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« Je n'ai pas caché aux habitants, écrivait-il en quittant cette dernière place, que si le prétendu roi de France n'avait évacué leur ville avant mon passage du Pô, j'aurais mis le feu à une cité assez audacieuse pour se croire la capitale de l'Empire français. »

Depuis deux mois déjà Louis XVIII avait quitté le territoire vénitien, pressé par les injonctions formelles du Sénat. « Je partirai,

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avait-il dit, mais je demande qu'on me présente le livre d'or où est inscrit le nom de ma famille, je veux le rayer de ma main; je demande aussi qu'on me rende l'armure de mon aïeul Henri IV, dont il avait fait présent à la république en gage d'amitié. »

Le général Bonaparte n'ignorait pas ces détails; sa colère contre Venise était factice et calculée. « Si votre projet est de tirer cinq ou six millions de Venise, écrivait-il au Directoire, je vous ai ménagé exprès cette espèce de brouillerie; si vous avez des intentions plus prononcées, instruisez-moi de ce que vous voulez faire, afin d'attendre

le moment favorable selon les circonstances, car il ne faut pas avoir affaire à tout le monde à la fois. Les émigrés fuient l'Italie, plus de quinze cents sont partis quinze jours avant notre arrivée. Ils courent en Allemagne porter leurs remords et leur misère. »

L'une après l'autre, toutes les lignes avaient été forcées; Bonaparte était maître de l'Adige, le général autrichien Beaulieu s'était replié sur le Tyrol italien. Seule Mantoue résistait encore, l'armée française investit la place.

L'inquiétude gagnait ceux des princes italiens qui n'avaient pas encore subi le joug du vainqueur : la cour de Naples avait envoyé un plénipotentiaire pour négocier un armistice. Les États Romains étaient déjà envahis lorsque le Directoire autorisa le général Bonaparte à traiter avec le « Prince de Rome ». La Révellière-Lépeaux, ardemment ennemi de la foi catholique, chef d'une secte qu'il intitulait les Théophilanthropes, avait pressé le général de pousser jusqu'à Rome. Les opérations militaires ne le permettaient pas; la violence antireligieuse des révolutionnaires ne rencontrait aucun écho dans l'esprit froid et ferme de Bonaparte il se contenta d'occuper Bologne, Ferrare et Ancône. Malgré les bons rapports de la République française avec le grand-duc de Toscane, la neutralité du port de Livourne couvrait le commerce de l'Angleterre dans la Méditerranée. La ville fut prise par le général Murat, et le port fermé à nos ennemis; les magasins qui leur appartenaient furent confisqués avec les marchandises. Le général veillait à la stricte exécution des traités; il imposait aux commissaires de la République de justes égards pour les gouvernements vaincus. « Je vous prie, écrivait-il à l'un d'eux, nommé Garreau, de vous restreindre désormais dans les bornes des fonctions qui vous sont prescrites, sans quoi je serai obligé de mettre à l'ordre de l'armée qu'il est défendu d'obtempérer à vos réquisitions. Quand vous étiez représentant du peuple, vous aviez des pouvoirs illimités, tout le monde vous obéissait; aujourd'hui vous êtes commissaire du nement; une instruction positive a réglé vos fonctions, tenez-vous-y. Je sais bien que vous répéterez le propos que je ferai comme Dumouriez. Il est clair qu'un général qui a la présomption de commander l'armée que le gouvernement lui a confiée sans un arrêté des commissaires, ne peut être qu'un conspirateur. »

gouver

Sous l'action de la volonté puissante et de la minutieuse attention du général en chef, l'administration des pays conquis devenait régu

lière. Le château de Milan avait capitulé; l'ordre un moment troublé se rétablissait autour de Bologne; l'évêque d'Imola, Barnabé Chiaramonti, qui devait devenir le pape Pie VII, avait sérieusement contribué à ce résultat. Le sentiment patriotique s'éveillait dans les contrées longtemps soumises à la domination étrangère; les doctrines de la Révolution trouvaient d'ardents prosélytes. « J'oppose le fanatisme de la liberté au fanatisme religieux, » disait Bonaparte.

