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la monarchie; les alliés ne lui manquaient pas. En vain Louis XVI s'était-il opposé au projet de former un camp de fédérés; la fête du 14 juillet avait amené à Paris un grand nombre de gardes nationaux de province, les plus exaltés dans leurs opinions, délégués par les clubs révolutionnaires; après la fête, ils n'avaient pas tous repris le chemin de leurs départements; les fédérés encombraient les rues de la capitale. Ce n'était pas assez un jeune Marseillais, Barbaroux, beau, aimable, animé des violentes passions de son pays, chargé de veiller à Paris sur les intérêts de la faction révolutionnaire qui tyrannisait déjà le Midi, avait proposé le concours d'un bataillon marseillais. Il était impatiemment attendu par les meneurs de l'insurrection projetée.

L'arrivée des Marseillais à Paris fut signalée par une lutte sanglante avec quelques gardes nationaux du bataillon des Petits-Pères; les deux partis adressèrent leurs réclamations à l'Assemblée; en même temps la section des Quatre-Nations déléguait à la barre une troupe furieuse. « Nos frères, nos enfants sont empoisonnés dans les hôpitaux militaires! criait-on. Ce ne sont point des plaintes, ce sont des hurlements que nous poussons vers vous. Ah! si nous n'avions pas eu tant de patience, si nous les avions exterminés jusqu'au dernier, la révolution serait achevée et la patrie ne serait pas en danger. Nous attendons vengeance de vous. » Quelques débris de verre s'étaient trouvés mêlés au pain des soldats du camp de Soissons: la boulangerie militaire était établie dans une vieille église dont les carreaux étaient cassés; telle fut l'explication donnée par Carnot, le grand organisateur des armées, déjà activement à l'œuvre pour préparer la défense nationale. La vengeance réclamée par les sectionnaires tomba tout entière sur le malheureux Louis XVI.

L'insurrection avait échappé aux mains des Girondins; ils l'avaient d'abord désirée, comme au 20 juin, dans l'espoir d'intimider le roi et de le ramener à eux; un moment ils avaient répondu aux avances que leur avaient faites les ministres; Guadet avait présenté un projet d'adresse au roi. « Vous pouvez encore sauver la patrie et votre couronne avec elle, disait-il; que le nom de vos ministres, que la vue des hommes qui vous entourent, appellent la confiance publique; la nation saura sans doute vous défendre et conserver sa liberté ; mais elle vous demande de vous unir à elle pour défendre la Constitution et le trône.»>

Ce fut le constant malheur des Girondins et la source profonde de leur faiblesse que d'osciller sans cesse entre des instincts généreux et

des calculs politiques dangereux et vains; entraînés tantôt vers la monarchie qu'ils n'avaient pas formé le propos délibéré de détruire, tantôt trompés par leur ambition vaniteuse ou par leur soif de popularité, ils se laissèrent gagner à des actes et à des alliances qu'ils méprisèrent et regrettèrent trop tard. Ils hésitaient, troublés par l'extrême agitation qui éclatait dans Paris et qui menaçait de déjouer tous leurs projets. Le comité insurrectionnel, comme on l'appelait ouvertement, n'hé

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sita pas. Le 10 août, Roederer fit prévenir l'Assemblée que le tocsin devait sonner dans la soirée et que le peuple se porterait aux Tuileries. Pétion fut interrogé. « La tranquillité publique sera-t-elle maintenue? » Je l'ignore, répondit-il; il n'est personne dans les circonstances où nous nous trouvons qui puisse raisonnablement en répondre, il n'est point de mesure qu'on puisse garantir pour efficace. >>

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Comme ses amis les Girondins, Pétion hésitait toujours au bord du gouffre vers lequel il avait poussé la chose publique. Il appela, dans un des bureaux de l'Assemblée, l'ancien moine Chabot, Bazire et Merlin de

