Page images
PDF
EPUB

par leurs faibles mains. « Les abimes appellent les abimes, » dit l'Écriture Sainte; lorsque l'Assemblée constituante quitta le gouvernail qu'elle avait courageusement conservé au début de la tempête, l'océan déchaîné emporta le vaisseau.

[graphic][subsumed]
[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small]

Le 30 septembre 1791, le roi Louis XVI avait solennellement pris congé de l'Assemblée constituante; il salua le 1er octobre l'avénement de l'Assemblée législative; c'était des fenêtres du Temple qu'il devait la voir remplacée par la Convention.

Élue pendant les derniers jours de l'Assemblée constituante, privée de tous les hommes qui avaient jusqu'alors fait l'éclat de la Révolution, l'Assemblée législative avait déjà fait un pas vers l'abaissement du niveau moral, intellectuel et social; sur les sept cent quarante-cinq membres qui la composaient, on comptait plus de quatre cents avocats et un grand nombre de journalistes. Tous arrivaient, avides d'un renom qu'ils ne possédaient pas encore, pressés de mettre la main à l'œuvre révolutionnaire, de parler ou d'écrire, de conquérir cette popularité enivrante dont ils avaient goûté les prémices dans leurs provinces; ignorants et inexpérimentés pour la plupart, mais confiants et

présomptueux. Les députés de la Gironde, autour desquels se groupèrent bientôt un assez grand nombre de représentants, furent le type comme les chefs de l'Assemblée nouvelle; sans le savoir encore, ils marchaient à la république; ils la rêvaient forte et glorieuse, ils la voulaient par-dessus tout à eux, rigidement égalitaire et ne tolérant d'autre supériorité que celle de l'éloquence et du talent. Vergniaud, jeune et brillant avocat de Bordeaux, se promettait déjà tous les triomphes de Mirabeau; Brissot espérait se consoler des échecs littéraires qu'il avait subis; Condorcet cherchait la satisfaction logique d'un esprit habituellement faux, malgré son étendue. Ni les uns ni les autres ne s'inquiétaient des moyens qu'ils allaient employer, ni des chemins qu'ils allaient suivre. Les forces de la résistance étaient détruites; le pouvoir exécutif était sans autorité, les armées étaient dispersées sur les frontières, la garde nationale elle-même n'obéissait plus à M. de la Fayette, les chefs des légions de Paris la commandaient tour à tour. La Fayette s'était retiré dans son château de Chavaniac, en Auvergne.

Nulle part le désordre des esprits et l'affaiblissement du pouvoir n'éclataient avec plus d'horreur que dans le midi de la France : des scènes sanglantes avaient épouvanté la plupart des villes; la lutte des partis se compliquait dans le Comtat-Venaissin d'une situation particulière. A la suite d'un soulèvement partiel, l'Assemblée constituante avait décrété son annexion à la France; les priviléges particuliers que ce petit territoire tenait des papes avaient disparu sous le nivellement général; quelques-uns les regrettaient, les partis se soupçonnaient réciproquement; à peine l'Assemblée législative était-elle réunie, que la lutte s'engagea, soutenue avec fureur par les révolutionnaires français contre la partie de la population favorable à la domination papale. La violence naturelle aux passions méridionales amena d'horribles massacres dont les deux partis se rejetaient la responsabilité. Un ancien muletier, devenu cabaretier, jeté par les hasards de sa vie à Paris au moment de la prise de la Bastille, et qui se vantait d'avoir coupé la tête de M. Delaunay, Jourdan Coupe-Tête, comme on l'appelait, régna quelques jours dans Avignon. Ce fut le premier acte des massacres de septembre; lorsque les bourreaux furent cités devant l'Assemblée législative, elle les renvoya acquittés (19 mars 1792).

Tant de sanglants désordres restés impunis dans un coin lointain du royaume avaient excité une émotion mêlée d'effroi; les causes d'inquiétude se multipliaient chaque jour; déjà le conflit avait éclaté entre

le roi et l'Assemblée; les derniers actes de l'Assemblée constituante avaient été cléments envers les émigrés: l'amnistie générale que le roi avait demandée en sanctionnant la Constitution s'était étendue jusqu'à

l'animosité n'avait pas cessé, excitée et constamment nourrie par la fuite chaque jour répétée des familles les plus considérables, aggravée par la violence des émigrés, par leurs préparatifs militaires et par l'emportement de leur langage. Une loi contre eux fut proposée. Monsieur fut sommé de rentrer en France, sous peine de perdre ses droits à la régence. Tous les émigrés étaient regardés comme suspects de conjuration; ceux qui ne seraient pas rentrés sur le sol français avant le 1er janvier 1792 étaient déclarés passibles de la peine de mort; leurs revenus étaient confisqués.