La cour de Vienne n'avait pas fléchi sous le poids des malheurs qui accablaient en Italie les armes autrichiennes; elle avait eu cette compensation de voir avorter la campagne du général Jourdan à la tête de l'armée de Sambre-et-Meuse. Malgré quelques échecs et les habiles manœuvres de l'archiduc Charles, les Français avaient d'abord poussé jusqu'à Wurzbourg; ils avaient été vaincus devant la place et forcés de se retirer jusqu'à Witzbar sur la Lahn; le général Marceau, tout jeune et déjà célèbre, avait été tué au combat d'Altenkirchen. Le commandement de l'armée fut enlevé à Jourdan; le Directoire le confia au général Beurnonville; celui-ci fut contraint de se replier vers le Rhin. Pendant sa marche, les populations opprimées par les troupes se soulevaient sur son passage, les soldats isolés étaient massacrés. L'armée manquait de vivres, le désordre et l'indiscipline étaient grands, mais le général et ses lieutenants, Kléber, Lefebvre, Bernadotte, n'avaient point perdu courage; la résistance continuait avec la retraite. Comme Jourdan, Moreau avait été obligé de renoncer à ses premières conquêtes; placé par le Directoire à la tête de l'armée du Rhin lorsque des soupçons s'étaient élevés contre le général Pichegru; il avait trouvé le passage du Rhin heureusement effectué sous les ordres de Desaix, et les troupes françaises en possession du fort de Kehl. Le 9 juillet, la bataille d'Etlingen laissa le succès indécis, mais l'archiduc Charles avait été contraint de se retirer la rive droite du Rhin était occupée par les Français. Moreau poursuivait les Autrichiens à travers le Wurtemberg. Le 11 août, tout l'effort de l'archiduc å Neresheim ne réussit pas à débusquer le général Gouvion Saint-Cyr des positions qu'il occupait; mais les deux armées françaises n'avaient pas opéré leur jonction. L'inconvénient d'un commandement partagé se faisait cruellement sentir; lorsque Jourdan fut contraint d'opérer sa retraite, Moreau, mal informé des mouvements de son collègue, resté seul en pays ennemi, se vit bientôt contraint d'imiter son exemple. La plupart des engagements lui étaient favorables, sa marche était lente

et régulière, l'artillerie était en bon état, l'ennemi était tenu en respect. Desaix repassa le Rhin à Fribourg, tandis que Moreau couvrait les positions le 26 octobre, l'armée tout entière était rentrée en France; désormais l'effort des Autrichiens portait exclusivement sur l'Italie.