Thionville, intimement liés avec Danton et mêlés aux obscurs meneurs de la populace. « Mauvaise tête que vous êtes, dit-il à Chabot; comment, vous avez été dire hier aux Jacobins que vous feriez sonner le tocsin! Brissot et ses amis promettent de faire prononcer la déchéance, il ne faut point de mouvement, attendons que l'Assemblée prononce. -Vos amis sont des intrigants, dit Chabot, ils avaient aussi promis le décret contre la Fayette. L'Assemblée ne peut pas sauver le peuple; eux ne le veulent pas. Je vous dis que le tocsin sonnera ce soir dans les faubourgs. » La vanité de Pétion était offensée. « Si vous avez de l'influence dans les faubourgs, j'en ai dans la ville, dit-il, je vous arrêterai. » Chabot se mit à rire. « C'est vous qui serez arrêté, »> répliqua-t-il.

Le roi avait fait appeler Pétion, qui le rassura; le commandant de la garde nationale de ce jour-là, nommé Mandat, ancien militaire, honnête, courageux, mais hostile à la cour, se plaignait de n'avoir pu obtenir à la municipalité la poudre qu'il avait demandée. « Vous n'étiez pas en règle, » dit Pétion. Deux jours auparavant, les Marseillais avaient été munis de cinq mille cartouches à balle; le commandant n'avait même pas reçu l'autorisation de faire battre le rappel. Pétion se promenait de long en large dans le jardin avec Ræderer; il se sentait prisonnier et retenu en otage. Ses amis de l'Assemblée l'envoyèrent querir. Avant de le laisser aller, sur la volonté expresse du roi, les gardes nationaux des Filles-Saint-Thomas exigèrent du maire de Paris l'ordre de réprimer l'insurrection par la force. Le tocsin commençait à sonner. Mandat fit battre le rappel.

Cependant, à l'instigation violente du club des Cordeliers, présidé par Danton, une nouvelle municipalité venait de s'installer à l'hôtel de ville, tumultueusement élue par les commissaires des sections. Deux fois déjà on avait envoyé à Mandat l'ordre de comparaître, il hésitait; ses dispositions étaient prises pour la résistance. Roederer lui donna l'avis d'obéir; sur son passage, les canons qu'il avait placés à la tête des ponts avaient été retirés.

Roederer conseillait que la famille royale se retirât dans l'enceinte de l'Assemblée. « Monsieur, dit la reine, il y a ici des forces; il est temps de savoir qui l'emportera, du roi, de la Constitution, ou d'une faction. --Alors, madame, répondit le procureur de la Commune de Paris, il est temps de faire les préparatifs de la résistance. »

Les défenseurs étaient peu nombreux. Dans la journée, le roi avait

fait savoir à ses amis, secrètement répandus dans la ville, que le danger n'était pas imminent et qu'il n'avait pas besoin d'eux. Une centaine de gentilshommes cependant étaient accourus à la première alarme; ils étaient à peine armés. Depuis que le rappel avait commencé de battre, les canonniers de la garde nationale, chargés de défendre les abords du château, repoussaient les nouveaux arrivants; les serviteurs s'étaient emparés dans les cheminées des pelles et des pincettes. On riait en se préparant au combat: l'indomptable gaieté française triomphait de toutes les inquiétudes. On doutait encore de l'attaque.

Les gentilshommes venaient d'entrer dans le salon du roi conduits. par le maréchal de Mailly. « Sire, dit le vieillard en fléchissant le genou, voilà votre fidèle noblesse qui accourt pour rétablir Votre Majesté sur le trône de ses ancêtres. » Pendant ce temps, le chef de bataillon, Lachesnaye, qui commandait la garde nationale en l'absence de Mandat, murmurait et grondait contre les alliés qu'on lui imposait. « Tant de gens empêchent le service, disait-il, et cela rebute nos hommes. » La reine voulut elle-même présenter ses amis à la garde nationale. « Je réponds de tous ceux qui sont ici, dit-elle, ils marcheront devant, derrière, dans les rangs, comme vous voudrez; ils sont prêts à tout ce qui est nécessaire, nous en sommes sûrs. » Puis élevant la voix pour s'adresser aux gardes nationaux : « Ces messieurs viennent se ranger auprès de vous, dit-elle; ils prendront les ordres et vous montreront comment on meurt pour son roi. » Un silence de mort accueillit ces paroles.