Louis XVI désirait le retour des émigrés: il sentait quel affaiblissement lui causait l'émigration; il avait sincèrement cherché à l'arrêter, ses efforts étaient impuissants auprès des royalistes comme auprès des Assemblées révolutionnaires. Dix-neuf cents officiers avaient déjà passé la frontière. Le roi sanctionna le décret qui rappelait son frère, mais les menaces adressées aux émigrés lui firent horreur; injustes et oppressives, il refusa de les approuver. « Le roi examinera, » fit-il dire à l'Assemblée, usant ainsi pour la première fois du droit de veto suspensif que lui avait confié la Constitution. Il adressait en même temps une proclamation aux émigrés et deux lettres particulières à ses frères. Les unes et les autres restèrent sans effet. « Le roi n'est pas libre, » disaient les princes; les gentilshommes se pressaient à Coblentz auprès du prince de Condé, qui poursuivait avec ardeur ses préparatifs guerriers.

Les révolutionnaires français voulaient comme eux la guerre. « Si la paix dure six mois, écrivait Brissot, elle affermira un sceptre despotique aux mains de Louis XVI, ou un sceptre usurpé aux mains du duc d'Orléans. La guerre seule, la guerre prompte, peut nous donner la république; on nous opposera toujours la Constitution, et la Constitution ne pourra tomber que par la guerre. C'est le seul moyen de dévoiler les perfidies du roi. Nous avons besoin d'être trahis; nous n'avons qu'une crainte, c'est de ne pas être trahis. Les trahisons seront funestes aux traîtres et utiles au peuple. »

Le refus du roi de sanctionner le décret contre les émigrés était activement exploité contre lui comme une preuve de cette trahison dont on avait besoin; une nouvelle cause de division vint bientôt s'ajouter à

celle-ci. Jusqu'alors les prêtres qui avaient refusé le serment civique n'avaient pas été violemment inquiétés; destitués de leurs fonctions, ils avaient conservé une petite pension et surtout le droit d'exercer librement leur ministère. On les accusa, non sans quelque justice, d'avoir usé de cette liberté pour exciter les fidèles contre la Constitution; le rapport des commissaires envoyés par l'Assemblée dans la Vendée servit de prétexte. Au mois de novembre 1791, un décret de l'Assemblée exigea le serment de tous les prêtres; ceux qui s'y refusaient étaient privés de leur traitement, tout exercice particulier du culte leur était interdit, ils pouvaient être transportés d'un lieu à un autre, et même emprisonnés pour un ou deux ans s'il était prouvé que leur influence tendit à exciter la guerre civile.

C'est le propre de la tyrannie populaire d'ériger le soupçon en crime et la délation en vertu. La conscience de Louis XVI se révolta contre cet abus monstrueux du pouvoir; il protestait comme fidèle, il résista comme roi. « Pour celui-ci, dit-il, on m'ôtera plutôt la vie que de m'obliger à le sanctionner. » Le directoire du département, qui était composé des membres les plus considérés de l'Assemblée constituante, adressa au roi une pétition contraire au décret. « L'Assemblée nationale refuse à tous ceux qui ne prêteraient pas le serment civique la libre profession de leur culte, disait la pétition. Or cette liberté ne peut être ravie à personne, elle est à jamais consacrée dans la Déclaration des droits. >>

Le roi n'avait pas encore annoncé sa résolution à l'Assemblée; il entrait dans ses vues d'y préparer les esprits par une attitude résolue à l'égard des émigrés. Le ministre de la guerre, M. de Narbonne, jeune, aimable, ardemment libéral, intimément lié avec Mme de Staël, était populaire parmi les députés; il avait conseillé à Louis XVI de devancer le désir général en intimant lui-même aux Électeurs de Trèves et de Mayence le déplaisir qu'il éprouvait en voyant des corps nombreux d'émigrés échelonnés sur la frontière. La discussion éclata avec violence dans l'Assemblée. Le Girondin Isnard, plus ardemment républicain que la plupart de ses amis, s'emporta jusqu'aux menaces. « Parlez aux ministres, au roi, à l'Europe, le langage qui convient aux représentants de la France, s'écria-t-il. Dites aux ministres que jusqu'ici vous n'êtes pas très-satisfaits de leur conduite, et que par la responsabilité vous entendez la mort. Dites à l'Europe que vous respecterez les Constitutions de tous les empires, mais que si l'on suscite une guerre des rois

« PreviousContinue »