La lutte y avait été constante et acharnée; dès le mois de juillet, le général Würmser, à la tête d'une nombreuse armée, avait quitté Trente, divisant ses forces en trois corps qui devaient attaquer Vérone, la ligne de l'Adige et Brescia. Bonaparte avait précipitamment levé le siége de Mantoue, résolu à attaquer successivement les corps autrichiens. Le premier avait déjà été chassé de Brescia sans avoir eu le temps de s'y installer, lorsque la bataille de Castiglione, gagnée le 8 août, réduisit le général Würmser à se contenter du ravitaillement de Mantoue; il se replia sur Trente. Vérone fut occupée de nouveau par les Français; les rives du Mincio furent reprises et le lac de Garde défendu; la flotille autrichienne, qui venait d'y arriver, avait été brûlée par les ordres de Würmser. Le général Bonaparte se préparait à envahir le Tyrol. « Nous n'attendons que les premières nouvelles du général Moreau, » écrivit-il. Au commencement de septembre, il prit lui-même l'initiative du mouvement, et marcha sur Trente, restée sans défense à la suite du combat de Roveredo. Würmser en était sorti et s'avançait contre Vérone. Après deux jours de marche forcée, Bonaparte le rejoignit à Primolano; les Autrichiens furent mis en déroute; ils n'avaient pas eu le temps de se reformer à Bassano et déjà ils étaient vaincus de nouveau. Les communications de Würmser étaient coupées; il courut à Mantoue, après sa jonction avec la garnison, et tenta encore une fois le sort des armes à Saint-Georges, le 19 septembre. Réduit à s'enfermer dans Mantoue avec le reste de son armée, il se préparait à la plus vigoureuse défense; au commencement d'octobre la ville fut de nouveau armée, la saison des pluies commençait. « Le siége ne sera pas faisable avant le mois de janvier, écrivit le général Bonaparte au Directoire. - J'ai dix-neuf mille hommes à l'armée d'observation, neuf mille à l'armée de siége. Je vous laisse à penser, si je ne reçois pas de secours, s'il est possible que je résiste cet hiver à l'empereur, qui aura cinquante mille hommes dans six semaines. -Notre position en Italie est incertaine et notre système politique très-mauvais. Rome arme, fanatise les peuples; on se coalise de tous côtés contre nous, on attend le moment pour agir, et l'on agira avec succès dès que l'armée de l'empereur sera renforcée.

La paix avec Naples est essentielle, l'alliance avec Gênes ou la cour de Turin nécessaire. Faites la paix avec Parme, déclarez que la France prend sous sa protection les peuples de la Lombardie, Modène, Reggio, Bologne et Ferrare; adoptez un système qui puisse vous donner des amis soit. du côté des princes, soit du côté des peuples. Diminuez vos ennemis. L'influence de Rome est incalculable, on a très-mal fait de rompre. avec cette puissance. Si j'avais été consulté, j'aurais retardé la négociation. Toutes les fois que votre général en Italie ne sera pas le maître. de tout, vous courrez de très-grands risques. On ne doit pas attribuer ce langage à l'ambition: je n'ai que trop d'honneurs; ma santé est tellement délabrée, que je crois être obligé de vous demander un successeur; je ne peux plus monter à cheval; il ne me reste que du courage, ce qui est insuffisant dans un poste comme celui-ci.

Des troupes! des troupes! si vous voulez conserver l'Italie! » Le Directoire avait eu, en effet, beaucoup de peine à accepter une négociation avec la cour de Rome; lorsqu'il y avait consenti, ses exigences avaient été de nature à rompre dès l'abord les pourparlers. Sans reconnaître l'existence légale du culte catholique, le Directoire réclamait du pape la révocation de tous les brefs qui avaient condamné la Constitution civile du clergé. Six jours seulement étaient accordés pour la réponse; Pie VI refusa et se retourna vers l'Autriche. Carnot obtint difficilement la reprise des relations avec Naples. Le traité fut signé le 10 octobre. Les Anglais venaient d'évacuer la Corse, renonçant hautement à toute tentative dans la Méditerranée. Le général en chef étendit son empire sur cette île, sa patrie, qu'il était décidé à voir française 1. « Vous accorderez un pardon général à tous ceux qui n'ont été qu'égarés, écrivait-il au général Gentile; vous ferez arrêter et juger par une commission militaire les quatre députés qui ont porté la couronne au roi d'Angleterre, les membres du gouvernement et les meneurs de cette infâme trahison.» Pozzo di Borgo était le premier désigné à la vengeance nationale ».

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Une nouvelle armée autrichienne venait d'entrer dans le Tyrol, sous les ordres du général Alvinzy; elle avait forcé les passages défendus par le général Vaubois. La division française se retirait, Bonaparte courut à Rivoli, où elle venait d'arriver. « Soldats, s'écria-t-il en passant les troupes en revue, je ne suis pas content de vous; vous n'avez

1 Né en 1768, Bonaparte fixa toujours la date de sa naissance à l'année 1769, apres la cession de la Corse à la France par la république de Gênes.

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