. étoient cachés dans le feuillage. Richer, auffi caché, chanta une hymne à l'Amitié. Il fe trouva dans ce lieu un livre magnifique que Mademoiselle préfenta à Madame. Sur le premier feuillet elle vit fon nom infcrit en lettres d'or, celui de fa foeur fur le fecond, & celui de Mademoiselle fur le troifieme. Les trois princeffes mirent la main fur ce livre, & fe jurerent une amitié immortelle. A ⚫e cérémonie fuc céda une piece de M. Laujeon avec prologue, roulant fur le même fujet, & toujours compofée exprès pour être exécutée fans hommes..

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