La reine Marie-Antoinette n'avait pas appris à parler à son peuple; les gentilshommes qui la voulaient défendre ne le savaient pas mieux qu'elle. « Allons, messieurs de la garde nationale, s'écria l'un d'eux, voilà le moment d'avoir du courage! Vous verrez si nous en manquons, repartit un officier, mais ce ne sera pas à côté de vous. » Les compagnies se retirèrent, les gentilshommes restaient seuls avec les Suisses. Ceux-ci n'avaient pas d'artillerie.

Le roi avait voulu faire la revue de ses défenseurs; il était pâle, ses cheveux étaient en désordre, il avait sommeillé sur un canapé, et paraissait encore assoupi. Il parcourait les rangs, le chapeau à la main, sans paroles, sans gestes, sans animation dans le regard ou dans le visage, sans crainte d'ailleurs et avec l'expression d'un calme courage. Les bataillons fidèles avaient crié : « Vive le roi!» mais, dans le

jardin, on entendait des cris: « Vive la nation, vive Pétion ! » quelquefois même « A bas le Veto!» Les hommes venus de la Croix-Rouge avaient rompu leurs rangs et barraient le passage au roi; il eut de la peine à rentrer dans le château. La reine pleurait, inquiète et troublée. « Cette revue a fait plus de mal que de bien, disait-elle, tout est perdu. » Les administrateurs du département partirent avec Roederer pour informer l'Assemblée de la situation.

L'Assemblée était peu nombreuse, elle n'avait pas été convoquée et les députés arrivaient lentement au son du tocsin. Les rapports les plus rassurants s'étaient succédé pendant la première partie de la nuit; il était six heures du matin lorsqu'on apprit que le sang venait de couler. Parmi les royalistes qui cherchaient à pénétrer dans le château pour défendre le roi, plusieurs avaient été arrêtés; un journaliste nommé Suleau avait été désigné par Théroigne de Méricourt, jeune et belle, corrompue et dévergondée, passionnément engagée dans le mouvement révolutionnaire; le malheureux fut massacré, d'autres prisonniers subirent le même sort. Lorsque Roederer et les administrateurs retournèrent auprès du roi, on promenait dans la rue leurs têtes sanglantes. L'Assemblée délibérait.

Un canonnier arrêta le procureur de Paris. « Monsieur, dit-il, estce que nous serons obligés de tirer sur nos frères?-Vous ne tirerez que sur ceux qui tireront sur vous, dit Ræderer; ce ne sont pas vos frères. » Le canonnier avait déjà éteint sa mèche. Les Marseillais, réunis aux Cordeliers dès le commencement de la nuit, arrivaient aux portes du château; quelques détachements des faubourgs les accompagnaient on ne pouvait évidemment compter sur la résistance ni des gendarmes, ni de la masse des gardes nationaux. Roederer pressait de nouveau le roi de quitter les Tuileries. « Il n'y a pas cinq minutes à perdre, sire; il n'y a de sûreté pour Votre Majesté que dans l'Assemblée nationale. Les canonniers n'ont pas bonne volonté, on ne peut pas répondre d'eux, ils ne tireront pas, l'assaut va commencer. »

La reine résistait toujours. Elle avait horreur de reculer devant la populace. «Madame, dit Roederer, vous exposez la vie du roi et celle de vos enfants. » Louis XVI promenait autour de lui ses regards. « Je n'ai pas vu beaucoup de monde sur le Carrousel, dit-il. - Les faubourgs descendent, sire, la foule est énorme, et ils amènent des canons. Nous avons des fusils,» reprenait Marie-Antoinette.

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Roederer fit un pas vers le roi. « Le temps presse, sire; nous ne vous

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