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Mais ce qui mérite fur-tout d'être retenu c'est la maniere fine & adroite dont madame la Dauphine a prévenu la jaloufie du Roi à l'occa fion de la réception flatteufe qui lui avoit été faite, ainfi qu'à fon augufte époux; contrafte trop frappant avec la maniere dont le monarque eft accueilli depuis long-temps, pour ne pas l'af fliger cruellement: « Sire,» lui a-t-elle dit, avant de lui raconter les dérails de fon entrée ;

il faut que votre majefté foit bien aimée des » Parifiens, car ils nous ont bien fêtés. »

18 Juin. Le fuccès de lErreur d'un moment se foutient. C'eft, comme on l'a annoncé, la fuite de Julie. Le mari de celle-ci, fe dégoûte bientôt de fa femme & devient amoureux de celle d'un payfan, chez le pere duquel s'étoit réfugiée Julie. Il fait à la villageoife une déclaration par écrit, & vient pour avoir le réponse. Elle a tout appris à fon mari, qui lui permet l'entrevae, l'exige même, & fe réserve de furvenir en temps & lui: ce qu'il fait, avec la femme du feigneur. Le petit-maître, touché du défordre qu'il alloit porter dans une famille défolée, & dans la fienne propre, revient à lui & fe raccommode

avec la moitié.

On voit par cet expofé, que le fujet a le mé rite peu commun aujourd'hui d'être très-fimple ; & que s'il n'eft pas fortement intrigué, il n'est point foutenu par ces refforts romanefques & abfurdes que mettent en œuvre à préfent nos faifeurs de comédies & même d'opéra comiques. C'est une action purement agrefte. La fcene de la lettre où le feigneur fait fa déclaration; l'embarras de la payfanne en la recevant; fon ingénuité de la confier à fon mari avant de

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A

l'avoir lue; l'état, le défefpoir de celui-ci à cette lecture, la réponse qu'il dicte lui-même : tout cela eft charmant ; il en résulte des tableaux vrais & piquants, bien fupérieurs à nos coups de théâtre magiques. S'il ne regne pas dans cette piece une joie bouffonne, on y goûte le plaifir doux & pur que procure le fpectacle touchant des mœurs innocentes de la campagne. Il y a du pathétique, tel que le fujet le comporte, qui en découle naturellement, & ne contrafte pas trop durement avec la gaieté du reste. Peutêtre le dénouement fent-il trop la capucinade; & le retour du feigneur à la raison & à la vertu, opéré par les fermons du payfan, eft bien dans l'ordre des merveilles de la grace, mais non dans le cours ordinaire des chofes. C'eût été fans doute un moyen plus comique de le produire par le ridicule de la fituation d'un homme de qualité furpris aux genoux de fa vaffale. D'ailleurs, l'amour conjugal eft trop peu à la mode aujour d'hui pour intéreffer beaucoup au théâtre. Le ftyle eft proportionné au fujet, & comme ce font prefque toujours des payfans fur la fcene, c'eft le jargon du village. Mais par une bizarrerie peu analogue aux perfonnages, les ariettes font plus élégantes que le dialogue ordinaire. Au furplus, à travers l'idiôme groffier des interlocuteurs l'auteur a hafardé des réflexions affez, fortes, ont été très-lenties & très-applaudies.

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qui

Le musicien s'eft parfaitement conformé au poëte. La mufique eft agréable, légere & affortie au genre: elle eft facile & aura l'avantage d'être mieux retenue que tous les grands airs de nos modernes compofiteurs.

19 Juin. Mad. la Dauphine & fon augufte

époux viennent mercredi prochain à la comédie françoife. Cette princeffe a demandé le Siege da Calais. Le cérémonial fera le même qu'à l'opéra.

· La comédie italienne fouffre des difficultés pour recevoir cette princeffe, par le peu de circulation que permet le quartier. On a propofé de la faire jouer pour le jour où elle viendroit, fur le théâtre de la comédie françoise; mais cela jetteroit un défordre fingulier dans l'arrangement des loges, en forte qu'il n'y a encore rien de décidé à cet égard.

L'opéra a eu cent louis pour les loges de M. le Dauphin & de fa fuite; ce qui en tout comprenoit quatre loges & le balcon.

20 Juin. Les gens de Ruel étoient fort intrlgués de la brouillerie de M. la Borde avec la Dlle. Guimard. Ils ne pouvoient concevoir que le prince de Soubife, jufqu'à préfent fi traitable fur l'article de la jaloufie, en eût conçu tout-à-coup un accès violent, au point d'exiger de l'actrice un fi cruel facrifice. A force de rechercher les caufes de ce procédé, ils ont trouvé que le fieur la Borde avoit donné ce qu'on appelle en leur langage une galanterie à la Dlle. Guimard; que celle-ci l'avoit procurée au maréchal prince de Soubife; le maréchal à Mad. la comteffe de l'Hôpital; & la comteffe à.... Ici fe perd cette généalogie; du moins les faifeurs de chroniques en font là. Ils attendent la fuite de la filiation pour en faire part au public. Mais il en résulte certainement un motif de juftification pour le prince de Soubife, que perfonne ne peut désapprouver.

21 Juin. M. le duc de Chartres a pris un goût extraordinaire pour Comus, le joueur de go

belets, qui a pouffé l'efcamotage à un degré fu périeur, & a réduit en principes cet art fubtil. Le prince prend des leçons, & il a resté mardi depuis neuf heures du matin jufqu'à trois heures après midi chez ce faiseur de tours. On affure que S. A. a les plus grandes difpofitions. Elle s'eft fait faire une petite maison au haut du fauxbourg du Roule, où elle s'exerce à ces petits jeux & autres amusements de fon âge.

- 22 Juin. M. le contrôleur général, malgré fon extrême envie de favorifer le prince de Condé & de lui faire fa cour, a peine à ratifier le marché de l'hôtel de S. A. agréé par le Roi ; il en calcule les inconvénients. Heft certain qu'en y bâtiffant la comédie, il en coûte au moins un million de plus. Peut-être y auroit-il plus d'avantage pour la ville d'y bâtir des maisons. Quoi qu'il en foit, le fieur Liégeon fe difpofe à tout événement, & fait un nouveau plan de falle de fpectacle, en cas qu'on s'en tienne définitivement à ce dernier emplacement.

23 Juin. On a donné aujourd'hui à la comédie françoife le Siege de Calais & le legs, pieces demandées par Mad. la Dauphine. Pour éviter le tumulte indécent qu'on trouve ordinairement à ee fpectacle aux jours de premiere représentation, on avoit affiché dès la veille qu'on ne pourroit point faire retenir de places par des laquais ou valers-de-chambre. Cela n'a pas empêché que dès midi il y avoit déja un monde prodigieux pour les billets de toute efpece.

Un peu avant Mad. la Dauphine, Mad. la ducheffe de Bourbon eft arrivée, & a été applau die, quoique légèrement. Cette vue a démenti, à certains égards, les bruits qui couroient de F'exil de cette princeffe à Chantilly.

M. le Dauphin & Mad. la Dauphine font venu à cinq heures & demie, & ont été accueillis avec des transports indicibles. Dès le commencement de la piece, le duc de Duras, ayant pris Fordre de Mad. la Dauphine, a applaudi par un battement de mains, ce qui a été un fignal au public que la princeffe lui donnoit la liberté de le faire, en forte que le parterre s'eft livré àc l'enthousiasme qu'il a voulu.

Au troifieme acte, dans une fcene où Aliénot differte fur la loi falique, qui exclut les étran gers du trône, & n'y admet que les héritiers de Ta famille régnante, fuivant l'ordre de la fuccef fion & le droit d'aîneffe, Mile. Veftris, qui faifoit ce rôle, aux derniers vers:

Le François dans fon Prince aime à trouver un frere Qui, né fils de l'état, en devienne le pere.

a regardé M. le Dauphin en les prononçant ; ce qui a été fuivi de longs & unanimes applau diffements.

Dans un autre endroit, il fe trouve ces maus vais vers, mais vrais & fententieux :

Quelles leçons pour vous, fuperbes potentats !!
Veillez fur vos fujets, dans le rang le plus bas,
Tel, loin de vos regards, dans la mifere expire,
Qui quelque jour peut-être eût fauvé votre empire!

M. le Dauphin & Mad. la Dauphine ont pris leur revanche en cette - occafion, & ontap

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